Pasteur, saint laïc de la science moderne

Par Sonia Banting
Laurent-Gsell, La vaccine de la rage, vers 1887

Laurent-Gsell (Gsell Laurent Lucien, dit), La vaccine de la rage, vers 1887 (Achat en salon en 1887, Inv. FNAC 1150)

Une Leçon de clinique à la Salpêtrière, par André Brouillet

André Brouillet, Une Leçon de clinique à la Salpêtrière, 1887 (Achat en salon en 1887, Inv. FNAC 1133). En dépôt au Musée d’histoire de la médecine, Paris.

Cette huile sur toile représente le Docteur Jean-Martin Charcot professant une leçon d’hypnose à l'hospice de la Vieillesse-Femmes, centre d’études et de soin de la folie (La Salpêtrière). Tels Gervex et Laurent-Gsell, également présents au salon de 1887, Brouillet démontre un réel talent de portraitiste de groupe et s’inscrit dans les pas de Rembrandt (La Leçon d’anatomie du Dr Tulp, 1632).

Buste de Louis Pasteur, par Naoum Aronson

Naoum Aronson, Louis Pasteur, 1922 (Achat à l’artiste en 1923, Inv. FNAC 3171). En dépôt à l'Université Louis Pasteur (Strasbourg), Institut de Bactériologie, hall d’honneur.

Louis Pasteur, par François Lafon

François Lafon, Louis Pasteur, 1884 (Achat en salon à l’artiste en 1884, Inv. FNAC 190, FNAC 663)

En dépôt au Musée Pasteur (Dole)

Un an avant la première injection qui sauvera le petit Joseph Meister de la rage, Lafon représente déjà Louis Pasteur dans son cabinet de travail, en portrait d’apparat, portant l’insigne de la Légion d’honneur : Chevalier en 1853, Commandeur en 1868, Grand Officier en 1878, Grand-Croix en 1881, récompensant ses recherches sur la fermentation, la vinification et la vaccination animale (choléra des poules, charbon des moutons).

Le Jubilé de Pasteur, par Jean André Rixens

Jean André Rixens, Le Jubilé de Pasteur, 1902 (Achat par commande en 1893, Inv. FNAC 1589)

En dépôt depuis le 29 juillet 1902 : Université de Paris I-Sorbonne

Il aura fallu huit ans à Rixens pour représenter les 408 personnages venu assister au Jubilé de 1892 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne : proches de Pasteur, hommes de la communauté internationale scientifique et politiques, dont le président de la République, Sadi Carnot au bras du savant.

Hommage à Pasteur, par Gérard Collin-Thiébaut

Gérard Collin-Thiébaut, Hommage à Pasteur, 2003, Tapisserie de basse-lisse d’Aubusson (Achat par commande à l’artiste en 1998, Inv. FNAC 02-789).

En dépôt à la Préfecture du Jura (Lons-le-Saunier)

Cette tapisserie conçue pour le salon Marc Matet à la préfecture du Jura à Lons-le-Saunier évoque la vie de Louis Pasteur illustrée par une frise d’âges de huit portraits, bordée en haut et en bas d’images de virus, le tout encadré de feuilles de vignes et de grappe de raisins. Sous les portraits est écrite cette phrase: “Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise pas que les esprits préparés”. Ces mots prononcés par Louis Pasteur lors d’un discours officiel à la faculté des Sciences de Lille, le 7 décembre 1854, s’applique tant à la science qu’aux arts plastiques.

Le jubilé Pasteur, par Laurent-Gsell

Laurent-Gsell (Gsell Laurent Lucien, dit), Le jubilé Pasteur, vers 1893 (Achat au Salon en 1893, Inv. FNAC 140). En dépôt depuis 1894 à l’ École normale supérieure (Paris).

Louis Pasteur (1822-1895) : difficile d’ignorer ce père de la médecine moderne qui, aux côtés de Victor Hugo ou de De Gaulle, figure au palmarès des grands hommes ayant marqué de leur nom la topographie urbaine. Son image pare, depuis la fin du XIXème siècle, les places publiques, les cimaises des musées comme les murs des grandes écoles - tel le tableau de Laurent Lucien Gsell, La vaccine de la rage, aujourd’hui conservé à l’Institut de Bactériologie de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg.

La médecine s'invite au Salon

L’œuvre est peinte par le propre neveu de Louis Pasteur, Laurent Lucien Gsell, dit Laurent-Gsell (1860-1944), élève d’Alexandre Cabanel. Présenté au salon de la Société des Artistes Français de 1887 sous le n°1423 et le titre erroné Le 1er septembre (l’artiste précise dès mai 1887 l’intitulé, La vaccine de la rage), le tableau est acheté par l’État le 12 juillet 1887 (numéro d’inventaire : FNAC 1423).

