Maude Maris

Nulle part il n’y a de paysage
Exposition
Arts plastiques
Galerie du Haut Pavé Paris 05

Du 8 au 31 mars 2012, la Galerie du Haut-Pavé présente un ensemble de travaux de Maude Maris, née à Caen en 1980.

La peinture de Maude Maris procède par simplification et élimination du détail, par lissage, dit-elle. Partant d’images collectées sur Internet ou dans des catalogues d’équipements industriels, elle les assemble et les transforme, supprimant leurs détails, leurs aspérités pour n’en garder que la configuration essentielle. Ainsi épurées, ces formes n’ont plus d’échelle et peuvent indifféremment évoquer des monuments ou de menus objets qui pourraient tenir dans le creux de la main. Il s’agit donc d’un véritable processus de distanciation du sujet, à la manière dont Brecht usait dans son théâtre, mais aussi comme l’entendent les psychanalystes quand ils évoquent cette mise de soi-même à distance, dans un processus qui peut aller jusqu’à la déréalisation.

Les images résultantes baignent dans un flux d’ambiguïtés. Ce sont de fausses maquettes d’objets improbables ou suspects, mais traités avec une perfection, un fini, un léché qui laissent deviner un modèle longuement observé, comme en témoigne le rendu sourcilleux de la perspective et des ombres, que n’auraient pas renié les peintres du Réalisme magique. Les espaces figurés peuvent être simultanément les pièces d’une demeure virtuellement habitable ou l’étroit espace d’un théâtre miniature comme ceux que Nicolas Poussin utilisait pour préparer ses compositions. À la charnière entre figuration et abstraction, ces constructions interpellent le spectateur sur l’essence de la peinture : murale ou de chevalet, cosa mentale ou représentation de réalités physiques ou incorporelles, métaphore ou vérité première, signification ou contemplation, chantier ou produit fini, décoration ou plaidoyer esthétique, microcosme ou macrocosme, stabilité ou déséquilibre, menace potentielle ou espace ludique… Autant de confrontations auxquelles le spectateur ne peut échapper, sauf à battre en retraite…

Les couleurs tendres, nuancées et subtiles, le recours à la technique de la peinture à l’huile, le rendu quasi tactile des textures de certaines surfaces attestent d’une sensualité qui s’oppose de façon presque dialectique à l’apparente froideur de constructions déshumanisées et probablement inutiles. L’étrange et l’artificiel deviennent désirables, séduisants comme le chant de sirènes qui voudraient faire sombrer le spectateur dans un espace où l’absurde artificialité d’un monde dénaturé se pare des attraits de la grande tradition picturale. D’une certaine façon, Maude Maris détourne le concept de trompe-l’œil pour créer des trompe-tous-les-sens-et-l’esprit. Dans cet univers dont on ne sait situer les limites ni définir la matérialité, le Lewis Carroll de De l’autre côté du miroir rejoint le Bachelard de La Poétique de l’espace et sa métapoétique.

Dans ses dessins, et plus spécifiquement dans la série des Maisons noires, Maude Maris nous invite à sortir dehors et à observer ce que pourrait être le contenant des espaces figurés dans ses peintures. En première lecture, ces architectures rigoureuses empruntent aux blockhaus allemands en béton armé jalonnant la côte normande, aux architectures modernistes de Le Corbusier, aux modèles topologiques d’Escher et aux Prisons piranésiennes. Pour utiliser la terminologie de Deleuze analysant Foucault, on assiste ici au passage de la subjectivation des plissements ou du dedans de la pensée vers une pensée du dehors[1], du savoir au pouvoir.

La première question qui vient à l’esprit est celle de l’habitabilité de telles structures. La disposition des ouvertures, la confusion des niveaux, la compacité des volumes labyrinthiques, l’apparente unicité du matériau, l’absence de toiture, l’interchangeabilité du haut et du bas, de la droite et de la gauche poussent rapidement à conclure à l’artificialité de ces demeures en forme de mausolées. Il s’agit donc, ici, d’une remise en cause du caractère utilitaire des maisons qui deviennent monuments, lieux de mémoire, reliquaires des fantasmes et des interdits de notre société.


[1] « Penser ne dépend pas d’une belle intériorité qui réunirait le visible et l’énonçable, mais se fait sous l’intrusion d’un dehors qui creuse l’intervalle, et force, démembre l’intérieur. », in Foucault, éditions de Minuit, 1986.

Artistes

Adresse

Galerie du Haut Pavé 3 quai de Montebello 75005 Paris 05 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022