Blue on blue [attack] - Alain Declercq

Escape, à l’origine, est une installation réalisée dans l’espace d’exposition Transpalette à Bourges. Declercq y a reconstitué l’intérieur d’une prison en agençant des grilles, quelques lourdes portes et un austère mobilier aptes à symboliser ce lieu d’enfermement. S’y trouve également une salle équipée de moniteurs où défilent les rushs d’un film montrant une évasion par hélicoptère. L’évasion : une métaphore ? Oui, mais de quel endroit vouloir alors s’évader ? Du white cube, peut-être, ce qui dès lors inscrirait l’artiste parmi ceux qui désirent effacer la frontière entre l’art et la vie. Et la vie qui passionne Declercq est celle où s’entremêlent la fiction et la politique. Très attentif à l’histoire contemporaine et plus précisément à tout ce qui perturbe le pouvoir et ses systèmes de sécurité, humains ou automatisés, il part en 2003 à la recherche d’un des tireurs d’élite ayant abattu en 1979 Jacques Mesrine. Cet homme de la brigade anti-criminelle, qui a souhaité garder l’anonymat, ira, à la demande de l’artiste, effectuer 650 tirs sur une palissade en bois, traçant par l’impact de ses balles " Instinct de mort ", titre du roman autobiographique de Mesrine, ex-ennemi n°1 en France, qui fut l’un des plus célèbres évadés du XXème siècle.

Pour Feed back American Airlines, Delclercq s’est employé à amplifier une rumeur, celle qui vise à démontrer qu’un complot aurait eu lieu lors des attentats du 11 septembre. Selon certaines sources contactées par l’artiste qui fréquente de près quelques personnalités liées à l’espionnage, le Pentagone n’aurait pas été attaqué par un avion de ligne dirigé par l’actuel ennemi n°1, mais par un missile de croisière expédié par une partie du clan Bush. C’est donc en référence à ce missile, portant sur son flanc le logo American Airlines, que Declercq a réalisé cette pièce. Pendant que je visionnais le film de Declercq Complément d’information qui donne la parole à Pierre-Henri Bunel, un ancien agent secret qui soutient l’hypothèse du complot orchestré sur (et par) le Pentagone, il m’arriva de penser que ce qui était raconté là ne devait pas l’être. Que ce flot d’informations très dérangeantes était d’autant plus insupportable qu’elles émanaient d’un professionnel. C’est ici que le travail de Declercq prend toute son ampleur : quand il parvient, au moyen des fictions qu’il invente ou des rumeurs qu’il amplifie, à s’infiltrer dans notre perception du réel et à questionner le rapport que chacun d’entre nous entretient avec les médias, leurs images et leurs propos. " Qu’apportes-tu à l’art lui demandai-je " ? " J’y construis l’équivalent du genre policier ", me répondit-il. Mais ici les êtres ne sont pas en papier, et le narrateur, bien vivant, poursuit son enquête.

Nathalie Stefanov

Extrait du texte " Fictions en quête de réalité", à paraître dans la revue Parade n°7, revue de l’école d’art de Tourcoing (mai 2007)