Laurent-Gsell dépeint un jeune enfant, le ventre découvert, présenté par sa mère au Docteur Jacques Grancher, qui se prépare à lui administrer une injection antirabique (contre la rage). Pasteur se tient debout, une feuille à la main. La scène se déroule sans doute dans le centre de vaccination installé rue Vauquelin. À l’arrière, se tiennent probablement le Dr Charles Chamberland (de profil, barbu) et le biologiste Adrien Loir (homme moustachu, à lunettes), principaux collaborateurs de Pasteur et de Grancher. À gauche, plusieurs étrangers, slaves et berbère, assistent à la scène.
La composition du tableau rappelle étonnamment une sainte conversation de la Renaissance dans laquelle les hommes de sciences et les curieux ou patients étrangers ont remplacé les hommes de Dieu et les bergers, autour de la Mère et son Enfant. L’artiste sacralise ainsi la science.

À la gloire de la science

Karl-Joris Huysmans cite ce tableau dans sa revue du Salon de 1887. Sa critique est sévère : « [La toile] est d’un faire impersonnel. Au demeurant, peinture orthodoxe, bien élevée » (La Revue Indépendante, mai 1887). Le choix du sujet en effet relevait presque de l’ « orthodoxie » en cette année 1887 : à ce même Salon, figurent plusieurs œuvres ayant trait à la science et plus particulièrement à la médecine. Ainsi sont présentés sous le n° 1027 Avant l’Opération d’Henri Gervex (figurant le Dr Péan travaillant à l’hôpital Saint-Louis) et Une leçon clinique à La Salpêtrière d’André Brouillet sous le n°363. Ce dernier tableau est également acheté par l’Etat.

Il s’agit alors de vulgariser la science. Ces médecins ou scientifiques, au premier rang desquels s’inscrit Pasteur, révolutionnent les pratiques et diffusent leurs savoirs en France et à l’étranger. Suite à une souscription internationale lancée par Pasteur en 1886, l’Institut Pasteur est créé par décret du 4 juin 1887. Dès 1886, la méthode de vaccination développée par Pasteur est diffusée en Russie et les Instituts se multiplient à l’étranger : 1891 à Saïgon, 1893 à Tunis, 1894 à Alger.
Cette huile sur toile s’inscrit ainsi dans le positivisme et la politique de diffusion des savoirs de la IIIème République.
L’image même du tableau de Laurent-Gsell est diffusée par le biais de la lithographie d’Eugène Pirodon (dont le Louvre conserve le dessin préparatoire, RF 39654), imprimée dès 1887 par Desjobert, puis reproduit en carte postale.

À la mémoire de Pasteur

L’État, lui, n’aura de cesse d’enrichir sa collection à la gloire de Pasteur. Au premier portrait entré dans les collections, peint par François Lafon (FNAC 663), acheté en 1884, et au tableau d’Albert Edelfelt acheté en 1886, aujourd’hui exposé au musée d’Orsay (MV 6764), succèdent nombres de commandes jalonnant les événements pastoriens.
Ainsi en 1893, l’État commande à Jean André Rixens, une œuvre monumentale, célébrant le Jubilé de Pasteur du 27 décembre 1892 à La Sorbonne pour orner une salle de l’Université (FNAC 1589). Mais il achète également à Laurent-Gsell le petit tableau du Salon de 1893, Le Jubilé de Pasteur ; le Dr Lister donne l’accolade à M. Pasteur au nom de la Société royale de Londres (FNAC 140).

Le centenaire de la naissance du savant est célébré en 1923 à travers le pays, notamment par l’ouverture de plusieurs musées Pasteur à Dole ou à Strasbourg. À cette occasion La vaccine de la rage de Laurent-Gsell quitte l’Institut Pasteur où il est déposé depuis 1894 pour rejoindre le musée alsacien.
De même, Naoum Aronson est chargé de réaliser pour l’Institut parisien un buste en marbre (FNAC 3169), abondamment reproduit par les ateliers de moulage du Louvre pour être ensuite déposés, comme les estampes de Louis Orr d’après le tableau d’Edelfelt.
Quelque cent ans après sa mort, une commande publique pour la Préfecture du Jura lui rend hommage sous forme de tapisserie, conçue par Gérard Collin-Thiébaut (FNAC 02-789).

M. Pasteur a vaincu la mort écrivait Henri de Parville dans Les Débats du 28 octobre 1885… Au héros national, ces œuvres offrent une part d’immortalité.

Sonia Banting
Chargé de documentation et du récolement

Bibliographie

La leçon de Charcot [Texte imprimé] : voyage dans une toile : exposition organisée au Musée de l’Assistance publique de Paris, 17 septembre - 31 décembre 1986 / [catalogue rédigé par Nadine Simon-Dhouailly]. - Paris : Musée de l’Assistance publique, 1986.

Debré Patrice, Louis Pasteur, Flammarion, 1994.

Hottin Christian, « Un grand homme dans le petit monde des grandes écoles », In Situ, revue des patrimoines, n°10, 19 mai 2009 (en ligne http://www.insitu.culture.fr)

Salomon-Bayet  Claire, « La gloire de Pasteur », Romantisme, 1998. n°100, pp. 159-169.

Dernière mise à jour le 21 avril 2021