To Leave is to Die a little

Exposition
Arts plastiques
Galerie Tator Lyon
"Tête" (détail) Sculpture en argile

Sculpture réalisée avec l'argile que l'artiste a trouvé dans la rivière de l'Ain.

 «La vivianite est toujours dans un état de liminalité, un état d’entre-eux, sur le point de devenir quelque chose de différent ou de nouveau.» - Melonie Ancheta1.
“« Partir, c’est mourir un peu. »2. Mourir, c’est vraiment partir et l’on ne part bien, courageusement, nettement, qu’en suivant le fil de l’eau, le courant du large fleuve. [...] Il n’y a que ce départ qui soit une aventure.” - Gaston Bachelard3

Lors de notre échange téléphonique en avril dernier, depuis sa résidence artistique à Moly-Sabata (Sablons), l’artiste Alisha Wessler a évoqué un détail au sujet de la Galerie
Tator : les murs du niveau inférieur de l’espace d’exposition sont rugueux et humides. Si tu passes ton doigt sur le mur, m’a-t-elle dit, des morceaux friables tombent dans ta
main. Cette image m’est restée en tête alors que nous parlions de l’ensemble des pièces qu’elle présentera. Une œuvre dont la nature est imprévisible, poreuse comme les murs. Une œuvre qui continue de se transformer même une fois achevée. To Leave is to Die a Little est une série de sculptures et de dessins qui utilisent l’argile de la rivière d’Ain comme point de départ. L’argile était bleu vif et immergée dans l’eau lorsque l’artiste l’a trouvée par hasard lors d’une journée d’excursion, ce qui lui a fait penser à tort qu’il s’agissait de vivianite, un minéral relativement rare, connu pour son aspect bleu vif et sa nature transitoire. Cette confusion l’a amenée à découvrir la richesse poétique et historique de la vivianite. Par exemple, le minéral est le résultat de ce que l’on laisse derrière soi - «qu’il s’agisse de déchets humains ou animaux, de matière organique en décomposition, ou d’os et de tissus humains/animaux»4. Les cultures Haïda et Tlingit de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord utilisent depuis longtemps ce pigment pour délimiter l’espace liminal entre la vie et la mort.

Fruits d’extractions au cours de nombreux voyages et travaillées méticuleusement ces deux dernières années, les sculptures ont évolué de façon constante, non seulement
sous la main de l’artiste mais aussi selon les lois de leur propre matérialité. Au fil du temps, une partie de l’argile bleu profond a perdu toute pigmentation, la couleur s’est diluée. L’artiste a également acquis une fiole de vivianite authentique. Elle a broyé la poudre, l’a mélangée à de la gomme arabique et appliquée comme pigment par endroits, pour faire revenir les bleus. Les dessins sont réalisés exclusivement avec le minéral bleu. Une sélection de céramiques cuites au four sont en effet dans un état figé, mais paradoxalement, l’argile bleue de rivière devient rouge à la cuisson et semble maintenant rouillée, altérée, comme si elle continuait à vieillir. L’utilisation d’oreillers et de draps comme dispositif d’exposition convoque également les notions de repos, de sommeil, de mort et de renouveau.

Ce corpus d’œuvres, qui est une série d’investigations, parvient à échapper aux taxonomies connues. Au fur et à mesure que je prends connaissance des objets qui seront exposés, je m’aperçois qu’il m’est difficile d’identifier avec assurance ce que je vois. Un élément qui me semble être de l’argile de rivière cuite au four (comme rouillée)
est en fait un champignon. Une sculpture que je prends pour de l’argile de rivière ayant perdu sa pigmentation est en fait une pierre taillée. Ces œuvres me troublent, je n’arrive
pas à cerner les matériaux utilisés ni le sujet représenté, qui se situe quelque part entre l’animal, le squelette, le biomorphique et le champignon. Curieusement, ce sont également les substances dont se compose la vivianite, comme si la nature liminale du minéral avait imprégné l’œuvre. Ce glissement taxonomique, qui a également motivé les
premières recherches de l’artiste, reflète des aspects fondamentaux de la vie : instabilité, imprévisibilité, précarité. Comme la vivianite, qui au départ est une matière morte en décomposition et qui émerge ensuite du sol sous la forme d’un minéral vibrant, le travail d’Alisha me rappelle un point important : la mort est aussi un substrat qui génère une matière première, un point de départ.

1 “Revealing Blue on the Northern Northwest Coast”,The American Indian Culture and Research Journal,
Melonie Ancheta, vol 43, 2020, 19.
2 «Rondel de l’adieu,” publié pour la première fois dans Seul, un roman en vers, Edmond Haraucourt, 1890.
3 “L’eau et les rêves : Essai sur l’imagination de la matière”, Gaston Bachelard, 1942, 93.
4 “Revealing Blue on the Northern Northwest Coast”, The American Indian Culture and Research Journal,
Melonie Ancheta, vol 43, 2020, 19.

Horaires

Accueil du public et médiation du lundi au vendredi, 14h–18h et sur rendez-vous

Adresse

Galerie Tator 36 rue d'Anvers 69007 Lyon France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022