BYE BYE BINARY, Baskervvol

BYE BYE BINARY, Baskervvol, reprise du revival Baskervville de l'ANRT avec ajout de glyphes non-binaires lors du workshop #1, Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive, Bruxelles, 2018.

Caroline Dath est graphiste, enseignante et chercheuse. Installée à Bruxelles, elle conduit notamment des projets au sein de la collective Bye Bye Binary qu'elle a cofondée. Ses recherches portent sur les formes typographiques non-binaires et inclusives.

Note concernant l’écriture inclusive de cet article : une écriture non-binaire est utilisée en italique sur certains mots genrés de cet entretien.

Vous menez une recherche sur les formes typographiques non-binaires et inclusives. Pouvez-vous en parler ? Dans quel cadre réalisez vous ce travail ?

Il s’agit d’une recherche à plusieurs échelles qui s’entremêlent pour former un tout. La recherche  passe par la pratique du dessin de glyphes inclusifs, de la mise en forme graphique de textes, ainsi que par l’écriture réflexive autour de cette pratique. Afin de nourrir la recherche, je fais des va-et-vient permanent entre ces trois aspects.

Je publie régulièrement textes et expérimentations sur la plateforme «Révolution typographique & non-binarisme politique». Dans la dynamique collective de ce mouvement typographique, je me consacre pour le moment à l'écriture plus approfondie d’une historiographie la plus exhaustive possible des travaux existants en typographie non-binaire et inclusive depuis 2017 ; ce pourquoi aussi je lance un appel vers les créateurices de caractères afin de compléter le corpus sur typo-inclusive.net.

Symbiose graphique de Caroline Dath et Roxane Maillet

Symbiose graphique de Caroline Dath et Roxane Maillet avec l'Unormative Fraktur de Léna Salabert et Laura Conant pour la Biennale internationale de Design de Saint-Étienne, 2019.

Les cadres de cette recherche sont multiples. En réalité, il s'agit plutôt d’exploser les cadres et d’en faire un tout qui traverse complètement ma pratique dans tous ses aspects. Aujourd’hui, je mène cette recherche d’une part en tant que membre de la collective franco-belge Bye Bye Binary, en tant qu’enseignanl à l’erg (école de recherche graphique, Bruxelles), mais également en tant que mémoranl en Gender Studies puisque j’écris actuellement un mémoire-recherche dans le cadre du Master en spécialisation en études de genre (Master interuniversitaire des six universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

Le cadre du mémoire-recherche me permet de prendre le temps nécessaire pour l'écriture, mais aussi d’être soutenue par une base théorique solide et une promotrice linguiste, Laurence Rosier.

J’ai également écrit, avec la complicité de Christella Bigingo (logopède/orthophoniste) sur la nécessité de la mise en place d'une étude analytique qualitative qui permettrait d'étudier la lisibilité, ainsi que les difficultés d’apprentissage à la lecture de ces nouvelles expérimentations pour des enfants en situation d’apprentissage et des adultes présentant des troubles de la lecture (dyslexie).

Pouvez-vous nous présenter Bye Bye Binary et son origine, collective que vous avez cofondée en 2018 qui a pour objectif de promouvoir et de développer la recherche sur la typographie inclusive en langue française ?

Nous aimons définir Bye Bye Binary (BBB) comme une collective franco-belge, une expérimentation pédagogique, une communauté, un atelier de création typo·graphique variable, un réseau, une alliance. BBB, s’est formé en novembre 2018 à la suite d’un workshop conjoint des ateliers de typographie de l’erg et La Cambre, à Bruxelles. 

Pour ce qui est des origines, elles sont multiples.

Suite aux débats autour de l'écriture inclusive, le choix de pratiquer l’écriture inclusive au sein de l’erg s’est assez vite mis en place, malgré quelques réticences. J’avais très envie d’aller plus loin et d’ouvrir les imaginaires avec la typographie pour dépasser le binarisme de genre présent dans l’usage du point médian où seules les formes masculines et féminines sont représentées. Cet usage exclut toute une série de personnes trans / genderfluid / non-binaires. Il paraissait évident qu’un travail graphique pouvait se poursuivre dans le dessin de caractères en y incluant des éléments de liaison, de ligature, de symbiose. Cela apparaissait comme un nouveau champ de recherche qu’il était très excitant d’explorer. Je me suis donc investie sans compter dans l’organisation du premier workshop Bye Bye Binary.

