L'eau, elle-même

« Quand je vois à travers l'épaisseur de l'eau le carrelage au fond de la piscine, je ne le vois pas malgré l'eau, les reflets, je le vois justement à travers eux, par eux. S'il n'y avait pas ces distorsions, ces zébrures du soleil, si je voyais sans cette chair la géométrie du carrelage, c'est alors que je cesserais de le voir comme il est, où il est, à savoir : plus loin que tout lieu identique. L'eau elle-même, la puissance aqueuse, l'élément sirupeux et miroitant, je ne peux pas dire qu'elle soit dans l'espace : elle n'est pas ailleurs, mais elle n'est pas dans la piscine. Elle l'habite, elle s'y matérialise, elle n'y est pas contenue, et si je lève les yeux vers l'écran des cyprès où joue le réseau des reflets, je ne puis contester que l'eau le visite aussi, ou du moins y envoie son essence active et vivante. C'est cette animation interne, ce rayonnement du visible que le peintre cherche sous les noms de profondeur, d'espace, de couleur. » Maurice Merleau-Ponty, L'œil et l’esprit, Folio-Gallimard, 1964, p.70-71) Souvenirs de vacances : «L’eau turquoise et ondoyante d’une piscine retentit en clapotis réguliers tandis que je la touche du bout du doigt. J’hésite à m’y confondre, puis je m’y délasse totalement.» Plonger dans l’eau et la sentir glisser contre sa peau sont des plaisirs estivaux qu’Agnès Pétri ne se refuserait pour rien au monde. Sa nouvelle série intitulée FLOTS en témoigne et nous invite dans le même temps à jouir du bonheur de l’immersion dans la couleur : le bleu profond se propage en une vague de matière venant perturber la trame quadrillée tracée au fond du bassin, métaphore d’une volonté d’ordonnancement auquel veut échapper l’esprit libre. La baignade ne connaît en effet aucune limite, l’artiste ayant pris soin de gommer tout contour inopportun. Le «morc-eau» ainsi prélevé dans l’immensité du réel révèle l’ambition d’un ailleurs, une invitation au voyage dans la fulgurance du songe. Damien Chantrenne