Les couleurs du ciel

Exposition
Arts plastiques
Centre international du vitrail Chartres

Vitraux de création au XXe siècle dans les cathédrales de France. Le siècle qui vient de s’achever aura en été marqué par une intense activité artistique et par une créativité toujours renouvelée dans le domaine du vitrail. Cette exposition veut convaincre le plus large public de la beauté, de l’abondance et de la variété des oeuvres réalisées par des artistes et maîtres-verriers qui réinventent le vitrail et redonnent vie et couleurs à ces grands monuments de notre patrimoine que sont les cathédrales. photo : digne rabinovitch

Complément d'information

les vitraux des années 1990 par P.L.Rinuy

Dans un souci marqué d’unité esthétique, les années 1990 ont vu l’émergence de commandes majeures confiées à un seul artiste, sélectionné par la Délégation aux Arts plastiques pour ses qualités novatrices internationalement reconnues, comme David Rabinowitch à Digne ou Robert Morris à Maguelonne. Le cas de Digne est l’exemple le plus marquant du désir, commun au commanditaire et à l’artiste, de créer un ensemble d’une unité plastique parfaite puisque David Rabinowitch a réalisé aussi bien les vitraux que le mobilier liturgique, la croix et le dessin même du sol de cette cathédrale romane. Je doute cependant de la réussite des proportions de l’autel et je continue de m’interroger sur la légitimité d’une cathèdre à ce point monumentale. Ce qui tendrait à prouver, à mon sens, que le fait d’attribuer un projet entier à un seul artiste ne garantit pas qu’il soit aussi bien inspiré dans tous les domaines de son intervention.

À propos de ces vitraux de Rabinowitch, Gilles Rousvoal, qui s’est occupé de leur réalisation, parle de « quasi absence de modèle » et d’une « aventure collective », si bien que « la création plonge dans l’inconnu », esthétiquement et techniquement. Comme de nombreux créateurs actuels, Rabinowitch n’invente pas un tableau-modèle transposable dans le vitrail mais tente de penser la forme selon les virtualités et les possibilités mêmes de la matière qu’il explore avec audace et conduit souvent au-delà des limites traditionnelles. L’artiste s’inscrit ainsi dans une logique analogue à celle de la taille directe en sculpture en refusant de séparer l’invention formelle et l’exécution matérielle, même s’il ne l’assure pas nécessairement lui-même. La part d’expérimentation technique est capitale, qu’il s’agisse d’utilisation de verres industriels, ou, dans la fabrication des cives de Digne, de la recréation de techniques ancestrales tombées en désuétude. Pour la cathédrale Saint-Pierre de Maguelonne, le jeu de superposition d’un verre extérieur et d’un verre intérieur, tous deux colorés, produit un résultat esthétique original qui met en valeur l’ondulation de lumière et de couleur voulue par le minimaliste Robert Morris, avec un effet de matière réussi.

Ces vitraux actuels des années 1990, je les comprends comme un éloge de la limite. Car le vitrail est une paroi ouverte, une limite qui agrandit l’espace intérieur et nous permet de concentrer notre regard. Si Rabinowitch préfère, à Notre-Dame-du-Bourg, une contemplation centrée sur l’intérieur de l’édifice à une ouverture sur le monde extérieur, Robert Morris métamorphose l’opacité en transparence et célèbre la couleur-lumière, la transforme en sculpture et lui confère la tridimensionnalité d’un verre en relief et en mouvement. Le vitrail contemporain est bien plus un acte, une célébration de la matière et de la lumière qu’une narration figurée. Christine Macel analyse le travail de Jan Dibbets à Blois comme une « catéchèse mise en mots et en images ». Il n’empêche que, malgré son usage du mot et sa méditation plastique sur la lettre, Dibbets me paraît essentiellement travailler sur la lumière que produisent ces baies, sur la faculté qu’ont les vitraux d’enrichir notre regard et de nous faire découvrir les richesses spatiales d’une architecture. Moins didactique qu’on ne le croirait, Jan Dibbets propose ici une théologie incarnée qui rythme, par la scansion même de ses trente et une verrières composées selon l’ordre d’un discours, notre déambulation dans l’édifice. Les phrases et les mots ne sont pas des pages de livre monumentalisées mais une manière de donner sens à notre cheminement dans l’espace. Jan Dibbets invite le spectateur, le fidèle, à faire de sa déambulation dans la cathédrale un acte ordonné dans l’espace et dans le temps, une démarche que je prendrais volontiers pour un acte de foi.

Figurarif ou non -et je pense ici au travail trop peu connu de Pierre Carron pour la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans- le vitrail célèbre la couleur, il est couleur-lumière-volume, et de plus en plus avec les verres contemporains, lumière sculptée qui nourrit notre regard et se mesure à notre perception physique de l’espace. Et au rythme des heures du jour comme de l’écoulement des saisons, ce vitrail que je nommerais pour ma part sculpture tant il est véritablement incarné en trois dimensions, se multiplie en formes diverses, selon les jeux du soleil et de l’ombre.

Les extraordinaires perfectionnements techniques que connaît l’art du vitrail depuis quarante ans attestent qu’il n’est en rien une simple image plate, mais qu’il est présence réelle, couleur et forme en acte. Dans les cathédrales plus qu’en tout autre édifice, les vitraux contemporains ont l’audace de se montrer pour ce qu’ils sont, une théologie en acte.


Paul-Louis Rinuy
Universitaire
spécialiste de la sculpture contemporaine
et de l’art sacré

Adresse

Centre international du vitrail 5 rue du Cardinal Pie 28000 Chartres France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020