Marie Denis L'Herbier Noir

Exposition personnelle
Exposition
Arts plastiques
Galerie Alberta Pane Paris 03

 

MARIE DENIS

L’Herbier noir

21.05.2016 - 16.07.2016

Vernissage samedi 21 mai 2016 à 16h - Dans le cadre de Choices Paris Collectors Week-end

 

Conversation entre Marie Denis et Alberta Pane

 

Alberta Pane : Chère Marie, je me souviens encore de la première fois que l’on s'est rencontrées, c'était en 2009, lors d'une exposition à la Manufacture de Sèvres, tu avais été invitée par Adrien Pasternak, commissaire de l'exposition.... et aussi ma première rencontre avec toi et avec ton univers à l'atelier, la pièce Memento Mori qui m'a tellement émue... Peux-tu nous parler de ton univers et ton travail à cette période?

 

Marie Denis : Merci, cara Alberta, je me souviens de tout.

De ta visite d’atelier, bien sûr, et de Memento Mori, cette vanité végétale saisie entre deux verres, un crâne-masque qui semblait arrêter le temps.

Cette époque était dans une dynamique de retour de résidences :

- Green Spirit, avec la Galerie d’O de Montpellier, 2008,

- Denys-Denis, au Musée Denys Puech de Rodez, 2008,

- Alexandra ou le papier amoureux, avec le CAIRN et le Musée Gassendi de Digne-les-Bains, 2009.

Les résidences ont des mouvements et des temps de recherches et d’élaborations intenses et qui m’ont construite.

 

Je plongeais là dans mes prédilections végétales (collecte de plantes prêtées pour installer une serre, comme avec le CNAC Le Magasin en 1998) et dans des développements sculpturaux où les matériaux précieux (cuivre, cristal, fil d’or, fourrures tressées, plumes de paon, inox), ou incongrus (sucre roux, silos à grains, captures vidéos de phénomènes) incarnaient les formes prises dans la nature, et où les collaborations (Compagnons du devoir), comptaient.

 

Une période aussi où “les herbiers de curiosités” prenaient de l’épaisseur (expérimentation de fax-estampes évoluant en cabinets graphiques), où la question des spécificités de la nature et donc de l’herbier prenait corps. Tout ce qui aujourd’hui reste ma source : le végétal et la nature sublimés et interrogés.

 

AP : Après cette rencontre, une première exposition personnelle à la galerie, soutenue par le CNAP (Centre national des arts plastiques). L’exposition Les Curiosités s’inspirait des cabinets de curiosités de la Renaissance, et a été un grand succès. L’espace de la galerie était repensé et comblé par des œuvres inédites, parmi lesquelles quelques-unes d’inspiration duchampienne…

 

MD : Roue de paon, feuillages de palmier et lotus, herbier litho et diapo ponctuaient l’exposition comme dans le cabinet d’un amateur de curiosités.

Et aussi, oui tu as raison, des annuaires jaunes roulés sur eux-mêmes (les fossiles), un aimant à forte magnitude plongé dans la limaille qui le galvanise (fleur de calamite), des billets de 10 £ où Elisabeth II se trouve dans la posture de la Joconde revue et corrigée par Duchamp (L.H.O.O.Q), un plan de métro avec deux points d’usure (Lovers)…

 

Ces objets détournés et à forte charge poétique ou évocatrice, opèrent entre détournements et titres, des échauffements de l’esprit qui nourrissent mon répertoire.

Quant à Duchamp, My Daddy is duchampien, et Marcel berce avec malice et de manière quasi familière ma vie. 

 

AP : Oui tout à fait, dans tes mains, la matière et les objets se transforment pour devenir autre chose… La sculpture est une partie importante de ton travail. D’ailleurs dans ta troisième exposition à la galerie, Lucy, nous avons montré des sculptures de grandes dimensions, faisant référence à un monde ancestral, tu venais d’avoir ta fille, la maternité, les origines, plusieurs choses…

 

MD : Lucy comme titre, pour personnifier le corps même de l’exposition.Lucy, dans l’inconscient collectif, c’est la première femme, la mère de l’humanité.

