Rodrigo Arteaga, Just as the daylight was fading

Une exposition personnelle de Rodrigo Arteaga
Exposition
Arts plastiques
sobering Paris 03

Rodrigo Arteaga, Just as the daylight was fading
15 septembre – 15 octobre 2016
Vernissage le 15 septembre 2016, de 18h à 21h

Dans la Somme Théologique, Thomas d’Aquin oppose au « vice de curiosité » la « studiosité » en ce que l’esprit s’applique studieusement à un objet. Bien que « la connaissance de la vérité [soit] bonne […] elle peut néanmoins être mauvaise […] lorsque quelqu’un s’enorgueillit de la connaissance de cette vérité ».1

Pourtant, d’un point de vue étymologique, le mot « curiosité » n’a pas de connotation péjorative. Il est dérivé du latin cura, qui signifie prendre soin. Le curieux a cure*.2

Dans le Dictionnaire de Trévoux, la curiosité est découpée entre attention, désir et passion du savoir, « curiosus, cupidus, studiosus »3. Elle motive le désir de connaître autant qu’elle aide à l’intelligibilité du monde. D’ailleurs, la curiosité désigne à la fois « l’état du sujet et la nature de l’objet »4, de l’objet comme curiosité.

Les cabinets de curiosité firent leur apparition en Europe dès la Renaissance. « Les Kunst und Wunderkammern virent leur apogée au XVIe et au XVIIe siècles »5, parallèlement à l’exploration des nouveaux mondes. Les cabinets de curiosités mettaient en lumière des objets rares ou étranges, issus des règnes animal, végétal et minéral, mais également des objets fabriqués par l’homme.

Les collections s’organisaient en quatre catégories : « naturalia, qui regroupe les créatures et les objets naturels […] ; exotica, qui comprend les plantes et les animaux exotiques ; scientifica, qui regroupe les instruments scientifiques ; artificialia pour les objets créés ou modifiés par l’homme […]. »6

Au XVIIIe siècle, la curiosité laisse place à la science. Les cabinets de curiosité sont progressivement remplacés par des cabinets d’Histoire naturelle. « On passe alors de la curiosité, valorisée pour sa rareté, à la recherche de la série. »7

Avec les Lumières, les collections se rationalisent, sont rangées méthodiquement. « Chaque individu porte sa dénomination »8, les éléments sont étiquetés et placés dans des vitrines. « Un cabinet d'Histoire naturelle est donc un abrégé de la nature entière. »9

Le XIXe siècle amorce le déclin des cabinets de curiosités, progressivement remplacés par des structures institutionnelles.

 

Rodrigo Arteaga, dans son exposition personnelle, Just as the daylight was fading revisite les cabinets de curiosités, autrefois détenus par des intellectuels ou des nobles poussés par la curiosité intellectuelle, la volonté d’exposer leur érudition ou l’élan exploratoire.   

L’artiste emprunte à ces collections privées les formes végétales, animales et minérales, parcourant, par là même, les chemins de la connaissance : de la pratique de la collection à la rationalisation de la connaissance.

Il présente une « radiographie de l’impulsion à collectionner des spécimens naturels qui est à l’origine des cabinets de curiosités, puis des musées »10 et pointe la relation ambiguë entre nature et culture. Pour ce faire, il se réapproprie les modes de présentation des expositions scientifiques : aquarium, terrarium, serre, cabinet, collections, illustrations…

Son œuvre Atlas of the Physical and Political History of Chile se présente sous la forme d’un cabinet de curiosités où sont exposées des sculptures en papier, façonnées à partir de l’ouvrage éponyme du naturaliste français Claude Gay, qui a illustré les formes de vie au Chili au XIXe siècle.

L’œuvre reflète « l’impossibilité de l’homme d’essayer de comprendre le monde en l’ordonnant et en collectionnant chacune de ses formes. »11

L’artiste souligne l’importance qu’ont eue les cabinets de curiosités, en ce qu’ils ont contribué à l’émergence de la division des sciences et de l’analyse scientifique de la nature.  

  

Les sculptures de l’installation Het Wondertooneel der Nature ont été créées d’après la collection de coraux du Cabinet des curiosités naturelles d’Albertus Seba. Cet apothicaire hollandais (1665-1736), établi à Amsterdam, a constitué une des collections d’animaux, de plantes et d’insectes les plus importantes du XVIIIe siècle. Albertus Seba a ensuite commandé des illustrations de ses spécimens, regroupées dans un ouvrage en quatre volumes. Rodrigo Arteaga a découpé les illustrations de coraux à l’échelle et a organisé ses sculptures d’après une gravure du catalogue de la collection de Levinus Vincent (1658-1727).

Collection of rocks est une installation en papier sculptée à partir de photographies de différents types de roches caractéristiques de la Cordillère des Andes. Rodrigo Arteaga a simulé la texture et le volume de la pierre. Les éléments sont présentés de la même manière que les minéraux sous vitrines des collections muséales d’Histoire naturelle.

