The Magic Bullet

Jeremy Shaw, Rob Pruitt, General Idea, Berger&Berger
Exposition
Arts plastiques
Galerie TORRI Paris 03

Présentée pour la première fois en France, Magi© Bullet (1992) oeuvre emblématique du travail ludico- pop-engagé du trio canadien General Idea, inonde de ses dizaines de pilules argentées gonflées à l’hé­ lium le plafond de la galerie. A l’image de la réaction aux drogues, au fil du temps, les vigoureux ballons se rétractent, perdent progressivement de leur apesanteur pour tomber un à un au sol. Les visiteurs sont ensuite invités à récupérer ses enveloppes échouées, inertes pour les emporter hors de l’espace et ouvrir une autre page de la vie de Magi© Bullet, ailleurs. La métaphore du « getting high and then down » se poursuit alors dans celle de la dissémination et la contamination du virus VIH qui marqua tant la commu- nauté gay de la fin du XXème siècle jusqu’à faucher deux des membres de General Idea.

 

Avec Magi© Bullet, General Idea revendique la nécessité de nourrir des formes empruntées des pro­ blèmes sociétaux de leur époque en faisant fi de relation au copyright et des questions de signature for­ melle. « Nous sommes entrés dans l’histoire, nous nous sommes emparés d’images, les avons vidées de leur sens et les avons réduites à l’état de coquilles. Ensuite, nous avons rempli les coquilles de glamour, l’innocence « tarte­à­la­crème » de la vacuité, l’horrible silence des ailerons de requins déchirant l’eau huileuse » disaient­ils. On voit ainsi une référence appuyée aux Silver Clouds, 1966, d’Andy Warhol dont le caractère ludique serait contrarié par une déchéance fatidique.

 

Et toute l’exposition de se composer autour de Magi© Bullet, pour jouer dans son sillon la carte de la manipulation et du renvoi référentiel.

Perché dans un angle de mur en écho évident au display de l’exposition manifeste « 0.10 » de Petrograd en 1915, le Green square on white (2012) du canadien Jeremy Shaw rejoue à la peinture verte utilisée pour l’incrustation vidéo le Carré noir sur fond blanc de Malevitch. Le vert est cette couleur qu’on évacue pour donner artificiellement contexte au sujet filmé. C’est celle de l’apparition potentielle et de la projec­ tion. Jeremy Shaw prend ainsi le parfait contrepied de la remise à zéro de la représentation du monde par la disparition de la forme prônée par le maître suprématiste. Ici, le monochrome est, au contraire, envisagé comme un préambule au motif. Il l’attend, l’invite, près à s’y soustraire.

 

Rob Pruitt lui aussi manipule la grande histoire du monochrome avec toute la malice qui le caractérise. Son Mother Earth (2012) joue dans son titre, son format et sa volupté chromatique des codes sympto­ matiques du modernisme pictural proprement américain, qu’un dessin au trait serait venu scarifier. On y verrait volontiers un zest de vandalisme à la manière d’une lacération de Lucio Fontana mais l’évidence simple de ce motif ne vient que sensuellement appuyer la rassurante sérénité d’une nature protectrice.

 

Enfin, le duo Berger & Berger, artistes récemment exposés à la galerie, revêtent ici leurs habits d’archi­ tectes pour répondre à une commande simple : puisque les ballons de Magi© Bullet dissimulent le dispo- sitif d’éclairage de la galerie, comment l’exposition peut­elle être éclairée ? Et quel meilleur hommage au travail de General Idea que de repenser une de leurs pièces lumineuses Magi© Carpet (1993) ? Ils pro­ posent donc ce carré de néons qui vient, le soir venu, inonder l’espace de sa lumière froide. Légèrement rehaussé par deux réglettes latérales, il semble en lévitation, comme l’exposition dans son ensemble.

 

Etienne Bernard

Adresse

Galerie TORRI 7 rue Saint Claude 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020