Meschac Gaba

Archéologie contemporaine
In Situ Fabienne Leclerc Romainville

Archéologie contemporaine

03.08 / 04.28.2012

 

L’archéologue du futur

 


Meschac Gaba, l’un des artistes contemporains d’Afrique les plus pertinents, travaille depuis plus d’une

décennie à la réécriture d’une histoire contemporaine du continent dont il est issu. Dans sa dernière

exposition personnelle (Kassel, Las Palmas), il a montré un ensemble qui donnait l’articulation de

son propos. Jouant sur les clichés qui ont cours dans le monde de l’art, il a décidé de déconstruire les

idées reçues et de détourner le sens conventionnel de notions comme celle de musée, pour les adapter

à sa propre vision du monde. Une vision faite de collages conceptuels qui confère à son univers une

immédiateté qui ne renvoie à aucune géographie ni à aucune origine. Avec un humour et une distance

qu’il a acquis au fil des années à travers les différentes expériences artistiques qui lui ont fait parcourir

le monde, il nous raconte un monde en devenir. Le travail de Gaba, dans son essence, me renvoie à

ce que disait l’écrivain Boris Vian en exergue de son «L’écume des jours » : « cette histoire est vraie

puisque je l’ai inventée d’un bout à l’autre ». Gaba joue une partition subtile entre fiction et réalité,

détournements et inventions. L’histoire qu’il nous raconte est une histoire très ancienne qui remonte

à l’origine des temps, comme une paradoxale archéologie du possible. Ses perruques voitures et son

archéologie contemporaine sont emblématiques de sa manière de déchiffrer les signes qui l’entourent. Il

joue, dans les deux séries, de la juxtaposition des contraires. L’archéologie peut-elle être contemporaine

et les objets quotidiens des éléments d’étude pour les générations à venir ? Quant aux perruques, elles

illustrent le conflit immémorial entre les anciens et les modernes. La tradition opposée et complice des

aspirations d’une société devenue consumériste. Et les questions qu’il pose, avec cette posture faussement

naïve, sont celles d’une globalisation qui voudrait annihiler toute dissemblance. Il nous dit que nous

sommes tous les mêmes, précisément à cause de ce qui nous différencie et qui conforte notre humanité.


Simon Njami


 

 

 

Réalités fictives


Citroën, Jeep, Studebaker, Smart, Picasso, Tracteur, Oil Tanker… On pourrait, à l’énoncé de cette

liste non exhaustive, se croire au salon de l’automobile. Meschac Gaba n’a pas jugé utile d’ajouter

des Mercédès ou des Rolls à son catalogue. Cela aurait peut-être fait nouveau riche. Mais le tracteur

comme le tanker font tâche. Ils appartiendraient à d’autres salons. À d’autres réalités également. Entre

le salon de l’agriculture et les champs pétrolifères. L’Afrique n’est pas loin. Et le commentaire social

et politique suit de très près. Mais au-delà de l’état de l’Afrique, cet ensemble de perruques qui nous

renvoie à un autre salon, de coiffure, cette fois, c’est un regard sur l’Afrique que porte l’artiste, en nous

proposant une double lecture de ces objets insolites. La première évoque les rêves ordinaires de citoyens

ordinaires qui se réalisent à travers les signes extérieurs de leurs désirs. Je pense à ce roman dont le

nom de l’auteur m’échappe qui s’intitulait : Ma Mercédès est plus grosse que la tienne. Compétition et

machisme. Le plus drôle, c’est que ce soit à travers des attributs féminins que s’illustre l’intention. Des

atours qui, et voici le sens profond, qui évoque le travestissement et le masque. Les tresses artificielles

font depuis, quelques années, fureur en Afrique et il est devenu rare aujourd’hui de voir des femmes

porter leurs véritables cheveux. Mais au-delà des femmes, c’est une société toute entière qui est visée.

Il n’y a pas de morale ni de condamnation. Libre à nous de déterminer le degré d’aliénation que

portent en eux ces chevelures artificielles. Peut-être finiront-elles un jour ou l’autre dans le projet

d’archéologie contemporaine où l’artiste rassemble les artefacts qui, selon, lui, témoigneront de notre

passage sur terre, au milieu d’objets trouvés et de pièces d’artisanat. Les perruques comme l’archéologie

ne sont autres que des réalités fictives. Une invitation à construire nous-mêmes nos propres musées et

à redéfinir la hiérarchie des choses.


Simon Njami


Artistes

Adresse

In Situ Fabienne Leclerc 43, rue de la Commune de Paris 93230 Romainville France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022