Arnaud Maguet

La Nostagie Camarade
Exposition
Galerie Sultana Paris 20

« Le passé est ce dont nous rappelons du passé, et ce souvenir et un mélange de fragments que, maintenant, dans le présent, nous collons et attachons. Ainsi, le passé n'existe pas, n'existe que le présent dans lequel cette composition émulsionne en suivant ses propres règles pour également se faire présent. Mais il y a quelque chose de plus terrible encore : si même le passé n'existe pas, comment peut alors exister le futur ? (...) Dans un désert présent, nous nous mouvons délimités par ces deux mirages, le passé et le futur. »

Augustin Fernandez Mallo in Nocilla Dream, 2006

Un électrophone tourne sur le comptoir d'accueil de la galerie. La machine s'arrête mais ne meurt pas, prête à relancer sa musique insidieuse, deux vielles reprises de la moyenne chanson française rafraîchies par Bader Motor (Fred Bigot, Vincent Epplay et Arnaud Maguet) : «J'aime regarder les filles» de Patrick Coutin (carrière aussi brève que courte) et «L'indien» de Gilbert Bécaud (destinée plus longue mais trop longue). La pochette du 45t traîne dans les parages, illustrée de deux images recto/verso d'une sombre élégance signées Arnaud Labelle-Rojoux, maître des forces obscures. Stéphane Roger prête sa voix, ce qui n'est pas forcément un bon signe. Ne croyez surtout pas qu'il s'agit-là de la bande son de l'exposition d'Arnaud Maguet, «La Nostalgie, Camarade !» Il s'agit juste de la première chose que vous voyez ou entendez - ou n'entendrez jamais.

Plus loin, disséminées, cinq pains de plastique en terre, équipés pour l'occasion de pédales Delay, envisagés comme des détonateurs prêts à faire sauter le quartier. Un retard musical sème le bruit de l'explosion qui n'aura pas lieu. Au milieu des ces leurres explosifs, la maquette d'une pièce ancienne, «L'ambassadeur», à ne pas confondre avec la célèbre enseigne de rochers chocolatés distribuées sous cloche dans les soirées du corps diplomatique. Puis, sur le même mur, juste un peu plus loin, quatre perruques, enfermées dans un caisson, agitées par un ventilateur nonchalant, jouent aux quatre garçons dans le vent ainsi destitués de leur légende dorée. Sur la gauche, ou en face selon où vous vous trouvez, des planches de bois sont recouvertes d'affiches sérigraphiées sur du papier journal récupéré dans l'atelier d'impression d'un quotidien local dont on taira le nom. Les images sont celles de la contestation, reconnaissables entre mille, et pourtant non identifiables, graphismes des luttes populaires, poings et expressions de service, cervelle percée par le grand tournevis de l'oppression. Les titres sont ceux de chansons enfouies dans la brume de l'histoire de la musique : «La Nostalgie, Camarade» de Serge Gainsbourg (1981), «The Revolution Will Not Be Televised» de Gil Scott-Heron (1970) et «We Don't Need This Fascist Groove Thang» de Heaven 17 (1981). Sur le mur d'en face, celui de droite selon où l'on se trouve, deux photos encadrées côte-côte. Celle de gauche montre une main et ses cinq doigts chapeautés par trois têtes de crevettes et un bulot, image issue de la pochette du premier album des Résidents qui, en 1974, parodient les Beatles en se donnant comme noms de scènes : John, Georges et Paul McCrawfish et Ringo Starfish. Sur l'autre photo, on retrouve, écrit au stylo Bic dans la paume de la main droite, les noms des fab four traduits en français, ne laissant plus de doute quant à leur destitution. Enfin, sur le mur du fond de la galerie (celui qu'on ne peut rater, sauf en cas de terrible cécité), une étagère remplie de têtes en céramique, malaxées et séchées en 45 minutes, portraits déformés et néanmoins réels de héros oubliés du rock'n'roll exhumés par Nick Tosches dans son ouvrage éponyme.

Au cœur flottant de l'espace, il manque ce qu'on ne voit pas, ce travail sur les racines de la musique populaire, son pouvoir diégétique, constitué de traditions dévoyées, de légendes improbables et d'histoires tronquées. Les liens interlopes que tisse Arnaud Maguet ne s'appuient que sur des béquilles narratives, plus ou moins dégradées ou déconstruites. De ce miroir aux alouettes suinte une esthétique du provisoire, du définitif inachèvement, produites dans la pénombre du garage où ne demeure - une fois la nuit tombée - que la charge légère de signes orphelins. Les vanités s'éclairent à la bougie des moteurs.

Eric Mangion

Adresse

Galerie Sultana 10 rue Ramponeau 75020 Paris 20 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020