Les œuvres en présence : un œuf-gigogne (3 essences de bois), un cheval-test-de-Rorschach, une grappe-rafle* de raisin en frêne nu, des frises-fax-estampes, comme autant d’objets du monde de Lucy.

Un monde primordial, une présence sculpturale qui développe la vie des idées... et celle de l’artiste, car, oui, il a y de la biographie filigranée dans une œuvre, même imagée.

Ici le cheval, l’œuf, la grappe étaient des figures, des représentations, parlant de la vie et de ses mystères.

Quant à la transformation de la matière et des objets, c’est cardinal dans mon univers.

“Changer la matérialité”, cela vient des “on aurait dit que” de l’enfance, prolongés par les explorations étudiantes et, bien sûr, les résidences : incubateur immersif, pour moi, ces temps élaborants si importants où la matière s’interprète.

 

AP : Et tu travailles à toutes les échelles, du grain de raisin au tilleul vénérable du Parc de Madame Elisabeth à Versailles, d'un paysage de fleurs en métallerie (Dunaire) au terrain de foot incliné à Munich … Comment et pourquoi ces questions spatiales, extérieures et grandeur nature jalonnent-t-elles ton travail?

 

MD : L’espace jalonne mon travail par les résidences et “théâtres des opérations” que je traverse : invitations et contextes dedans/dehors où les contraintes (pérennités/échelle 1) sont créatives.

Plus récemment, l’expérience de la Côte d’Opale, ou celle de Gascogne ont beaucoup compté.

Signer des sculptures qui semblent nées des éléments : véritables poèmes à paysage.

Le portail Arts déco dans l’airial des Landes de Gascogne, tintinnabulant d’orgues inox, et accompagnait mentalement le promeneur.

Et en Côte d’Opale, les tiges en fer à béton qui orthonormaient les chardons étaient une sculpture délicate, dialoguant avec ce petit val-microcosme.

 

AP : Le végétal en colonne vertébrale, pourquoi? 

 

MD : L’enfant que j’ai été est toujours là et les recherches de mes vingt ans résonnent encore.Je viens d’Ardèche et des Alpes du Sud, d’allers-et-retours faits de garrigue et d’eau claire au goût de neige. Un chemin d’exploration et d’écoute des choses de la nature.

 

* La rafle est la charpente d'une grappe de raisin.

 

 

C’est ensuite aux Beaux-Arts (de Lyon) que se sont construits ces états de nature.J’explore depuis 20 ans le végétal, entre expérimentations et métamorphoses.

Les herbiers ont beaucoup d’importance dans mon travail. Ils deviennent diapositive chlorophylle, photomaton-Haïku ou sont transformés par mon fax thermique.

Chaque œuvre croise des savoir-faire, je tiens sans doute ça de mon père, Meilleur Ouvrier de France en dessin de broderies. Des artisanats partagés avec des ébénistes, coiffeurs, couturières, métalliers... inspirent des idées qui échappent à la seule technique.

 

Pour en revenir au végétal, je fais partie des enfants du Land Art, cette génération d’artistes où la question de la nature est centrale.Le Land Art est édifiant par son ampleur et par la force des œuvres qui agissent dans et avec l’espace du paysage.

Il y a un avant et un après « Land Art », qui favorise une liberté nourrissante dans la pratique de l’art aujourd’hui. Exprimer le végétal, au-delà d’un décorticage stylistique, est ma réponse au monde.

 

AP : Jusqu’à aujourd’hui comme avec l’Herbier noirComment le graphite et sa pratique sont arrivés dans ton travail?

 

MD : Au siècle dernier(!) aux Beaux-arts, un professeur que j’aimais beaucoup, André Jaoul, amoureux des courbes douces et classiques nous a fait découvrir le principe de la patine.

Je l’ai appliqué à mes galets de bois fait main, et donc patinés, que ce soit avec de la poudre de graphite ou du cirage.

C’est la magie de la patine au graphite, de passer ainsi du dessin à la sculpture.

