Kassia KNAP // Territoires de l'imaginaire

Exposition
Arts plastiques
Galerie Christophe Gaillard Paris 03

Le Voyage de l‘œil


Que fait l’œil lorsqu’il entre en contact avec une toile de Kassia Knap ? Peut-on d’ailleurs parler de toile, au sens d’une surface de peinture ? Car l’œil, précisément, ne peut pas se contenter de glisser ou de se laisser aller à naviguer tranquillement sur une étendue plane.
Il serait plutôt obligé de faire de l’escalade, de gravir la montagne en tentant de se rattraper à la paroi rocheuse et abrupte, faite aussi bien de failles dans lesquelles se glisser que de promontoires difficiles à passer. L’œil, en déséquilibre, se rattrape comme il le peut, et l’ascension n’est pas de tout repos.

A moins qu’il ne décide de ralentir le rythme, de prendre le temps du regard qui ne voit d’abord rien, d’attendre que quelque chose se compose lentement face à lui. Si bien que regarder un tableau de Kassia Knap nécessite de prendre une précaution comme celle-là, du moins dans un premier temps. Puis, avec un peu de patience, le paysage apparaît soudain : un paysage de neige et de terre battue,
un horizon de cratères éclairés par les rayons d’une lune argentée ou ceux d’un timide soleil d’hiver, à moins que la fureur colorée ne nous transporte vers d’autres mondes plus oniriques ou plus flamboyants.

L’œil peut alors se promener, il est ici comme chez lui, et son parcours pourrait ne jamais s’interrompre, tant les combinaisons de trajectoires sont nombreuses. Car chaque tableau est comme un monde en soi, une « monade », nous dit l’artiste en référence à Leibniz. En philosophie, la monade est bien cette unité d’absolu que rien ne pourrait réduire, telle une concentration de sens qui ne puiserait sa force qu’en elle-même. Chaque œuvre est à l’image de cette quête de totalité et obéit au même processus de réalisation : l’artiste dispose au sol la toile de lin brute, qu’elle va ensuite sculpter sur le châssis comme de la matière vivante. Et c’est une chorégraphie très physique avec la masse qu’elle travaille, plie, replie, déplace, soulève et bouleverse, et qu’elle finira par figer comme de la glace, grâce à de la colle et de la peinture. Chaque toile est la trace d’une telle lutte pratiquée quotidiennement comme un « exercice » nécessaire à l’existence, relatif à un besoin d’expression et d’écriture de soi. Le Bernin taillait des corps en extase dans le marbre; pendant que Kassia Knap, engagée dans un réel processus de sculpture, génère des concrétions émotionnelles dans le drap de lin. Et la filiation baroque n’est pas un vain mot, puisque l’artiste revendique un traitement philosophique du pli dans son œuvre, fidèle à ce que Gilles Deleuze a pu en dire dans son fameux ouvrage : « Le pli : le Baroque invente l’œuvre ou l’opération infinies. Le problème n’est pas comment finir un pli, mais comment le continuer, lui faire traverser le plafond, le porter à l’infini ». C'est ce pli qui est renouvelé à chaque instant ici, dans les profondeurs de la matière de la toile sculptée.

Plus qu’une promenade, l’œil peut aussi voyager dans des contrées imaginaires, des territoires autant géographiques qu’historiques : il y va de l’archéologie d’une violence souterraine et mémorielle difficile à qualifier ou à combler, mais aussi d’une cartographie aux reliefs accidentés. Au fond, n’y-a-t-il pas là quelque chose du grand drame baroque, le tableau devenant la scène où la bataille a précisément lieu ?

Léa Bismuth

Artistes

Horaires

Du mardi au vendredi, de 10h30 à 12h30 et de 14h à 19h le samedi, de 12h à 19h

Adresse

Galerie Christophe Gaillard 5 Rue Chapon 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022