Anish Kapoor en quelques concepts clés

Pour cerner au plus près les enjeux de l’œuvre d’Anish Kapoor, plusieurs concepts clés sont proposés comme autant de pistes de lectures.

LA COULEUR ET LE MONOCHROME
La couleur est fondamentale dans l’art d’Anish Kapoor. Elle n’est pas là pour décorer ou pour s’ajouter à l’œuvre. Elle en est très souvent le principe, toujours pure et sans mélange. Dans ses œuvres de la fin des années 1970 et du début des années 1980, il produit des sculptures entièrement recouvertes de pigment pur. De taille réduite, comparées à d’autres œuvres qu’il créera plus tard, ces sculptures font référence à la tradition indienne où l’on dispose des pigments purs à l’entrée des temples. La couleur est un seuil vers le non-verbal, elle se doit d’être monochrome pour résonner avec l’intime inavoué de notre corps. Pour Kapoor, « le pigment concourt à donner à l’objet un caractère d’invisibilité, à produire une sensation de Gestalt, de tout unifié, pour lequel les notions de devant, de derrière, de côtés sont pratiquement inexistantes. »

LE SUBLIME
L’art d’Anish Kapoor relève, à maints égards, de l’idée de sublime, telle qu’elle a pu être formulée par les artistes romantiques du XVIIIème siècle. L’émotion spécifique provoquée par l’impression de vulnérabilité devant les forces de la nature est comme renouvelée par les œuvres d’Anish Kapoor. Dans un geste puissant qui annule la subjectivité de l’artiste au profit d’une production quasi-démiurgique, l’artiste place le spectateur en situation de déplacement perceptif et émotionnel. La perte de repère, la sensation d’être happé vertigineusement par l’œuvre sont autant d’indices de ce sublime à propos duquel le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) écrivait « l’imagination atteint son maximum et dans l’effort pour la dépasser, elle s’abîme elle-même, et ce faisant est plongée dans une satisfaction émouvante. »

LA PEAU DE L’OBJET
Jouant sur la surface et l’apparence des choses, Anish Kapoor fait de la peau une image forte pour comprendre son travail. La peau, lieu de toutes les sensations, marque une frontière entre un intérieur et un extérieur. A ce double titre, les œuvres d’Anish Kapoor sont typiquement des « lieux de sensations » et des marqueurs de frontières. L’attention méticuleuse portée par l’artiste à la texture, aux quelques microns par lesquels l’œuvre est en contact avec le monde est un concept. Celui-ci désigne alors cette recherche d’un art qui trouve le profond à la surface.
C’est à la faveur d’une sensation physique que l’œuvre dévoile sa profondeur. Ainsi, que ce soit grâce aux sculptures monumentales en membrane de PVC (Marsyas, 2002) ou aux surfaces réfléchissantes des sculptures miroirs (C-Curve, 2007), la peau est le lieu d’une révélation, mais aussi d’une illusion, c’est là que se crée l’idée parfois fictionnelle de la forme, de la masse, des connotations.

LE VIDE
Echappant par nature à toute matérialisation, le vide est à la fois ce qui manque et ce qui nous est toujours donné. Pour Anish Kapoor, le vide est un motif récurrent qu’il met en scène dans de nombreuses sculptures, à l’image de Descent into Limbo, 1992, Ghost, 1997, The Origin of the World, 2004. A chaque fois, le défi plastique – donner une consistance à l’inconsistant – permet à l’artiste de conférer au vide une certaine aura. Le vide devient un appel, la promesse d’un ailleurs que l’artiste aurait réussi à matérialiser ici. Les connotations religieuses et spirituelles du vide, même si elles ne sont jamais ramenées formellement à une religion déterminée, permettent à l’artiste de créer une aspiration forte dans ses œuvres – un appel d’air spirituel.

LA LUMIÈRE COMME FANTÔME
Le caractère à la fois éminemment mental mais aussi particulièrement charnel de l’œuvre de Kapoor s’accompagne d’une profonde réflexion sur la lumière. Celle-ci n’émane jamais d’un point défini, elle est toujours diffuse. Ces œuvres « capturent » la lumière et la restituent sur un mode indirect et fantomatique. On ne connaît pas sa source et on ne sait pas exactement ce qu’elle vise. Elle est une lumière d’avant le soleil, qui semble sourdre de la sculpture elle-même. Le plus souvent d’ailleurs, c’est la couleur qui, dans sa pureté, se liquéfie dans la clarté liquide réfléchie par la surface indifférente des miroirs.

LA FICTION ET LE RITUEL
Sensible à la gravité organisée des rituels, Anish Kapoor introduit savamment dans l’organisation plastique de ses œuvres l’impression d’un rituel possible. Conscient de l’efficacité psychologique de ces organisations immémoriales du temps et de l’espace, il en utilise les vertus au service de l’implication psychique des regardeurs. Comme le souligne l’artiste : « L'art puise son essence dans notre culture matérialiste. Les œuvres qui prennent cette culture pour sujet auront, d'après moi, une très courte existence. J'éprouve le besoin de m'adresser à l'humanité à un niveau plus profond ». Cependant, une grande partie de son travail accepte la fiction et la souligne pour défaire l’objet de sa matérialité. Il dit à ce propos : « les artistes ne font pas d’objets, ils construisent des mythologies et c’est à travers leurs mythologies que nous lisons leurs objets ».
C’est cette présence de l’imaginaire dans la matière même de l’œuvre qui permet de porter notre regard au-delà et qui fait dire à l’artiste : « Quel est le réel espace de l’objet, est-ce ce que vous regardez ou est-ce l’espace au delà de ce que vous regardez ».

L’ÉCORCHÉ
En référence directe à la figure mythologique de Marsyas (satyre qui a défié Apollon et qui fut écorché vif) et au titre d’une œuvre remarquable d’Anish Kapoor, l’écorché est un thème qui revient souvent dans l’œuvre de l’artiste. Terme se rapportant à l’anatomie, l’écorché désigne une figure peinte, dessinée ou sculptée, montrant des muscles sans la peau. La pratique de l’écorché était recommandée à la Renaissance pour former les peintres. De ce point de vue, l’intérêt d’Anish Kapoor est lié à l’histoire de l’Art. Mais, plus profondément, il repose sur cette alliance rendue visible entre le moteur même du vivant et le reste du monde, sans intermédiaire cutané. L’écorché prend alors chez l’artiste des formes variées que l’on retrouve le plus souvent dans ses célèbres trompes, fabriquées en membrane de PVC.

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Dernière mise à jour le 24 octobre 2019