Comme le dit bien Richard Serra " la noirceur est une propriété, pas une qualité", où dans les années 70, lui et Bill Bollinger s’adonnaient au monochrome entre éclaboussures et poussière de graphites monumentales.

D’autres formes noires me fascinent comme les Calcinations de Paul Armand Gette (1960, papier froissé, imprégné de résine vinylique et d’oxyde de fer noir).

J’aime la manière dont les artistes réinventent cet art ancien de la patine.

Ma pratique de la patine étant dans un paradoxe, appliquée à des formes organiques et par essence fragiles : Grands feuillages de palmiers et nénuphars, coques et écorces, œufs d’autruche, de nandou...

Mais aussi sur blocs de Lauze.

Une forme de fossilisation d’éléments de flore et faune, car saisit par le graphite, ils sont minéralisés par cette matière.

 

AP : Parle-nous de L’Herbier noir, cette nouvelle exposition à la galerie.

 

MD: Il me semble la rêver et la porter depuis des années !

Mes prédilections végétales, l’herbier et ses facettes… et comment, dans cette exposition, mes planches d’herbier arrivent au noir. Ce sera le contraire d’une scénographie: une présentation écorcée, mettant en lumière ce qui se passe sous le verre.

Des sous-verres qui saisissent fleurs, feuillages, fines « tranches » de bois, comme avec le diorama sylvestre (des “feuilles” de 1mm d’épaisseur, de mélèze, poirier et acacia, production Galerie Alberta Pane et Kamila Régent et aide au projet de la FNAGP).

Mais aussi par le noir des patines qui deviennent négatifs, solarisations, filigranes obscurs de végétaux sublimés : le yang de mes estampes-fax, en quelque sorte.

Le noir était déjà là en 2014 avec Le Quintet Haïku, corpus photographique (production  Artothèque du Lot) où le corps est catalyseur d’herbier et cabinet de curiosités : Les photomatons-haïku.

Des verres tels des réserves à graines ou lamelles de biologiste, qui suspendent et subliment cette fragilité végétale.

Dès l’entrée de l’exposition, un déploiement d’œuvres posées le long du mur et au sol, la rainure mur/sol opèrant comme un livre qui s’ouvrent à l’italienne (horizontalement) pour une lecture en plongée : on s’assied dans les fauteuils, ou on reste debout pour s’absorber dans les œuvres.

Elles sont « déposées », entre inventaire et atelier, une proposition nue au plus près de mon travail.

Et pour en revenir au corps de l’exposition, des surprises aussi sont en construction(!)

 

AP : Quelle est ta vision de l’artiste aujourd’hui ?

 

MD : À mes yeux, l’artiste est « sismographe », il capte, capture et transforme ce que l’époque produit sans distinction.

Il filtre et distingue. C’est un saltimbanque revendiqué au sens du nomadisme de la pensée, et de l’attitude qui se traduit « en formes », par sa pratique.

L’artiste n’est pas le gardien du temple au sens moral, mais donne un éclairage du monde.  Il propose par «ses visions», ses formes éclectiques, un entendement, de l’empathie et de la résistance, un décryptage dans ce que le monde a de perpétuel.Par delà sa propre vie, l’artiste « hors de lui », émet des formes et des messages qui civilisent la vie.

 

AP : Artiste française aujourd’hui….

 

MD : Artiste française me semble résonner comme si je devais justifier d’être une pomme reinette ou Gala.

Je ne sais pas répondre à cette idée.

Oui la vieille Europe et nos questions de civilisations... mais je marche sur un chemin ouvert au monde, même si mes réminiscences sont colorées d’occident.

 

A.P : Qu’attends- tu de cette exposition ?

 

MD : J’attends - comme chacun de tes artistes - de te surprendre, de me surprendre. De nous faire voyager et ouvrir les rétines du cœur.

Là c’est « un voyage en herbier » que je vous propose, un herbier aussi souverain à l’œil qu’il sera poème au sens de ce qu’il suscite j’espère.

 

 

*« Ce projet a été sélectionné par la commission mécénat de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques qui lui a apporté son soutien ».

 

Artistes

Adresse

Galerie Alberta Pane 44-47 rue de Montmorency 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022