Guillaume Pinard

Du Fennec au Sahara
Exposition
Arts plastiques
Le Carré - scène nationale Centre d'art contemporain d'intérêt national Château-Gontier

Guillaume Pinard, exposition "Du Fennec au Sahara"
Photo © Antoine Avignon

DU FENNEC AU SAHARA

 

 

L’APPARITION DU FENNEC

Dans sa formulation, le titre de l’exposition reprend un gimmick connu, à savoir le parcours intellectuel, esthétique ou spatio-temporel qui relie deux artistes, deux mouvements, deux lieux : de Picasso à Jasper Johns, du Liberty au design italien, de Versailles à La Motte Tilly…Sauf qu’ici, disons-le tout net, ce titre n’a rien à voir avec l’exposition. Ou plutôt si : tel un démarreur narratif, il nous propulse dans l’imaginaire de Guillaume Pinard, et traduit sa tendance naturelle à susciter des pistes qui n’en sont pas vraiment, son penchant pour les associations libres d’images ou d’idées. Ce titre renseigne aussi sur une pratique ancienne de l’artiste, qui consiste à ricocher entre les définitions, les dessins et les photos d’un dictionnaire illustré : une métaphore qui résume bien la façon dont Guillaume Pinard navigue dans son propre travail, un peu égaré, avec la jubilation et le plaisir de celui qui n’essaie pas clairement de trouver son chemin. À l’entrée Fennec, il aurait pu bifurquer vers mammifère, mais il choisit d’aller vers Sahara. L’écho de Dada, dont le nom fut trouvé à l'aide d'un coupe-papier glissé au hasard entre les pages d'un dictionnaire Larousse1, résonne en sourdine. Pensées fortuitement, les expositions de Guillaume Pinard sont de vraies-fausses organisations de ce processus digressif, elles traquent les découvertes faites par « accident et sagacité »2, elles guident une lecture tout en brouillant les consignes. Peut-être y aura-t-il un fennec à Château-Gontier, mais rien n’est moins sûr.

 

PASSION LAMBRIS

Récemment, Guillaume Pinard a conçu des expositions orientées vers le patrimoine, dont il s’approprie certaines œuvres par un travail de copiste déviant. Plongé dans une pratique intense du dessin, il a également passé beaucoup de temps à écrire un livre (Amor, aux éditions Sémiose), une fiction fantastique parlant d’histoire de l’art et de médiation. Pour cette nouvelle proposition,  il décide de mettre l’accent sur un autre aspect de son travail qui l’occupe quasi-quotidiennement : la peinture, et son contexte de présentation.

Sans surprise, la Chapelle du Genêteil fut déterminante pour imaginer la scénographie de l’exposition — un lieu compliqué, qui combine une nef au volume magnifique, un plafond singulier en coque de bateau renversé et des matériaux (tomettes et murs crépis) issus d’une restauration années 80 de qualité médiocre. Ce dernier point fit dériver l’esprit de Guillaume Pinard vers un autre élément rustico-kitsch, plébiscité peu ou prou à la même période : le lambris. Accessoirement, l’atelier de l’artiste en est couvert du sol au plafond. En guise d’hommage caustique à la chapelle comme à son lieu de travail, il choisit d’habiller deux blocs de cimaises de ces boiseries au chic questionnable, et poursuit son élan de décoration intérieure en introduisant plusieurs meubles — guéridon ou porte-manteau généreusement vernis — dont le vieillissement artificiel peine à masquer la facture toc. Commentaire de Guillaume Pinard sur ces unités d’atmosphère faux-rustique : « Ce n’est pas pour le plaisir du mauvais goût, cela me plaît vraiment, même si d’évidence, je ne suis pas dans l’exercice de sublimation. »

 

ÉCHEVEAU DE PEINTURE

Support lambrissé pour accrochage dense : l’artiste choisit d’installer ses petits formats dans la promiscuité, ce qui stimule le dialogue entre les toiles. Plus généralement, la pratique picturale de Guillaume Pinard évoque une vaste plateforme d’échange : il crée des peintures qui parlent de peinture, et revisite librement tableaux anciens ou plus récents comme on ferait la conversation à des amis. Aucune logique thématique ou stylistique dans ce corpus visuel dont il répugne à divulguer les références : il préfère revendiquer le hasard de la rencontre plutôt que la qualité plastique du modèle, et s’attache même à des œuvres qu’il n’aime pas vraiment. À nouveau, force est de constater que la méthode s’avère très organique et part dans toutes les directions : parfois, simplement, dire un mot dans l’atelier puis commencer à le peindre, chercher des motifs simples, regarder les autres peintres, repérer tel détail, se dire à quel point ce détail est intéressant et vouloir lui répondre…

