Exposition Group show (d'après Koyaanisqatsi)

Exposition
Salle Principale Paris 19

les gens d'Uterpan : Audience (2011), tirage photographique 

Complément d'information

Group show (d"après Koyaanisqatsi)

We need a very good gardener. As long as the roots are not severed, all will be well in the garden. In the garden, growth has its seasons. First comes spring and summer, but then we have fall and winter. And then we get spring and summer again. There will be growth in the spring. But first, some things must wither. Chauncey Gardiner, 1979

Ko-yaa-nis-qatsi, épelait l’austère pochette rouge et noir du disque vinyle qu’un ami venait de poser sur la platine, non loin de la cheminée d’une maison en pierre abritée derrière les côtes du Trégor, le dernier jour de 2019. Sous cette ligne de texte énigmatique, plusieurs définitions, ou traductions, étaient proposées. Vie démente. Vie tourmentée. Vie en décomposition. Vie déséquilibrée. Un état de vie qui en appelle à une autre manière de vivre. Signée par le compositeur Philip Glass, répétitive, obsessionnelle et apocalyptique, la musique s’échouait sur les oreilles comme les flux et reflux des grandes marées armoricaines. Pour forcer davantage le trait, le dos de la pochette nous intimidait de façon plus spectrale encore, par l’invocation de trois prophéties amérindiennes. Si l'on extrait des choses précieuses de la terre, on invite le désastre. Près du Jour de la Purification, le ciel sera tissé de toiles d'araignées d'un bout à l'autre. Une boîte pleine de cendres sera un jour lancée du ciel, elle incendiera la terre et fera bouillir les océans. Plusieurs confinements plus tard (de toute évidence, non sans rapport avec ces prophéties !), j’ai eu l’occasion de voir le film éponyme dont ce vinyle était la bande sonore. Parler de film, c’est un raccourci vis-à-vis de cet objet cinématographique peu évident à classer. En une généalogie cinématographique très subjective et hétéroclite, il est redevable à Metropolis de Fritz Lang (1927), L'Homme à la caméra de Dziga Vertov (1929), ou encore à La Société du spectacle de Guy Debord (1973). Et même à Jacques Tati, moins l’humour. Réalisé par Godfrey Reggio en 1982, le film est sans dialogue, si ce n’est quelques incantations en basse profonde qui font partie de la musique. Cependant, il n’est pas abstrait, son montage lui conférant une forte trame narrative. Quand l’homme salle principale | la galerie | Group show (d’après Koyaanisqatsi) | 11.02 - 25.03.23 finit par faire irruption dans les majestueuses séquences de paysages naturels, nous nous retrouvons progressivement dans un diorama de plus en plus maboul, un infernal carrousel d’images qui ralentit, accélère et mène au vertige ou à la nausée – le tout parfaitement cadencé. On traverse à toute berzingue des lignes à haute tension, des champs agricoles, des parkings, des aéroports, des usines, la bourse, le métro, le périphérique, des supermarchés, des mégapoles, des quartiers d’affaires, des publicités, des circuits imprimés, des casinos, des foules et on passe même à côté de quelques individus. Les humains y sont aliénés, subjugués, désespérément tristes : des « hommes des foules », à la Edgar Allan Poe. De la sphère sociale ne subsiste, au mieux, qu’un vague instinct grégaire, au pire, des ballets mécaniques synchronisés par les ondes gravitationnelles du capitalisme (rappelons l’étymologie du terme : « cheptel, tête de bétail »). Lors du visionnage, on comprend progressivement que l’objectif de cet opéra muet est de nous forcer à regarder le chemin que nous avons parcouru sur la planète et les ornières profondes que nous y avons creusé, de la lithosphère à la bien nommée « orbite de rebut » satellitaire. Le regard alterne fascination et aversion devant le potentiel de création et destruction de l’espèce humaine. Le spectacle est crépusculaire, le crépuscule est spectaculaire, et la beauté