Entretien avec Morten Salling

Chargé du 1% artistique au sein du Service de la Culture, Art et Territoire du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.

Pourquoi le Département de la Seine-Saint-Denis est-il spécialement attaché au 1% artistique ?

Exposer l’art dans l’espace urbain est une manière efficace à la fois de transmettre la culture contemporaine à de nouveaux publics mais aussi de promouvoir l’aide à la création auprès des artistes plasticiens, émergents ou confirmés. Cela faisait déjà partie des objectifs du Département lorsqu’il a organisé, de 1993 à 2008, la biennale d’art contemporain « Art grandeur nature ». Cela se poursuit donc depuis 2010 avec l’application du dispositif du 1% artistique dans un vaste projet départemental de constructions et de réhabilitations d’établissements scolaires. Environ 25 collèges sont concernés d'ici 2020.

À quel moment l’artiste intervient-il ?

L'appel à projets à l'attention des artistes est généralement publié au stade de l’avant projet définitif (APD) du bâtiment. Le processus idéal serait de faire travailler l'artiste lauréat et l'architecte dès la genèse mais cela s’avère hélas difficile. Le comité artistique est composé de l’architecte, du principal du collège, de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), du commanditaire – en l'occurrence le département – et de trois personnalités qualifiées nommées par la DRAC et le Département. Le titulaire privé (Vinci, Fayat, Eiffage, etc.) siège également dans ce comité dans les cas, plutôt nombreux en Seine-Saint-Denis, où les établissements sont réalisés en partenariat public-privé (PPP).

Comment cadrez-vous les commandes ?

Lors de la première réunion du comité, l’architecte présente son projet et le chef d’établissement évoque le contexte social et culturel dans lequel le collège s’insérera. Ces informations servent au comité pour rédiger un programme artistique spécifique. Lorsqu’un artiste prend connaissance de l’appel à projets où figurera ce programme, il doit pouvoir se faire une idée de l’ADN du projet. Mais nous faisons attention à privilégier un programme relativement ouvert afin de multiplier et diversifier les candidatures. En ouvrant sur deux ou trois pistes possibles, nous recevons généralement une soixantaine de candidatures par collège. Ces pistes peuvent par exemple résonner avec des aspects esthétiques et matériels de l’architecture, des lieux emblématiques, le programme pédagogique, le contexte socioculturel et historique du quartier etc.

Le choix de l’artiste s’opère de quelle façon ?

La deuxième réunion du comité artistique est consacrée à la présélection de trois ou quatre artistes qui sont invités à réaliser chacun une étude. Le comité est attentif à la parité, à une certaine diversité d'expressions artistiques mais aussi à un équilibre entre artistes émergents et expérimentés. Lors de l'évaluation de chaque candidature, le comité doit bien avoir en tête le programme artistique et le public bien particulier que constituent les collégiens, tout en évaluant la capacité de chaque candidat à pouvoir mener un tel projet ambitieux. Une fois présélectionnés, les artistes sont invités à découvrir le chantier et à rencontrer notamment l’architecte et le principal de l’établissement. Un dialogue continu avec le maître d'œuvre notamment est essentiel car l'artiste peut parfois être considéré comme un intrus qui risque de ne pas suffisamment tenir compte du projet architectural.

Au bout de trois mois, les artistes présélectionnés rendent chacun une étude artistique mais aussi technique. Il faut se rappeler que jusqu’à 800 élèves, le plus souvent très vifs et dynamiques, fréquentent chacun de ces établissements, ce qui peut entraîner un phénomène rapide d’usure des équipements. Nous devons évidemment aussi veiller à la sécurité de tous les usagers du lieu et nous sommes donc particulièrement soucieux de la qualité des matériaux et des dispositifs techniques proposés par les artistes. Ainsi, nous demandons à ce que figure dans l’étude artistique une fiche de prescription d’entretien de l’œuvre proposée afin que nous puissions anticiper le degré de maintenance pour les années à venir.

