Nina Childress - Elle aurait dû rester au lit
ELLE AURAIT DÛ RESTER AU LIT
Pourquoi placer une exposition sous l’augure de cette exhortation paradoxale, suggérant qu’il eut été
plus sage de ne pas en faire, d’exposition ? Avec ce titre, Nina Childress fait sa maligne, et nous avise
qu’elle aurait dû choisir le droit à la paresse plutôt que la peinture, rester au lit impliquant peut-être le
farniente, peut-être des jeux plus érotiques, peut-être l’accès d’un spleen pessimiste. Car tout cela – la
peinture comme le reste — à quoi bon au fond ? I would prefer not to…aurait murmuré Bartelby.
Comme seule pirouette face à la difficulté du réel, tel Alexandre le bienheureux ou Bardot dans
l’ouverture du Mépris, il nous resterait alors le retrait du monde et les troubles du corps, troubles que
Nina Childress s’évertue à traduire, entre autres choses, dans ses toiles. Les dernières oeuvres
explorent davantage ce qui se joue justement non loin du lit, derrière les portes closes de nos espaces
domestiques : une écriture incisive de l’intime dérangé.
GOOD VERSUS BAD
Pour cette nouvelle exposition, quatre grandes toiles prennent place dans la galerie selon un système
d’accrochage recto-verso, une manière d’occuper à plein ce lieu de surface modeste, et de déjouer
les dispositifs de cimaises, plus classiques. Au-delà de cette mise en espace, l’artiste instaure une
approche singulière de l’oeuvre, invitant à poser un double regard sur une succession de doubles
tableaux. Depuis quelques années, par intermittence, l’artiste produit en effet des duos qui dérapent :
elle commence par élaborer une version qu’elle nomme good, à savoir fidèle au document
photographique à partir duquel elle travaille. De cette composition photoréaliste, Nina Childress tire
alors une version bad, qui intègre de multiples possibilités de glissement vis-à-vis de la version
première. Un traitement BD, une réminiscence d’action painting, des déformations monstrueuses,
l’extraction d’un détail, des simplifications graphiques, quelques coulures ou de croûteux
empâtements : l’artiste s’autorise tout, et de toutes les manières, sans jamais être prisonnière d’un
style, et en les exacerbant tous à l’extrême.
MÉCHANTE
Séduisants, les tableaux de Nina Childress intègrent toutes les directions de la peinture sans en
favoriser aucune, ils épousent une diversité concomitante, où le bien peint et le mal peint se
regardent, tout comme la période vache de Magritte ou les Monstres de Picabia se mesurent au reste
de l’oeuvre. Ces confrontations, qui font trembler les notions de bon et de mauvais goût, structurent la
progression dans l’exposition. Dans ce va-et-vient, Nina Childress se réinvente et se bat : elle donne
en spectacle la liberté plastique de son médium, elle accentue aussi beaucoup sa méchanceté. Un
credo : peindre salement, pour intensifier encore la dimension grinçante et désagréable déjà présente
dans les good paintings. Laisser venir la cruauté, l’impudique, l’étrange.
IDENTIFICATION DES CORPS
D’où débarquent ces femmes qui courent nues ou farfouillent dans leur dressing, cet homme
suspendu ou ces voyeurs domestiques ? Tous proviennent du cinéma d’exploitation américain des
années 60. Ces films photographiés par Nina Childress sont des nudies, qui mettent en scène des
corps nus dans le but d'exciter le voyeurisme du spectateur, avec des prétextes scénaristiques
récurrents, comme le camp de nudistes, l’atelier de l’artiste avec son modèle ou le quotidien d’une
danseuse de cabaret. Dans ce vaste vivier de récits anémiques, d’acteurs approximatifs et de décors
bricolés, Nina Childress a prélevé des scènes énigmatiques, où l’érotisme, le kitsch, le malaise et le
comique involontaire font souvent bon ménage. De cette genèse filmique low culture au cadrage
photographique, de la version good à la version bad, la peinture s’affirme en une succession de
déplacements, autant d’étapes d’appropriation et de lâcher prise pour mieux saisir le rapport du corps
à son environnement.
ÉROTISATION FLUO
La couleur joue ici un grand rôle : par l’usage des peintures fluorescentes, Nina Childress exacerbe
les sensations, façon peplum Technicolor. Cette palette ardente ne doit pas occulter le lent travail
qu’effectue l’artiste sur une très ancienne problématique, la frontière entre la forme et le fond, cette
limite qui taraude les grands peintres, ceux qui aspirent à peindre et dessiner en même temps. Dans
les jus ou les pâtes, dans le « peu peint » ou l’accumulation des couches qui se focalise plutôt sur la
représentation des corps, Nina Childress explore la magie de la peinture à l’huile, ses possibilités
illusionnistes de relief et de profondeur. Dans ses tableaux, l’examen des lisières entre corps et décor
s’avère profondément sensuel : la technique picturale se met au service du fantasme, les peaux
palpitent, le désir circule.
Eva Prouteau
À PARAÎTRE
Tableaux fluos, monographie, textes de Vanina Géré & Ramon Tio Bellido, graphic design Bizzari &
Rodriguez, coproduction Galerie Bernard Jordan, centre d’art La Chapelle du Genêteil (Château-
Gontier), le Parvis – centre d’art contemporain (Tarbes).
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