terrible de Koyaanisqatsi l’est nécessairement aussi, car elle est une mise en spectacle de la société moderne. C’est un film-monde, une exposition de la condition humaine collective, après sa transition d’un habitat naturel vers un environnement entièrement artificiel et technologique. Koyaanisqatsi a été le premier d’une trilogie, elle-même accompagnée par quelques autres films similaires réalisés par le cameraman, Ron Fricke. Pourtant, à l’apogée du néolibéralisme, le terreau des années 1980 n’était pas particulièrement propice à l’introspection et le film, apprécié à sa sortie, est resté relativement ignoré. Quel héritage, quel enseignement peut-on tirer de cette œuvre vieille de 40 ans - en termes de pensée écologique, autant dire datant du paléolithique? 1982, c’était avant le protocole de Kyoto, avant la fin de la Fin de l’Histoire , armistice illusoire qui 1 s’est effondré de lui-même, c’était avant que le meilleur élève de son époque, un hybride entre le Dr. Folamour et Ayn Rand, ne découvre le poids exact de l’ego humain – 5900 kg – par l’envoi d’une voiture de sport en orbite héliocentrique. C’était avant que l’on puisse communiquer à très haut débit sans avoir rien à nous dire, avant que le smartphone réduise l’espace social à quelques centimètres carrés de pixels, ajoutant un épilogue à La production de l’espace d’Henri Lefebvre. Dans Koyaanisqatsi, les modèles des voitures et la coupe des vêtements sont entièrement démodés, mais le constat que l’on en tire, c’est que nous avons changé d’époque et non pas de direction. Aujourd’hui, après que la lampe à huile et le « modèle Amish » en aient pris pour leur grade , après que la guerre d’Ukraine 2 ait poussé l’appareil politico-médiatique à des gesticulations frénétiques cherchant à électrifier les clôtures entre sobriété heureuse, décroissante luddite et austérité curative, Koyaanisqatsi reste un des marqueurs de la prise de conscience de ce que notre temps appelle l’anthropocène. Concernant le rôle de l’art, le monde institutionnel, public ou privé, s’est si largement emparé de la question écologique qu’il risque de l’étouffer. À quelques exceptions près, son rôle rappelle les poncifs du personnage Chauncey Gardiner (encore un autre film, de la même époque ) ; autrement dit, il souffre de ce que Frédéric Lordon 3 appelle « la radicalité qui ne touche à rien » . En conséquence, comme on a pu 4 l’observer dernièrement, les actions de militants écologistes ont classé le monde de l’art plutôt de l’autre côté de la barricade. Alors, comment faire un group show aujourd’hui, d’autant plus à partir de l’invitation à travailler avec le « stock » d’une galerie d’art commerciale ? Injonction paradoxale et probablement insoluble. En évitant la production de nouvelles œuvres, on dépense effectivement moins de ressources naturelles. En même temps, une opération de simple transformation du stock en flux n’échappera pas bien loin du domaine le plus élémentaire des échanges économiques. Il est pourtant nécessaire de commencer quelque part, et les pratiques des artistes exposés esquissent des chemins utiles, allant de l’observation à l’infiltration, du témoignage à la transformation concrète. Quant au reste, Marx a écrit une célèbre phrase, devenue épitaphe de sa tombe au cimetière de Highgate (Londres) : Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde ; il s'agit maintenant de le transformer. Le cimetière étant privé, le billet d’entrée pour contempler cette phrase coûte £4.50 - ce qui est, somme toute, une très bonne affaire (paiement par carte uniquement, porter des chaussures appropriées à cause de la boue et des chemins escarpés).

Commissaires d'exposition

Autres artistes présentés

Patrick Bouchain, Dominique Mathieu, Gianni Pettena, Matthieu Saladin, Lois Weinberger, Zapatistes

Adresse

Salle Principale 28 rue de Thionville 75019 Paris 19 France
Dernière mise à jour le 10 mai 2023