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Daniel Buren en quelques concepts clés

Photo-souvenir, « Excentrique(s) »
Monumenta 2012 Daniel Buren
Grand Palais
© Photographe Didier Plowy
© ministère de la Culture et de la Communication, Rmn-Grand Palais, Centre national des arts plastiques, Paris 2012
© D.B. et ADAGP.

Textes extraits de l’album de MONUMENTA 2012 – Daniel Buren
Auteur : Jean-Marie Gallais

Travail in situ
La notion de travail in situ, telle que Daniel Buren l’emploie pour définir son activité artistique dès 1965, signifie que l’oeuvre naît de l’espace dans lequel elle s’inscrit ; elle ne saurait être envisagée sans considération de son lieu de présentation, dans et pour lequel elle est conçue.
Ce postulat-méthode est élaboré tandis que l’artiste mène des expériences picturales ; il constate rapidement que « l’environnement de la peinture [..] semble toujours plus important et plus riche que la peinture elle-même.2» Or ce caractère déterminant du contexte est bien
souvent oublié, ignoré ou accepté sans discussion, au nom de la « soi-disant autonomie de l’oeuvre d’art » (une oeuvre aurait un contenu intrinsèque qui agirait de la même manière en toutes circonstances). Une idée contre laquelle lutte Daniel Buren, affirmant que le lieu agit sur l’oeuvre, de façon extrêmement forte et toujours non-dite, que le musée notamment soumet les oeuvres à ses contraintes et à ses implications sous-jacentes, presque toujours en contradiction profonde avec les oeuvres exposées.
À travers la notion de travail in situ, il tente d’inverser cette relation, afin que ce soit l’oeuvre qui transforme le lieu ou, du moins, le révèle tel qu’il est, dévoile ses spécificités et donc le poids qu’elle a sur elle. Pour cela, elle doit répondre à un principe simple : sa conception, sa fabrication, son exposition doivent être déduites du lieu et réalisées sur place ; une méthode qui implique la perte de l’atelier et l’abandon des formats habituels (toiles transportables d’une cimaise à une autre, photos, films, objets en trois dimensions, etc.).

Daniel Buren va ainsi de lieu en lieu sans connaître au préalable ce qu’il va réaliser, sa biographie officielle se limitant à la phrase « vit et travaille in situ » : l’essentiel est à faire, à voir, à expérimenter, dans le lieu même. À chaque fois les dispositifs sont uniques et détruits à
la fin de l’exposition (sauf commandes pérennes), puisqu’ils ne peuvent être installés ailleurs (seule exception : les oeuvres situées). Chaque oeuvre de Daniel Buren est donc indissociable de son site, qu’elle soit en osmose avec lui ou érigée contre lui.

Travailler in situ3, c’est questionner la liberté supposée de l’artiste et, surtout, dévoiler les spécificités insoupçonnées mais signifiantes des lieux, offrir une nouvelle vision du lieu et de l'oeuvre qui s'y montre ainsi « élargie ».

Travail situé
Le travail in situ, intimement lié au lieu dans lequel, pour lequel et en fonction duquel il est conçu, est par définition non déplaçable. Mais il existe une deuxième série d’oeuvres, qui peuvent circuler suivant des règles à chaque fois définies : ce sont celles que Daniel Buren nomme les
travaux situés.
Dès l'origine, les travaux sur toiles rayées, bien que proches à plus d'un titre de la peinture, pourtant toujours accompagnées d'une notice indiquant succinctement comment ces oeuvres devaient être présentées lors de toute exposition dans un autre espace. Plus précisément
encore, c’est en 1975, en raison d’une contrainte, que la notion de « travail situé » s'est
développée : le musée de Mönchengladbach, en Allemagne, où Daniel Buren venait d'exposer,
devait déménager et transporter son oeuvre dans un nouveau bâtiment, la question alors s’est
posée : comment déplacer les oeuvres ?
Tout comme certaines pièces de l’art conceptuel peuvent être « rejouées » en différents
contextes selon un protocole, des travaux situés peuvent être rejoués dans différents endroits,
à conditions de suivre des principes établis par l’artiste - mais contrairement à l’art conceptuel,
et c’est une différence fondamentale, l’oeuvre ne saurait se réduire à ces instructions, elle
n’existe que physiquement, dans un espace.
La plupart des Cabanes éclatées sont, par exemple, des travaux situés, dispositifs indissociables
d’un environnement mais qui ont la capacité de s’adapter à un nombre infini de situations
différentes et qui, à chaque fois, changent elles-mêmes, autant qu’elles transforment le lieu.
Ce ne sont pas pour autant des oeuvres qui peuvent s’accrocher « n’importe où », insiste Daniel
Buren, et on retrouve là sa lutte contre la « soi-disant autonomie de l’oeuvre d’art » ; il y a bien
une règle du jeu à suivre et un type d’espace à adopter, ce sont des travaux mobiles dont on
peut voir différentes combinaisons, différentes versions.
La métaphore du théâtre semble le mieux correspondre au principe des travaux situés : à
chaque installation, c’est une pièce de théâtre que l’on rejoue ; le texte n’a pas bougé, mais la
mise en scène, le décor, n’ont rien à voir avec la première représentation et en changent
considérablement notre appréhension, tout comme elles changent l’apparence de la scène.