Le dessin à l’encre Entomology cabinet s’inscrit dans la lignée du langage graphique des gravures du XVIIe siècle, propice aux cabinets de curiosités. Pour les entomologistes, les botanistes et autres chercheurs, les illustrations furent et restent un medium de représentation et de transmission du savoir. D’ailleurs, Observations on botanical illustration, qui se compose d’une photographie et d’un dessin d’une même plante, témoigne des limites de la représentation botanique.  

Pour son projet Öekologie, Rodrigo Arteaga a sculpté son salon à l’échelle d’un aquarium pour « comprendre les manières de formaliser l’espace et les limites entre naturel et artificiel ».12 En reproduisant l’habitat, l’artiste s’interroge sur les environnements artificiels dans lesquels sont maintenus les êtres vivants.

D’ailleurs, il prolonge la réflexion dans son œuvre Plant observatory, maquette d’une serre construite en 1853 à Santiago (Quinta Normal Park). Depuis 1995, ce monument historique national du Chili est en état d’abandon. Originalement, la serre devait contenir des espèces exotiques du monde entier, mais le bâtiment, vidé de sa fonction, ne renferme aujourd’hui que des matériaux en ruine.

Rodrigo Arteaga matérialise le rapport empirique de l’Homme à la nature autant que sa volonté de rationaliser les connaissances pour mieux appréhender son environnement. En situant chaque espèce, en créant des familles, des embranchements, l’être humain tente de comprendre la place qu’il occupe dans la biosphère.

« Si la durée d'évolution de la vie sur Terre est représentée par une année de 365 jours, alors l'homme a fait sa première apparition dans la soirée du 31 décembre ... alors que le jour baissait. Il avait pris quelques 4,000 millions d'années pour faire son entrée. » 13

 

  1. 1. THOMAS D’AQUIN, La Somme théologique (summa theologica), ou Somme de théologie (Summa theologiae), II-II, questions 166 et 167, 1266-1273.
  2. 2. En opposition avec l’expression « n’en avoir cure ».
  3. 3. Définition de « curiosité » dans le Dictionnaire de Trévoux, dictionnaires français du XVIIe siècle, 1704-1771.
  4. 4. MONDZAIN-BAUDINET, Marie-José, « CURIOSITÉ, histoire de l'art  », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 juillet 2016. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/curiosite-histoire-de-l-art/
  5. 5. ROCHAS, Joëlle, L’Influence des naturalistes et des cabinets de curiosités germaniques dans la genèse du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble (1773-1839) : le cas du cabinet de curiosités de l’archiduc Ferdinand II du Tyrol, curiositas.org, une initiative de l’Université de Poitiers et de l’Espace Mendes France.
  6. 6. BOETSCH, Gilles ; BLANCHARD, Pascal, « Du cabinet de curiosité à la « Vénus Hottentote » : la longue histoire des exhibitions humaines » in L'invention de la race: Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, sous la direction de BANCEL, Nicolas ; DAVID, Thomas ; THOMAS Dominic, La Découverte, 2016, 548 pages.
  7. 7. DE L’ESTOILE, Benoît, Le goût des Autres, De l’exposition coloniale aux Arts premiers, Collection Champs Essais, Flammarion, Paris, 2007 (réédition 2010), 624 pages.
  8. 8. DIDEROT, Denis ; D’ALEMBERT, Jean Le Rond, Encyclopédie Ou Dictionnaire Raisonné Des Sciences, Des Arts Et Des Métiers, Briasson, 1751, Original provenant de la bibliothèque de l'État de Bavière, numérisé le 6 oct. 2010, 871 pages.
  9. 9. Ibid.
  10. 10. Rodrigo Arteaga, à propos de son projet, Just as the daylight was fading, Sobering Galerie, Septembre 2016. 
  11. 11. Ibid.
  12. 12. Ibid.
  13. 13. Extrait du film de Peter Greenaway « Zoo : A Zed and Two Noughts » (1985)

« If the evolutionary span of life on Earth is represented by a year of 365 days then man made his first appearance on the evening of the 31st of December… just as the daylight was fading. It had taken some 4.000 million years for the entrance to be made. »

 

Complément d'information

Rodrigo Arteaga
Just as the daylight was fading
15 septembre – 15 octobre 2016
Vernissage le 15 septembre 2016, de 18h à 21h

Horaires

mardi-vendredi : 10h-12h45 / 14h-19h samedi : 11h-12h45 / 14h-19h

Adresse

sobering 87 rue de Turenne 75003 Paris 03 France

Comment s'y rendre

 Adresse :
sobering galerie
87 rue de Turenne
75003 Paris
 Metro :
Saint-Sébastien-Froissart ( ligne 8 )
Filles de Calvaire ( ligne 8 ) 

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022