In Flames — exposition personnelle de Inside Job — artist duo Ula Lucińska & Michał Knychaus

Exposition
Arts plastiques
LilyRobert Paris 04
In Flames

À un rythme galopant, les incendies ravageurs marquent les paysages au fer rouge. Les sols sont calcinés, le ciel repeint d’une fumée toxique. Désormais, nul ne peut ignorer l’impact du changement climatique. Une tendance à la hausse des risques d’embrasement est bel et bien observé, et pour cause, l’accroissement global des températures terrestres, symptôme d’une économie acharnée. Intitulé “In flames”, le premier solo show en France des polonais Ula Lucińska et Michał Knychaus, travaillant en duo sous le pseudonyme Inside Job, présente les funestes vestiges d’un monde carbonisé. Conçue sur le mode spéculatif, l’exposition pose l’éminente question du devenir de notre civilisation — ce qu’il en subsistera ou ce qui lui survivra.

Ainsi, tout ce qui parsème l’espace semble issu d’une époque qui est ou sera révolue, celle du fordisme d’abord, suivi d’un post-fordisme, globalisé. Les œuvres ont des allures de pièces détachées ou d’instruments mécaniques tout droit sortis d’usines. Câbles, matériaux industriels et rideau de chaînes renvoient au champ pictural de la machine ; une machine aliénante, augmentant la cadence, l’exigence énergétique, les cycles de production et de consommation. Au sol, gît The Serpent, une sculpture couleur charbon aux formes menaçantes — aiguisées, sans pitié, pics saillants dégainés —, elle ressemble à s’y méprendre à un piège, un étau prêt à se resserrer sur un membre captif. Mais le corps, s’il est convoqué, brille par son absence. Mirror in Flames par exemple, ne reflète pas le ou la visiteu.r.se. On y décèle quelques nuances délicates et des clignements de lumière, le métal étant poli jusqu’à devenir mat et satiné. Les artefacts témoignent avant tout d’une humanité manquante, engloutie dans les ruines du capitalisme.

Anna Tsing consacra un essai (Le champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, 2015) aux chaînes d’approvisionnement mondiales du matsutake, un champignon sauvage qui prospère dans des zones de destruction écologique. Elle y raconte des histoires de renouveau qui chevauchent celles de déclin. Dans l’œuvre d’Inside Job, on retrouve un motif de tiges épineuses spécifique au chardon. Plante réputée coriace, elle aussi prend racine dans ces paysages détruits, où quasiment rien ne subsiste. Les ornements métalliques, hostiles, tranchants, sont marqués par un style gothique. Renaissance des styles médiévaux, le gothique cristallise la manière dont la rationalité des Lumières peut chavirer dans la servitude humaine. Les parures végétales contaminent ainsi les pièces, un peu comme dans les peintures de ruine d’Hubert Robert où la végétation prolifère, également symbole de résurrection, du cycle de la vie qui jamais ne s’épuise.

La question du cycle, d’une temporalité sans cesse renouvelée — et non linéaire, comme nous avons tendance à l’aborder — est traitée par l’intermédiaire de Kerosene, une lanterne hexagonale suspendue au plafond. La nuit tombée, l’œuvre s’allume, diffusant sur les murs l’inscription “Time comes round”. Une teinte crépusculaire drape alors la galerie, achevant de transformer cette dernière en aire de jeu pour zombies. La silhouette de Mirror in Flames évoque celle de tombes funéraires d’où surgiraient les morts. Figure d’une réminiscence morbide, le zombie revient d’une époque antérieure pour s’attaquer au vivant. Il est aussi l’allégorie du consommateur — tel qu’incarné dans le film de Jim Jarmusch, The Dead Don’t Die (2019) —, du travailleur asservi ou encore du spectateur/utilisateur sous l’emprise des médias/technologies, ainsi que Marshall McLuhan l’analysait en 1969 : “It is not an easy period in which to live, especially for the television-conditioned young who, unlike their literate elders, cannot take refuge in the zombie trance of Narcissus narcosis that numbs the state of psychic shock induced by the impact of the new media.”

Dans un article intitulé “The Agency of Fire: Burning Aesthetics”, le commissaire et critique d’art T.J. Demos revient sur la prolifération d’images de cataclysmes circulant dans les médias. Il souligne la délectation scopique qu’elles provoquent chez le ou la spectat.eur.rice, distancié.e, protégé.e  — sorte d’horreur délicieuse à la Edmund Burke. Le drame aurait l’air sous contrôle, réduit en image cadrée, esthétisée et figée. Ici, les artistes prennent le contre-pied de cette approche, propulsant le ou la visiteu.r.se dans ce paysage post-apocalyptique, provoquant un relent de nostalgie par anticipation. 

 

Indira Béraud 


 

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Ula Lucińska (née en 1992, PL) et Michał Knychaus (né en 1987, PL) travaillent en duo sous le nom de Inside Job. Tous deux sont diplômés de l'université des arts de Poznań, Pologne. Leur pratique se base sur l'utilisation de différents médiums et matériaux, ce qui conduit souvent à la création d'environnements spécifiques et superposés. Ils se concentrent sur les processus de construction des identités, y compris celles des lieux, dans le contexte de changements dynamiques tels que : la crise climatique, l'accélération technologique, les changements politiques et l'anxiété croissante face à un avenir inconnu. Nombre de leurs projets font référence à des scénarios futuristes et post-catastrophiques.

Ils sont finalistes du concours international Artagon IV à Paris (2018) ; présélectionnés pour le prix international Allegro (2020) ; lauréats du prix de la ville de Poznań pour les artistes émergents (2020,2021), de la bourse d'art du maréchal de la voïvodie de Grande Pologne (2021), du prix du ministère polonais de la Culture et du Patrimoine national (2018) et du prix Santander Universidades (2016). Leur projet de diplôme commun a été récompensé par des magazines : SZUM et Czas Kultury (2018). Ils ont présenté leur travail lors de résidences artistiques (Résidence RUPERT, Vilnus, LT, A-I-R FUTURA, Prague, CZ ; Résidence Gurzelen, Biel/Bienne, CH ; TestDrive, Nicosie, CY ; Kulturfabrik , Burgdorf, CH), lors d'expositions individuelles (par ex. Cantina, Aarhus, DK ; eastcontemporary, Milan, IT ; FUTURA, Prague, CZ ; Hot Wheels Projects, Athènes, GR ; Pawilon, Poznań, PL ; : SKALA, Poznań, PL ; 9/10 Gallery, PL) et collectives (la 34e Biennale des arts graphiques de Ljubljana, SLO ; Kunsthalle Baden-Baden, DE ; BWA Wrocław, PL ; TRAFO - Trafostacja Sztuki, Szczecin, PL ; The Death of Man, Warsaw Gallery Weekend, PL ; WallRiss, Fribourg, CH ; Sattlekammer, Berne, CH ; le festival d'arts numériques d'Athènes 2018, Athènes, GR ; DuflonRacz, Berne, CH ; la biennale d'arts contemporains Ostrale, Dresde, DE ; Musrara Mix Festival, Jérusalem, IL).

 

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Avec le soutien du Adam Mickiewicz Institute en Warsaw et l’Institut Polonais à Paris

 

Adresse

LilyRobert 18 Rue de l'Hôtel de Ville 75004 Paris 04 France
Dernière mise à jour le 19 novembre 2021