Julien Berthier : Monstre

Exposition
Arts plastiques
Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois Paris 06

Quelque chose s’est passé là et demeure pour le citoyen une source de fierté, de honte, de joie, de tristesse, une trace heureuse ou pas. Dans l’espace urbain, le monument, en qualité de marqueur historique ou mémoriel, opère en outil signalétique pour commémorer un personnage ou un évènement. Le projet de Julien Berthier s’attaque à cette idée de révéler publiquement quelque chose qui a existé ou qui existe encore. Pratique vernaculaire occidentale par excellence, le « monstre » désigne ces amas d’objets ménagers qu’on trouve ici ou là déposés pour être enlevés par les services de propreté. L’artiste part de la simple constatation que ces éléments en fin de vie habitent, dans une certaine mesure et dans leur temporalité, les rues au même titre qu’une statue équestre. Même s’il est certainement assez seul à voir les choses sous cet angle de prime abord, qui pourrait lui donner fondamentalement tort? Toujours est-il que sa proposition de recréer, en bronze patiné, l’un d’entre eux repéré dans une ruelle de Belleville, s’oppose à la configuration esthétique admise dans l’environnement urbain. Ces monstres perturbent notre idéal de normalisation sécuritaire de la voie publique, bloquent les chemins des poussettes, font trébucher les petites vieilles, etc. Bref, ils encombrent et il n’y a guère que l’étudiant sans le sou, toujours à l’affût d’une étagère Billy à retaper, qui s’en accommode. Et la sculpture de l’alchimiste Berthier de pointer du doigt le paradoxe du débat sur l’oeuvre d’art outdoor. Toute proposition artistique dans l’espace commun est, de fait, livrée à l’appréciation démocratique dont le critère principal de jugement demeure le beau, alors même que cette notion a aujourd’hui disparu du champ critique professionnel. Si l’oeuvre d’art est désirée dans les lieux qui lui sont dédiés, elle obtient rarement le plébiscite dans l’espace public. Le déchet dit « encombrant » est, par essence, ce dont on ne veut plus dans son intérieur, et par extension, ce qui n’est pas ou plus beau. En faire une sculpture publique dans le matériau historique et non questionnable du statuaire revient à mettre en valeur ce que chacun ne veut plus voir apparaître mais dont chacun est néanmoins responsable de la présence dans la rue. «Montre ce que je dis, pas ce que je fais!». La logique de monumentalisation dans laquelle Julien Berthier s’inscrit aurait logiquement pu impliquer la pérennisation de l’oeuvre à un endroit précis. Mais Berthier a choisi de ne pas suivre les ténors du minimalisme sur le terrain de la site-specificity. Comme une réponse dédramatisante au cérémonieux «to remove the work is to destroy it!» de Richard Serra, le monstre poursuit cette idée que, sans être une oeuvre nomade, elle puisse interagir avec des contextes très différents. «To remove the work is to re-activate it!». Il serait, par exemple, très intéressant de la voir installée dans un pays où cette pratique du dépôt des déchets dans la rue n’existe pas ou est strictement prohibée. Sans réel statut identifiable, l’objet se donnerait alors à voir pour ce qu’il est, un amoncellement complexe de plans, sorte de dispositif constructiviste dont l’aspect matériel ostensiblement sculptural légitime l’existence au monde. Étienne Bernard

Artistes

Horaires

10h30-13h00 // 14h00-19h00

Adresse

Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois 36 rue de Seine 75006 Paris 06 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022