Raphaël Dallaporta, Hanako Murakami, Prendre le temps

Exposition
Photographie
Jean-Kenta Gauthier | Vaugirard Paris 15
Vue d'installation, Prendre le temps, Raphaël Dallaporta, Hanako Murakami, Jean-Kenta Gauthier Vaugirard

Présentée du 11 juin au 30 juillet 2022 à la galerie Jean-Kenta Gauthier / Vaugirard, l’exposition Prendre le temps rassemble des œuvres de Raphaël Dallaporta (né en France en 1980, vit à Paris) et Hanako Murakami (née au Japon en 1984, vit à Paris) qui invitent le visiteur à repenser son rapport au temps et à l’espace.

Fossiles de lumière et de temps

Depuis deux décennies, Raphaël Dallaporta élabore une oeuvre qui invite à la contemplation, au ralentissement, à la quête de ce sentiment d’ « être au bon endroit au bon moment » comme aime à le répéter l’artiste. S’affranchissant documentaire pour embrasser les mouvements du monde et le rapport que nous entretenons avec ce dernier, Raphaël Dallaporta conçoit depuis 2015 l’idée des Sculptures de courant d’air (2022) présentées dans l’exposition. Le résultat de cette lente recherche consiste en des sculptures faites de petites hélices qui, après avoir tourné dans divers lieux sous l’effet des mouvements de l’air, sont désactivées pour être présentées inertes dans des boîtes d’entomologie, comme des objets inanimés et conservés dans un écrin protecteur.

Présentées aux Rencontres d’Arles (2019) et au FRAC Normandie (Rouen, 2020), les œuvres de la série The Immaculate (2019) de Hanako Murakami sont quatre photographies de grand format, agrandissements de   plaques de daguerréotype inutilisées datant des années 1850 et conservées tout du long dans leurs boîtes d’origine. Plaques d’étain de petit format recouvertes d’une émulsion d’argent, les daguerréotypes furent le premier procédé photographique commercialisé en France. Conçues dans le cadre des recherches de l’artiste sur l’histoire de la photographie, ces agrandissements rendent visibles de nombreuses marques d’oxydation et réactions diverses de la surface métallique qui semblent constituer des traces du temps qui a passé. Supports d’une photographie qui n’a pas eu lieu, les Immaculate de Hanako Murakami présentent pourtant de nombreuses couches temporelles, comme des « fossiles de lumière et de temps » selon la définition de la photographie qu’offre Daido Moriyama.

Ne pas photographier

Port, école, rue, forêt, frontière: Raphaël Dallaporta a ainsi choisi pour ses Sculptures de courant d’air une douzaine de lieux génériques à portée universelle, significatifs dans la vie de l’artiste et de chacun, et dans lesquels le déplacement de l’air incarne les mots de l’écrivain Georges Perec: « ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, I’habituel » (Approches de quoi?, 1973). La seule hélice mobile dans l’exposition, montée sur un socle, tourne sous l’effet des courants d’air générés par la configuration du lieu et les allées et venues des visiteurs, et constituera en conclusion de l’exposition la sculpture de courant d’air d’une galerie d’art. La « sculpture » est ainsi non pas la forme de l’air capté dans un lieu donné, mais la métaphore du temps vécu dans un lieu donné. Et face à chaque œuvre, le regardeur aperçoit dans la vitre son propre reflet, comme une invitation à se projeter dans le lieu représenté.

À propos de The Immaculate, Hanako Murakami écrit: « En attendant le moment de saisir l'image, cette surface lisse a été conservée intacte, dans une boîte sombre. Un siècle a passé. L'accumulation de l'obscurité dans cette surface froide semble s'être transformée en lumière. » L’artiste y voit également des accumulations d’images potentielles qui n’ont pas eu lieu. Ainsi sous la surface, The Immaculate abrite « une image mentale - celle que contient toute photographie dans sa latence », comme l’écrit Pascal Beausse pour l’exposition de Hanako Murakami aux Rencontres d’Arles en 2019. Objets mystérieux portant des traces quasi fantomatiques, ces agrandissements de vieux miroirs que constituent The Immaculate laissent également poindre la silhouette du regardeur plongé dans le vertige du temps.

