TRAS LAS HUELLAS DEL DELITO. ANGIE BONINO

Le lien entre information et projet politique constitue la base du travail d'Angie Bonino. L'oeuvre de l'artiste s'appuie sur les contradictions que traverse  la modernité politique, et notamment le projet démiurgique de l'État-Nation de construire une réalité partagée pour un territoire et un peuple. Parmi les obstacles à cette volonté, les dynamiques transnationales du système capitaliste occupent une position centrale et, avec elles, la profonde incertitude sur le lieu et la forme du pouvoir politique.

 La prolifération de l'information a favorisé l'émergence de la figure de la conspiration, où se situe Angie Bonino pour questionner la pertinence de l'histoire officielle et son mode de production, en se fondant sur une ontologie politique qui parie sur l'existence d'une réalité doublement distribuée : la réalité de surface et une réalité qu'une série de signes et de preuves permettent de placer sur un autre plan. Les portraits de personnages-clés situent d'emblée l'exposition dans la relation entre l'officiel et l'officieux: les visages de Jean-Claude Trichet, ancien gouverneur de la Banque de France et de la Banque centrale européenne, les visages désespérés de traders durant le krach de 2008, le portrait d'Assange centrent le projet sur le déplacement du récit institutionnel que permet la reconfiguration de la réalité par des voix alternatives.

Le travail minutieux de collecte d'informations que le travail d'Angie Bonino suppose, n'est pas étranger aux techniques d'enquêtes que la littérature policière et d'espionnage a popularisé. Enquêter, de façon permanente et personnelle, afin de découvrir une réalité cachée : la cohérence que tisse ce processus entre chaque oeuvre, peinture, graphique ou nouveaux médias, est régie par la méfiance permanente dont le détective de la littérature est l'emblème. Les pièces répondent à une exigence documentaire, en présentant un ou plusieurs des éléments du processus de travail qui pourraient conduire à dévoiler la réalité du pouvoir. Chaque pièce devient ainsi un signe de la suspicion.

L'installation de Homesession fait allusion à la démocratisation du récit et la contestation d'une réalité uniforme. Les nouvelles technologies de l'information ont contribué à brouiller les sources et les contours de l'information, ce qui permet aux institutions de déployer des stratégies proprement biopolitiques de construction de la réalité. Cependant, ces mêmes technologies offrent aux récits alternatifs la possibilité de leur circulation. S'il existe des accusations de complot et  des contre-accusations de se livrer à des théories du complot (étirées jusqu'à emprunter le diagnostic psychiatrique de la "paranoïa"), c'est précisément du fait de l'asymétrie sociale entre les différentes productions de la réalité et du contrôle des instances de légitimation.

 Angie Bonino le souligne en incluant deux pupitres dans son installation. Sur l'un d'entre d'eux, un micro devant un écran peut faire penser à ces conférences de presse de l'actuel Premier ministre espagnol organisées à distance et sans questions : la disposition du microphone, cependant, fait clairement allusion à l'opposition entre les discours et à l'inégalité de leur mode de circulation. La deuxième position vient compléter cette approche avec un écran, sur lequel des schémas, des dessins et des diagrammes présentent de façon didactique le propre contenu du travail de dénonciation du récit official de la part de l'artiste.

 Avec ce travail qui donne forme à une recherche permanente, Angie Bonino construit un espace militant qui met en relation des positions, des discours et des intentions et dont l'objectif est de se placer en contrepoint de la «grammaire de la normalité", un ensemble de règles qui font que le discours officiel soit le seul légitime pour traiter la réalité à grande échelle.