Sophie Hurié
Pour la première fois depuis que des artistes contemporains sont invités à porter leur regard sur l’architecture néo-gothique de la Chapelle Jeanne d’arc, c’est de l’extérieur du bâtiment dont il est question aujourd’hui. En effet, Ce ne sont pas les volumes intérieurs, ni la lumière de la nef qui ont initialement retenu l’attention de Sophie Hurié, mais les pinacles qui couronnaient autrefois le haut des murs extérieurs, éléments symptomatiques de la structure et de l’ornementation gothiques. A la Chapelle Jeanne d’Arc, les pinacles ont disparu depuis longtemps et seules des photographies anciennes nous rappellent leur souvenir. C’est donc à un état ancien du bâtiment, à quelques uns de ses fantômes, que l’artiste s’intéresse lorsqu’elle entame la recherche qui la conduit à créer vingt modules (nombre exact des pilastres disparus), qu’elle dispose sur le sol de la nef selon un schéma qui vient souligner la structure et le rythme de l’architecture en adoptant les emplacements des colonnes, fenêtres et autres éléments comme repères, tout en laissant néanmoins une part de hasard dans l’orientation même des sculptures. En ressuscitant les pilastres, dont Viollet-Le-Duc nous dit qu’ils étaient conçus autant pour leur utilité que pour leur aspect décoratif, Sophie Hurié pose la question de l’ornement et de son rapport à la fonction. On voit bien que dans le cas de la Chapelle Jeanne d’Arc, archétype d’une architecture néo-gothique tournée vers le passé au moment de sa conception, alors qu’au même moment Cézanne révolutionnait la peinture, la fonction des pinacles n’était pas essentielle puisque leur disparition n’a pas occasionné l’effondrement du bâtiment. Ce qui est donc mis en relief ici, c’est la dimension factice de toutes les formes de “néo”, ainsi que leur caractère fragile et éphémère relativement à l’original. En effet, nombre d’édifices des XIIIème et XIVème siècles ont conservé leurs pinacles. Dans son processus créatif, Sophie Hurié a en quelque sorte renversé la vapeur. Partant du motif figuratif qui orne habituellement les pinacles (le chou frisé), elle est parvenue à force d’épure à une forme simple, minimale et non décorative, dans laquelle chacun peut projeter ses propres images, depuis les alignements de Carnac jusqu’au toit du Crysler Building et bien d’autres choses encore... Mais ce rapport entre l’original et l’artifice contenu dans les modules de Sophie Hurié s’est trouvé renforcé lorsque l’artiste a découvert qu’en langue anglaise, le mot “pinnacle” désignait des concrétions rocheuses verticales, dressées depuis plus de 50000 ans dans des déserts de l’hémisphère sud. Exceptionnelle analogie homonymique et formelle qui donne aux sculptures de Sophie Hurié une portée encore plus expressive. Objets artificiels s’il en est par le matériau, patiemment assemblées par la main de l’artiste, inspirées d’éléments architecturaux factices et disparus, les sculptures évoquent également des créations ancestrales et indestructibles de la nature, ce qui en fait des vanités. On ne pouvait rêver réponse plus poétique et singulière à l’invitation qui avait été faite à Sophie Hurié d’abonder ce «commentaire du commentaire» qui définit tout le projet artistique du centre d’art. Dans la pénombre du sous-sol, Sophie Hurié reprend The Village, un projet plus ancien qui restitue au moyen de projections de lumières et de formes architecturales en carton, un village miniature que l'artiste a visité en Angleterre lorsqu'elle était enfant. Cette mise en forme, qui questionne l’échelle et l’artifice, rappelle l’univers de la série télévisuelle culte et hallucinée des années 1960 The Prisoner (Le Prisonnier). Jean-Luc Dorchies