Exposition Jean-Pierre Giovanelli

China Food
Exposition
Arts plastiques
Galerie Depardieu art contemporain Nice

JEAN-PIERRE GIOVANELLI
CHINA FOOD
L’OCCIDENT TENU EN LAISSE PAR LE DRAGON
PAR VIANA CONTI


En Chine, si vous détestez quelqu’un, la malédiction que vous
lui adressez est : « Puisses-tu vivre dans des temps intéressants ! ».
Dans notre histoire, les « temps intéressants »
sont en effet des temps de troubles, de guerres et de luttes de pouvoir
qui ont fait souffrir des millions d’innocents.
Slavoj ZizekWelcome to Interesting Times, VIth International Marx Congress, September 2010, Plenum d’ouverture1


Avec l’exposition China Food (nourriture chinoise), Jean-Pierre Giovanelli met en oeuvre esthétiquement, avec la poétique qui le caractérise depuis les années 70, ces symboles, ces métaphores, ces archétypes qui représentent d’une manière parfois ironique, parfois amère toujours juste et frappante, la place que la Chine occupe aujourd’hui dans le monde.
Le protagoniste de l’exposition est le riz, dont il ne faut pas rire si l’on ne veut pas pleurer pour des lentilles, surtout en Chine, car les Chinois sont les plus grands et anciens producteurs et consommateurs de riz cultivé dans l’Asie des moussons.
Il n’est ni blanc, ni noir, comme celui que l’on servait à la table de l’Empereur, ni comme celui qui a été obtenu en 1997 par de mystérieuses alchimies dans la région de Vercelli, baptisé, de façon significative, Venere2. Ni blanc ni noir, donc, mais rouge !
Rouge comme un drapeau, une idéologie, le sang, la révolution, la passion, le désir ?
C’est au public de s’interroger et d’en prendre conscience.


Jean-Pierre Giovanelli, architecte, auteur d’installations multimédias, analyste des noeuds théoriques de la pensée sociopolitique contemporaine, exprime sa vision du monde par le biais d’un langage qui relève à la fois de l’ordre du visuel, du sonore, du matériel et de l’immatériel. Dans les années 70, il a appartenu au Collectif d’Art Sociologique, fondé en 1971 à Paris par Herve Fischer, Fred Forest, Jean-Paul Thenot3. Il fut ami de Jean Baudrillard, penseur
critique de la société de consommation et de la dépendance de masse des fétiches marchands, des stéréotypes de l’image ; complice de Paul Virilio, écrivain, sociologue, urbaniste, précurseur d’une esthétique de la disparition, théoricien profond et perspicace des effets deréalisants de la vitesse sur des individus constamment suivis à la trace par des détecteurs électroniques, dépendants, infantilisés par une télécratie omniprésente et inexorable, par les angoisses du temps réel, par un futur qui ne cesse d’arriver pour ceux qui ne cessent de l’attendre ; interlocuteur
de John Rajchman, qui se demande où il est possible d’identifier dans l’art contemporain ce fondement ontologique du sens et de la vision qu’on percevait dans une grande partie de l’art pré-médiatique et aussi comment il est possible de mettre en oeuvre une ré-esthetisation de la pensée qui ne se formalise pas dans un spiritisme virtuel, mais qui plonge ses racines dans cette aisthesis qui préexiste aux distinctions entre matière et immatériel, entre actuel et virtuel, entre
nature et artifice.

 

Une bonne lecture de l’exposition China Food pourrait se faire en adoptant la logique paracohérente à laquelle a recours le philosophe militant slovene Slavoj Zizek. Dans son analyse lacanienne de l’économie marxiste et du divorce persistant entre capitalisme et démocratie, cet intellectuel, controversé pour ses idées radicales, se demande, avec une ironie certaine, pourquoi aujourd’hui la Chine, ancien pays communiste, est le meilleur manager du Capitalisme. Il
fournit par-là à Alain Badiou, qu’il apprécie, le prétexte pour souligner sa position ambivalente par rapport à Mao Tse-Toung. Le Maoïsme est toutefois marqué par le Taoïsme qui voit dans l’opposition une figure de la complémentarité, car il affirme que la contradiction est le moteur de la nature, de la société, de la pensée. Le système capitaliste de la Chine actuelle ne serait pas, dans sa vision des choses, la version exotique du capitalisme vintage occidental, mais son miroir. Jean-Pierre Giovanelli lui croit que l’émergence de la Chine, dans le globalisme contemporain, implique une privatisation du savoir collectif, l’appropriation des rentes provenant de l’exploitation des ressources naturelles. Cette réflexion mène à repenser en profondeur le binôme démocratie/capitalisme à tel point que cette mise en question entraînera des conséquences plus bouleversantes encore que l’avènement du numérique et des nanotechnologies.
Ce mariage insolite entre un capitalisme évident et un communisme particulier s’est révélé fructueux pour la Chine, qui a utilisé l’autoritarisme même qu’elle voulait exorciser afin d’accélérer l’assouvissement du désir de l’homme-masse.
Mao, par ailleurs, dénonçait la bourgeoisie classique américaine, la bourgeoisie russe bureaucratique et n’ignorait point que la bourgeoisie se trouve à l’intérieur de son propre parti.

