Pascal Broccolichi

"Doppler"
Exposition
Arts plastiques
Centre d'art La Chapelle Jeanne d'Arc Thouars

Les artistes, comme les scientifiques, inventent et suivent des méthodes pour développer leurs projets et réaliser leurs travaux. De la science à l’art, celles-ci peuvent partager des points communs et même aller parfois jusqu’à se confondre. Pour mettre à jour et pour distinguer les qualités des pratiques et les enjeux des projets artistiques et scientifiques, il ne suffit donc pas de mentionner des moyens ou des outils, ni même des opérations : il faut encore préciser, avec des méthodes, des objectifs et des stratégies.


La méthodologie analytique à laquelle fait appel Pascal Broccolichi semble tracer des ponts avec les sciences. Doppler est une œuvre qui fait ainsi référence au scientifique autrichien Christian Doppler (1803-1853), chercheur ayant lui-même donné son nom au phénomène acoustique appelé « effet Doppler » (découvert en 1842), qui désigne un déplacement sonore mettant en relation trois facteurs : un mouvement vibratoire, dont la fréquence évolue selon la vitesse d’une source sonore, par rapport à un observateur. L’effet Doppler se mesure par des écarts de hauteur tonale. Le projet Doppler de Pascal Broccolochi repose entièrement sur la production de ce même type d’effet, en provoquant le déplacement du son dans un espace donné (la chapelle Jeanne d’Arc de Thouars), en jouant sur sa redistribution dans des vitesses et des mouvements simultanés, en modifiant les coordonnées et les possibilités de perception du lieu par le spectateur-auditeur.


Pour produire cet effet, il aura été nécessaire à l’artiste, dans un premier temps, d’opérer une série de mesures du lieu jouant à la fois sur des plans physiques et acoustiques. Pascal Broccolichi s’est donc appliqué à analyser la « morphologie » du bâtiment, pour comprendre les flux de réverbérations sonores qui le traversent comme les sensations physiques d’élévation et de tournoiement qui les soutiennent. Ces analyses de la structure architecturale et des effets qu’elle induit sur un plan sonore ont donné lieu à l’établissement d’un plan et d’une stratégie consistant à redoubler la structure première de la chapelle (conçue comme un caisson de résonances) par une structure seconde qui en déplacerait et en multiplierait les centres. Pour rejouer l’espace physique, Pascal Broccolichi à conçu un dispositif sonore composé de trois modules suspendus à trois des cinq arcs de la chapelle, balayant chacun un espace de quatre mètres de rayon. Arrimés à un axe, ces modules composés des mêmes éléments (une table de mixage, un micro et deux haut-parleurs) observent des mouvements rotatifs contradictoires, horaires et antihoraires. Les micros captent en continu le son de la nef, qui est traité et modifié par des filtres (delay, phasing, chorus et réverbération) ; les haut-parleurs diffusent ces sons, qui sont à leur tour repris par les micros… Cet enchaînement par relais et cette accumulation de strates perturbe les coordonnées premières du bâtiment, puisque ses propriétés acoustiques sont profondément modifiées, et par le balayage pendulaire de chaque module obéissant à une rotation de 30 tours minutes (circularité des sons), et par la vitesse des fréquences relative à leur accumulation (amplification des sons).
Les écarts, les raccords et les relais entre les différents modules qui s’enregistrent et se diffusent simultanément reconfigurent ainsi le lieu dans des intensités nouvelles.
La structure linéaire du bâtiment est ainsi rejouée par une structure en spirale, directement rendue par des variations de fréquences, de densités, dans des boucles sonores (effets larsen, saturation).


La méthode de Pascal Broccolochi mène donc de la mesure à la démesure et creuse une profondeur acoustique par l’application d’un procédé général d’amplification.
En diffractant, en étirant et en saturant, Pascal Broccolichi active des propriétés élastiques du son qui, transcrites en terme de vitesses et diffusées par l’architecture de la chapelle lui permettent de plier et de déplier, de compresser et de déployer l’espace. Si Doppler peut être comprise comme la mise en mouvement d’un lieu par des dynamiques et des intensités sonores, il faut également souligner ses dimensions d’expérience. Car ces réactions acoustiques sont relayées à leur tour par des réactions psycho-acoustiques, au sein desquelles l’écart entre ce que l’on voit et ce que l’on entend produit une sorte d’ivresse perceptive. En retournant aux dimensions de l’expérience, cette œuvre de Pascal Broccolichi nous rappelle que les machines pendulaires qui mesurent le temps sont également des machines qui le découpent et le produisent. Doppler, en matérialisant et en produisant de nouvelles continuités temporelles, n’affole pas tant notre perception de l’espace qu’elle ne la précise.



Christophe Khim

Adresse

Centre d'art La Chapelle Jeanne d'Arc 2 Rue du jeu de Paume 79100 Thouars France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022