Le temps retrouvé

Si Marcel Duchamp avait en 1912 qualifié l’hélice d’horizon indépassable de l’œuvre d’art*, Raphaël Dallaporta réhabilite ici l’hélice pour ce qu’elle porte en elle: la mémoire du lieu qui l’a animée. En mettant en place ces anémomètres qui n’enregistrent rien, Raphaël Dallaporta s’est imposé des temps de pause durant lesquels, attendant le courant d’air, il s’est, selon ses mots, « fait lui-même capteur, récepteur ultra sensible à tous phénomènes ». Ces sculptures qui s’apparentent à des portraits de nos lieux interrogent également la dimension photographique du travail de Raphaël Dallaporta. Depuis deux décennies, l’artiste élabore une œuvre dont la pratique photographique s’appuie sur des protocoles définis en amont afin que l’acte de prise de vue n’occulte pas la contemplation du moment. C’est ainsi qu’il a réalisé les projets Chauvet-Pont d’Arc: L’Inappropriable (2016) ou Ruins (2011) (pour lequel le drone conçu par l’artiste pour survoler le territoire afghan s’équipait déjà de petites hélices), alors que le grand pastel Parcours (2021) présenté il y a quelques mois à la galerie constituait une autre invitation au ralentissement. L’œuvre de Raphaël Dallaporta relève le défi de conserver le photographique en relatant un rapport fondamental au monde et au temps, sans réduire cette dimension à l’acte dit décisif de l’instantané. Le tout en s’efforçant d’interroger ce temps qui nous échappe sans cesse, de sorte que le titre même de l’exposition « Prendre le temps » est à la fois une invitation à la contemplation et une aberration due à notre approche utilitaire du temps.

En n’ayant rien photographié, les plaques de Hanako Murakami interrogent la notion d’index propre à la photographie. Si toute photographie devrait avoir pour référent un espace et un temps, The Immaculate ouvre la voie à une nouvelle temporalité, celle de l’objet photographique qui, non pas durant 1/125ème de seconde ou plusieurs minutes, mais durant 170 ans a lentement enregistré le passage du temps. Jusqu’à ce que l’artiste intervienne et mette un terme à cette durée. En ce sens, ces œuvres semblent s’être affranchies de la représentation d’un moment et d’un lieu, comme si elles résultaient de l’absence de toute décision. L’absence d’images était déjà à l’origine de la sculpture The Boxes (2019), aujourd’hui abritée dans les collections du Musée Nicéphore Niépce, et qui consiste en dix boîtes de conservation vides des photographies réalisées par Nicéphore Niépce dans les années 1820-1830 et dont nous n’avons quasiment aucune trace.

Georges Perec écrivait: « Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. » La photographie parle de tout, sauf du photographique, c’est-à-dire notre rapport au monde, au temps, à la mémoire. Avec Sculptures de courant d’air et The Immaculate, Raphaël Dallaporta et Hanako Murakami s’affranchissent de la photographie et nous indiquent comment, en prenant le temps, le photographique peut saisir ce dernier.
 

 


(Jean-Kenta Gauthier, juin 2022)

 

 

 

* « C’est fini, la peinture. Qui désormais pourra faire mieux que cette hélice? » Ainsi se serait exclamé Marcel Duchamp face à une hélice d’avion lors d’une visite avec Constantin Brancusi et Fernand Léger de l’Exposition de la Locomotion Aérienne au Grand Palaifs à Paris en 1912.

Horaires

Mercredi - Samedi

14h - 19h  

Adresse

Jean-Kenta Gauthier | Vaugirard 4, rue de la Procession 75015 Paris 15 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022