 

.../... Devant l’installation puissante, provocatrice, ironique et sacrale tout à la fois de China Food – titre qui laisse entendre que l’Occident pourra devenir la nourriture de la Chine – le spectateur est invité à prendre conscience de la portée du phénomène qui lui est présenté, des conflits qui existent dans un ancien pays communiste asiatique, qui domine aujourd’hui le pouvoir financier de la planète. Un pouvoir qui, tout en ayant accepté comme modèle de référence le capitalisme vintage occidental, d’origine états-unienne, aujourd’hui en pleine crise, serait en train d’imaginer la manière de créer de nouveaux marchés, en sollicitant toutefois sans cesse le consommateur, au point que celui-ci confond désormais liberté et libérisme, démocratie et despotisme.
La perspective de lecture d’un artiste français, comme l’est justement Jean-Pierre Giovanelli, pourrait faire référence d’abord à cette idéologie du désir qui s’est exprimée à travers la voix de Gilles Deleuze, Felix Guattari, Jean-Francois Lyotard.

 

Voici, sur son piédestal, le grand et corpulent Bouddha chinois, en fibre de verre opalescente, dénommé Pu-Tai ou Budai, qui rigole en piétinant le drapeau des États-Unis entourant une besace pleine d’argent, de riz, de gâteaux, métaphore de l’abondance et du succès : son pouvoir et sa richesse font de lui un triomphateur incontesté. La longue marche, (h1,5 x 3 m), entre en résonance avec l’oeuvre précédente en instaurant un contraste avec elle : la multitude
des soldats survivants qui avance contre l’ennemi y est représentée par des grains de riz qui se colorent progressivement de rouge, un rouge qui est le symbole du Communisme, mais aussi du sang versé ; à gauche domine la figure, en noir et blanc, de Mao, coupe en deux verticalement. Underground/Monnaie pour l’Enfer, sur un panneau en bois recouvert de satin peint, représente la monnaie accumulée par un puissant, ou de toute manière par un personnage au grand
charisme, donnée en offrande, selon un rite païen archaïque, pour le passage du monde des vivants à l’outre-tombe, et censée garantir aussi l’accès à l’immortalité, au mythe.

 

La vidéo extraordinaire Mao sings the Blues ! est un moment fort de l’exposition. La figure austère de Mao se colore d’une humanité et d’une empathie profondes, en reprenant les notes du spiritual afro-americain Go down, Moses/Descends, chanté par Louis Armstrong, qui l’avait enregistré avec la Sy Oliver's Orchestra en 1957 (dont Bob Dylan nous a donné une autre version inoubliable dans son concert de Tel Aviv en 1987). L’ironie de cette vidéo se mue par son aspect poétique et solidaire en un contrechant à la violence de l’esclavage et de la guerre.

 

La vision métaphorique/symbolique/allégorique se nourrit de l’image d’une Chine qui joue un rôle primordial dans la géopolitique de la planète, d’un Empire du Dragon dont les hypothétiques pieds d’argile seraient simplement des projections d’un Occident cherchant à se rassurer tout seul. Il est certain que les intellectuels chinois, contrairement aux occidentaux, ne cessent de se confronter avec les choix et la pensée des autres dans les domaines de la politique, du social, de la finance, de la culture et de la science ; entre-temps, des bruits courent sur la fuite vers l’Orient des lingots d’or de Fort Knox.

 

L’oeuvre de Jean-Pierre Giovanelli compte parmi les principales de l’époque contemporaine – pour reprendre les mots de Paul Virilio – car elle travaille à la persistance d’un espace d’apparition et de disparition du sensible, elle est toujours Substantielle, il lui est impossible d’être Virtuelle, voilà la vertu qui interdit à cet artiste les délices du simulacre, ce spiritisme d’un art désormais contemporain du désastre du progrès. Ses installations ne sont pas des oeuvres conceptuelles, ainsi que notre époque ne cesse de le répéter, mais simplement inertielles, car elles sont inscrites dans une résistance des matériaux qui est aux volumes et à la masse ce que la résistance électrique est a l’énergie.

 

Traduit de l’italien par Anna Giaufret

 

1Nous traduisons car ce texte est inédit en français (N.d.T.).
2En italien, le nom de la déesse Vénus (N.d.T.).
3Jean-Paul Thénot rédige une lecture critique exhaustive de l’oeuvre de Jean-Pierre Giovanelli dans l’ouvrage Jean-Pierre Giovanelli, Una poetica dell’essere, préface de Paul Virilio, postface de John Rajchman, traduction de Viana Conti, Edizioni il Melangolo, 2006, Recco-Genova, Italie.

Tarifs :

Entrée libre

Horaires

Du lundi au samedi de 14h30 à 18h30

Adresse

Galerie Depardieu art contemporain 6 rue du docteur Jacques Guidoni 06000 Nice France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022