Caroline Dath°Camille Circlude, Révolution typographique et non-binarisme politique, www.typo-inclusive.net, 2021.

Caroline Dath°Camille Circlude, Révolution typographique et non-binarisme politique, www.typo-inclusive.net, 2021.

Parallèlement, Roxane Maillet, graphiste et ancienne étudiante de l’erg, avait lancé un appel à participation vers des graphistes «On aime pas ça parce qu’on devient deux» pour les Puces Typos 2018 (Campus Fonderie de l’Image, Paris), auquel j’ai contribué avec la création d’un poster. 

Nous avons vraiment établi les bases du workshop Bye Bye Binary lors du Fig. Liège en 2018 où Roxanne était invitée aux côtés de Hélène Mourrier, graphiste transféministe, pour présenter leurs pratiques artistiques sur une proposition de Loraine Furter qui fait, entre autre chose, partie de l’équipe de programmation du festival Fig. à Liège. Hélène Mourrier, basée à Paris, a ensuite proposé à Tiphaine Kazi-Tani, chercheu* et enseignan* à École Supérieure d'Art et Design Saint-Étienne, de nous rejoindre. Le moment était venu de proposer le sujet aux ateliers de typographie de l’erg, mais aussi celui de La Cambre, afin d’impliquer un maximum d’étudianls. Proposer ce workshop transversalement dans plusieurs écoles me semblait important. C’est ainsi que Ludivine Loiseau (erg), Pierre Huyghebaert et Laure Giletti (La Cambre), ainsi que Louis Garrido (étudiant et investi dans le corps actif du Conseil Étudiant de l’erg) nous ont rejoints. 

Un appel à participation à été lancé et la collective Bye Bye Binary est née avec l’arrivée d’une vingtaine de créateurices supplémentaires, dont Clara Sambot (à l’origine des caractères Cirrus Cumulus et DINdong), Laura Conant, Louise Picot, Léna Salabert, Axelle Neveu, Barthélémy Cardonne, Marouchka Payen, Justine Avril° Sarlat,… pour les plus actix de la collective. 

BYE BYE BINARY, Baskervvol

BYE BYE BINARY, Baskervvol, reprise du revival Baskervville de l'ANRT avec ajout de glyphes non-binaires lors du workshop #1, Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive, Bruxelles, 2018.

Depuis lors, nous avons organisé plusieurs workshops (à Saint-Étienne, à Nîmes, …) des conférences (à Bruxelles, à Paris, à Lyon…), participé à des expositions et nous nous écrivons surtout tous les jours ! La collective est mouvante en fonction des énergies et des occupations de chacyn. Mais, nous savons que c’est un refuge pour nous retrouver et travailler. Aujourd’hui, chaque personne de la collective a des sujets de prédilections et des pratiques différentes (étudianls, enseignanls, chercheureuses, créateurices de caractères, programmeureuses, designeureuses graphiques, performeureuses, auteurices …) et c’est bien là la force de notre collective. Nous incarnons aussi le fait que cette recherche peut-être plurielle et protéiforme, allant du dessin, au code de fonctionnalités Open Type à l’écriture et la performance de textes. 

Bye Bye Binary workshop #1, Bruxelles, 2018

Bye Bye Binary workshop #1, Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive, à la bibliothèque RoSa, Bruxelles, 2018.

Bye Bye Binary workshop#2, Saint-Étienne, 2019

Bye Bye Binary workshop#2, QUEER BLOCK, Stefania, Biennale Internationnale de Design, Saint-Étienne, 2019.

Bye Bye Binary conférence, Campus Fonderie de l'Image, Paris, 2019

Bye Bye Binary conférence, Let it read : colloque international de typographie, Campus Fonderie de l'Image, Paris, 2019.

Quelles sont vos propositions en tant que graphiste et chercheuse pour résoudre ces questions d’écriture inclusive ?