Les artistes viennent présenter, dans les détails, leurs projets lors de la troisième et ultime réunion du comité artistique. Cette présentation est suivie de la délibération et d’un classement proposé par le comité afin que le président du conseil départemental puisse valider le nom de l’artiste lauréat. Il arrive qu’un artiste soit retenu sous réserve d’approfondir un aspect technique ou de prendre davantage en compte des pistes thématiques pour nourrir des actions culturelles auprès des collégiens. Le budget du 1% ne doit pas forcément inclure des frais de médiation mais il est important que l’artiste prévoie, dans son étude de sujets, des axes d’approfondissement pour une démarche pédagogique qui pourraient ensuite être développés par l’équipe de l’établissement et par le Département en s’appuyant sur ses différents dispositifs consacrés à l’éducation artistique et culturelle. Certains projets artistiques retenus tiennent compte intrinsèquement d’une interaction continue avec les élèves. C’est le cas par exemple du vidéaste-cinéaste Éric Baudelaire dont l’œuvre, réalisée pour le collège Dora Maar à Saint-Denis, évolue sur quatre années avec la complicité d’un groupe d’élèves. La relation artiste/collégiens constitue un élément essentiel de cette œuvre cinématographique. Dans ce cas nous avons peu de soucis de conservation !

Justement, comment se passe l’entretien des œuvres ? Mettez-vous en place un programme de surveillance ?

Il n’existe pas, à l’échelle nationale, de règles juridiques en matière d’entretien des œuvres d’art dans l’espace public. La collectivité est responsable de ses œuvres et doit s’imposer un programme d’entretien dont la régularité n’est pas forcément évidente à déterminer. Nous essayons de nous adapter au type d’œuvre en fonction des risques. La sécurité des usagers est bien entendu la priorité mais s’y ajoute l’obligation de préserver l’aspect initial de l’œuvre dans le cadre du droit moral. Comme pour tout mobilier dans l’espace public, un entretien régulier est parfois nécessaire pour éviter une dégradation rapide. Ceci dit, nous n’avons pas eu encore à déplorer un seul acte de vandalisme, tout au plus un peu de grattage de peinture ou quelques rayures sur une photographie causées par des cartables suite à une bousculade.

Nous mettons en place une vérification technique annuelle pour les œuvres les plus complexes techniquement et demandons par ailleurs aux établissements de nous alerter s’ils constatent le moindre problème. Une fiche d’information, d’entretien et de gestion est confiée aux équipes administratives afin qu’elles puissent rester autant que possible autonomes. Ce document permettra aussi, nous l’espérons, aux générations à venir de bien identifier l’œuvre et de veiller à son bon fonctionnement. Nous sommes souvent amenés à nous prononcer sur des « vestiges artistiques » présents dans des collèges des années 1960-1970 où la recherche des noms des auteurs ou de leurs ayants-droit se révèle parfois une mission impossible. L’entretien et la gestion concernent autant le sens de l’œuvre que son aspect technique ; l’un ne va pas sans l’autre. Une œuvre en parfait état peut être oubliée. Nous sommes donc focalisés sur une transmission dans la durée, sous forme de communications diverses (cartels d’explication, site internet, etc.) et d’actions culturelles en continu qui permettent de ranimer l’intérêt pour l’œuvre.

Quel budget y consacrez-vous ?

Notre budget annuel d’entretien et de gestion est fixe et calculé sur la base de trois à quatre vérifications techniques ainsi qu’une ou deux restaurations. Mais en réalité, les besoins varient considérablement d’une année à l’autre, ce qui nécessite donc un certain jonglage avec d’autres lignes budgétaires au sein de notre service. Le charme de l’art contemporain c’est sa grande hétérogénéité matérielle, disciplinaire et même fonctionnelle et le département de la Seine-Saint-Denis souhaite favoriser cette diversité dans le choix des 1% artistiques mais le prix à payer est de ne pas pouvoir appliquer une démarche d’entretien préétablie. Chaque intervention doit être taillée sur mesure.

Avez-vous déjà été confronté à des restaurations ?

En ce qui concerne nos 1% artistiques récents, nous n’avons pour l’instant effectué que des restaurations mineures, parfois liées à des risques qui n’avaient pas été détectés en amont. Par exemple, au collège Jean Lurçat à Saint-Denis, Felice Varini a dû intervenir quelques mois seulement après la mise en place de ses œuvres murales dans des couloirs de salles d’enseignement, car les adolescents gratouillaient nerveusement la peinture en attendant les cours. Une peinture plus résistante a réglé le problème. Ceci dit, nous nous attendons prochainement à des interventions plus importantes sur les œuvres installées à l’extérieur des établissements, essentiellement à cause des aléas climatiques : renforcement d’ancrages et de fixations mais aussi des remises en état esthétiques, le soleil ayant par exemple une fâcheuse tendance à altérer la couleur de certaines œuvres.

Dernière mise à jour le 21 décembre 2020