L’outil visuel
Les bandes verticales alternées, blanches et colorées, de 8,7 cm de large, peuvent apparaître
comme étant la signature du travail de Daniel Buren. Plutôt qu’une signature, elles sont un signe,
le seul élément immuable des oeuvres de l’artiste (parmi d’autres éléments innombrables et variés,en constant renouvellement) et ce depuis plus de quarante ans, et pour des raisons bien précises.
Alors qu’il peint et qu’il s’intéresse déjà au motif que constituent les bandes, Daniel Buren, en
1965, remarque ces rayures régulières sur un tissu au célèbre marché Saint-Pierre, à Paris.
Elles lui semblent d’abord intéressantes comme fond révélateur pour la peinture : « Ce dessin a
deux avantages : d’abord se montrer et ne pas être confondu avec un fond neutre ; et aussi
pouvoir servir de guide à ce qui va s’inscrire sur la toile. »4 Ses réflexions amènent Daniel Buren
à constater que l’environnement de la peinture est devenu plus prégnant que la peinture elle même.
Le motif des bandes alternées apparaît alors comme un formidable instrument révélateur
à déployer dans l’espace, ce qu’il appellera son outil visuel.
Cet outil, disposé judicieusement dans un lieu donné, peut attirer l’attention et en même temps
s’intégrer au site : c’est cet équilibre qui a permis à Daniel Buren de le conserver, son efficacité
ne s’étant jamais démentie. À la manière de ponctuations, les bandes verticales révèlent les
spécificités, les dimensions d’un lieu (elles fonctionnent comme un instrument de mesure) ; elles
incitent aussi le spectateur à porter un nouveau regard sur un endroit familier, elles sont un
appel, un signe, le seul élément invariant d’un vocabulaire qui s’est renouvelé de lieu en lieu, au
fil des ans.
Cependant, c’est aussi un leurre que l’artiste tend : il ne faudrait pas considérer l’outil visuel
comme un motif en soi, répété à l’envi. L’oeuvre n’est pas là, mais bien dans ce que ce signe
montre et révèle au spectateur attentif. C’est un motif lisible selon son contexte, tout comme
un même et unique mot, utilisé de phrase en phrase depuis des siècles et des siècles par
des millions de personnes, ne dit jamais exactement la même chose et ne prend son sens
particulier que dans les contextes différents où il est parlé.

La couleur
La couleur est présente depuis le départ dans le travail de Daniel Buren. Au moment où il arrive
sur la scène internationale, son usage est pourtant curieusement proscrit, les avant-gardes
(art minimal et art conceptuel, essentiellement) se contentant du blanc et du noir, voire de gris
et d’ocres, teintes neutres, ou bien encore de la couleur brute des matériaux utilisés, prétendus
gages de sérieux. Daniel Buren se démarque par un usage de couleurs franches, jugées
décoratives, adjectif qu’il assume parfaitement car « d’une certaine façon, l’art n’a jamais cessé
de se préoccuper du décoratif ».
Lorsqu’il utilisait du tissu à bandes, Daniel Buren était tributaire des quelques coloris disponibles,
puis il a commencé à imprimer ou faire fabriquer ses propres outils : s’est alors ouvert un éventail
infini de possibilités, dans lesquelles il a volontiers puisé tout en jouant avec la teinte naturelle,
les effets des matériaux, la lumière, etc. La couleur prend de plus en plus de place dans
son travail. Il faut dire qu’elle offre des qualités irréductibles : elle rayonne, diffuse, prend un
certain volume, elle peut être appliquée à l’outil mais aussi à d’autres éléments du dispositif :
murs, parois,... Le spectateur se retrouve alors « pris » dans la couleur, qui a conquis l’espace
tridimensionnel.
Le choix et l’agencement des nuances dans une oeuvre relèvent du hasard, à de rares exceptions près (souvent pour des raisons de lecture). Ainsi, le goût personnel de l’artiste n’entre pas en jeudans la composition. Ordre alphabétique, ordre des couleurs de l’arc-en-ciel, tirage au sort : ce n’est pas dans leur agencement que les couleurs agissent, mais au sein d’un dispositif et avec leurs caractéristiques propres.
« J’utilise la couleur en ayant conscience qu’il s’agit d’un élément fondamental des arts visuels.
C’est l’un des rares éléments que les artistes peuvent aborder et toucher et qui est d’une
certaine façon de la pensée pure. C’est impossible de la transcrire ni en musique, ni en parole,
ni en philosophie, en rien ! C’est brut ! »6. Les couleurs sont probablement l’une des choses les
plus intrigantes et importantes de l’art visuel, un élément clé de la philosophie de Daniel Buren.

 

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Dernière mise à jour le 2 mars 2021
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