À l'heure actuelle, il est important de comprendre que nous n’offrons pas de solutions prêtes à être utilisées par toustes. Par la typographie inclusive, nous proposons de nouveaux imaginaires, nous ouvrons un champ de recherche pour dépasser la norme de genre et le régime de la différence sexuelle qui s’inscrit dans la langue. Avec la collective, nous encourageons la diversité des expérimentations typographiques pour que chacyn puisse se réapproprier son langage. Nous ne cherchons pas à reproduire une norme. Seul le temps qui passe permettra de dégager l’une ou l’autre proposition qui s’imposera peut-être.

J’ai dessiné quelques caractères pour le Baskervvol BBB (ajout de glyphes non-binaires à la Baskervville de l’ANRT) dont je suis aussi yn fervant* utilisateurice et disséminateurice.  

Ma contribution graphique au sein de BBB se concrétise aussi avec le projet « Iel te dit je t’aime ». L’intention de cette intervention typographique est d’interpeller les créateurices de caractères par l’ajout d’un seul glyphe —le « iel » qui combine les formes du il et du elle— dans des polices de caractères déjà existantes. La multiplication de ces interventions sur différentes polices permet de conscientiser les créateurices à la typographie non-binaire en les sensibiliser à dessiner ces glyphes pour compléter leur set de caractères, afin d’étendre le nombre de dessinateurices de caractères, en ce y compris des personnes non-sensibilisées à cette question. Cette interpellation avec un message positif d’amour est aussi une intrusion, dans leurs créations qui, pour certainls, peut être souhaitée, leurs polices étant sous licence libre (par exemple l’Avara de Lucas Le Bihan distribué par Velvetyne) ; alors que pour d’autres cela représente une attaque non-autorisée envers leurs créations diffusées via des licences propriétaires. C’est également la question que pose le travail de Tristan Bartolini puisqu’il a travaillé sur la police de caractères Akkurat de chez Lineto. 

Caroline Dath°Camille Circlude, Iel te dit je t'aime, compositions typographiques, 2018-2021.

Caroline Dath°Camille Circlude, Iel te dit je t'aime, compositions typographiques, 2018-2021.

Caroline Dath°Camille Circlude, Iel te dit je t'aime, compositions typographiques, 2018-2021.

Caroline Dath°Camille Circlude, Iel te dit je t'aime, compositions typographiques, 2018-2021.

Caroline Dath°Camille Circlude, Iel te dit je t'aime, compositions typographiques, 2018-2021.

Caroline Dath°Camille Circlude, Iel te dit je t'aime, compositions typographiques, 2018-2021.

Comment votre pratique de graphiste et de chercheuse influence l’enseignement que vous prodiguez à l’Erg à Bruxelles ?

Est-ce ma pratique de graphiste et chercheurse qui influence mon enseignement ou l’inverse ? Difficile à dire ! J’apprends énormément en enseignant. Avec le sujet tellement riche en découverte de la typographie non-binaire, nos certitudes sur les savoirs typographiques ont vacillé et nous sommes toustes en position d’apprentissage d’un savoir qui se construit collectivement.

Je vois l’ensemble de mes pratiques comme un tout, une toile qui se tisse. Je sépare de moins en moins les choses, c’est un magma. Ce qui est évident, c’est qu’il y a des allers-retours constants entre la pratique du design graphique du studio avec mes comparses Damien Safie et Esther Poch au sein de Kidnap Your Designer, l’enseignement à l’erg et la recherche. Au studio, nous travaillons avec de nombreuses associations LGBTQI+ pour qui les questions de genre sont souvent au centre des préoccupations graphiques. L’activité du studio est essentielle pour m’autoriser à enseigner le design graphique, je ne me verrai pas enseigner une pratique qui n’est pas ou plus ancrée dans ma réalité. Et c’est sans doute le partage de cette réalité qui permet aux étudianls de se projeter, de me donner du crédit et de me faire confiance aussi.

Entretien réalisé par Véronique Marrier, cheffe du service design graphique au Centre national des arts plastiques.

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Dernière mise à jour le 10 février 2022