L'échappée belle

Après plusieurs participations remarquées dans des expositions collectives (le spectre des armatures à Glassbox, Nuit Blanche à Paris) L'échappée belle est la première exposition personnelle de l'artiste Cyrille Maillot. Son travail trouve son origine dans la vision fantasmée d'objets usuels. Plutôt que d'en produire un de plus, l'artiste explore le devenir œuvre des objets existants. Il s'applique à annuler leur fonctionnalité par un minimum d'interventions qui suffisent à les faire entrer dans le champ de l'art. Sa pratique, qui s'inscrit d'emblée dans l'histoire du ready-made, se double d'interventions qui, aussi discrètes soient-elles, n'en sont pas moins préméditées. L'existence de l'œuvre se partage ainsi entre une présence de fait et sa perception altérée, déjà ailleurs. L'attention de l'artiste se porte d'ailleurs plus volontiers sur les objets sériels présentant un défaut de fabrication qui les rangent, par erreur, dans la catégorie des pièces uniques. C'est ce raté qui valorise l'objet et que l'artiste s'efforce de mettre en œuvre : l'art, plutôt que de masquer ses faiblesses, devient le moyen de les transfigurer. Les œuvres de Cyrille Maillot prennent consistance par ricochets, et loin d'adopter une attitude frontale et dramatique, sont réalisées sans compromis et sans mérite. D'une violence contenue, elles semblent émettre un bruit sourd, au bord de l'implosion. L'échappée belle se compose autour d’"Impact", pièce centrale de l’exposiiton : un mur qui après avoir encaissé un choc laisse entrevoir dans ses fêlures des interstices miroitantes. Le reflet incomplet, trop ténu pour que s'y distingue notre image, ne renvoie plus que celle de la rue derrière la vitrine, vidée de notre présence. Au premier plan se trouve "Proposition pour scénario de révolution", barrière de chantier en métal dont chaque barreau a été scié puis déposé en tas. L'œuvre combine avec efficacité deux systèmes de fabrication, l'un industriel, l'autre artisanal. Il s'opère visuellement une mutation d’un objet identifié à un autre : on passe de l'alignement standard de barres métalliques à l'enchevêtrement de lourdes et menaçantes barres à mines. Au sol s'entasse au hasard "Exécution", une vingtaine de diapositives vierges, sans aucune prise de vue. Nulle image à contempler, si ce n'est l'indication d'un vide imperceptible et pourtant bien réel : les diapositives signalent par leur cadre blanc l'entrée de trous creusés directement dans le sol de La Vitrine. La photo qui donne son titre à l'exposition, "Echappée belle", suit la même pente et nous aspire, par l'entremise d'une bouche d'égout, dans le siphon du sous-sol. Telle semble être la voie sur laquelle s'est engagée l'artiste. Celle de l'absurde, en deçà, sans qualités, mais qui, déconsidérant les critères et les valeurs établis, trace la seule issue possible à l'affirmation d'une œuvre qui échappe aux compromis et aux mensonges. L'échappée est belle, et se poursuit, avec "I don’t agree", en un puissant filet d'air.