 

MOTIF ÉMOTIF

L’iconographie de ces peintures récentes s’exprime en leitmotiv : des motifs traditionnels, liés au corps et au paysage, qui deviennent sidérants par le traitement que Guillaume Pinard leur inflige. L’artiste dissèque, boursoufle, et cabre le cadre : corps décapités, replis d’une baigneuse replète ou d’un chien carlin, jambes sectionnées mi-tibias… Découpés, déformés, les corps dérivent parfois vers l’objet paréidolique3 ou réversible4. On croise quelques compositions régressives — un étron tigré surgit d’une paire de fesses — ainsi qu’un large éventail de scènes érotiques, allant d’une grosse femme verte prenant du plaisir sous la lune aux caresses saphiques entre deux canes anthropomorphes. Quant aux paysages et aux autoportraits, l’artiste les traite avec le même excès, la même exaltation.

 

DE LA COULEUR

Essentielle pour servir ce propos, la gamme chromatique privilégie les couleurs affirmées et directes. Beaucoup de vert et de rouge de forte intensité : la touche est franche, le cerne souvent présent, et tout comme la couleur, ils rappellent la peinture expressionniste, sa nature ombrageuse et primitive. Guillaume Pinard, qui aime que « ça sèche vite », travaille donc de préférence la peinture acrylique : dans cette palette de couleurs primaires ou secondaires assez homogène, il fait peu de mélanges, ou choisit de les réaliser en direct sur la toile, par pellicules transparentes. Dans cette transparence, on saisit à la fois l’ébauche et la formation du motif qui parfois se sature et presque se détruit. La vitalité de ses toiles réside au cœur de ce processus : ce temps du motif, en train de se dérouler, sous nos yeux.

 

RUPTURE D’ÉCHELLE

Dans le travail d’écriture de ses expositions, Guillaume Pinard affectionne la rupture d’échelle : en contrepoint de cette accumulation de petits tableaux, il présente plusieurs toiles de grand format, ainsi qu’une monumentale peinture murale qui prend tout l’espace du fond de l’abside. Amplifier les proportions permet à l’artiste d’entrer dans la dimension performative d’une peinture exécutée comme un défi en corps à corps, entre maîtrise virtuose et lâcher prise. Et quoi de plus provocateur et fantasmatique que d’embraser une chapelle ?

 

EXTENSION SCULPTÉE

Dans toutes les expositions de l’artiste, qui pourtant ne se revendique pas sculpteur, figurent des pièces sculptées qui fonctionnent comme des contrepoints à l’espace graphique ou pictural. En 2012, au Centre d'art contemporain maison Georges Pompidou à Cajarc, Guillaume Pinard présente un grand nombre de ces sculptures — objets réalisés par ses soins ou ready-made choisis pour leur pouvoir d’attraction bizarre — et décide de les recouvrir d’une sorte de pâte, comme pour les cristalliser, les enfermer dans une gangue. Ces vestiges pop, présentés comme une collecte archéologique, furent ensuite conservés, prêts à jouer une autre partition. C’est chose faite : posées sur les meubles-socles de style faux-rustique, ces fossiles du présent arborent désormais la gamme chromatique vive et franche des peintures qui les entourent. Comme un éclatement de la couleur dans l’espace, ils questionnent leur relation à la surface picturale et reflètent une qualité de présence étrange, suspendue entre plusieurs temporalités.

 

AU SAHARA

Regard d’ensemble sur l’exposition : précise mais opaque, formelle et sentimentale, elle ressemble à une énigme poétique, dans laquelle chaque toile ou objet synthétiserait un espace-temps complexe. S’il n’en condamne jamais l’accès, Guillaume Pinard aime nous perdre dans les méandres de l’œuvre, vaste entreprise de connections indisciplinées, recyclage de données inattendues, aberrantes et capitales. Au visiteur de trouver sa voie dans ce labyrinthe mental, où l’art se nourrit de l’art, entre hommage et détournement, entre exercice d’admiration et verve iconoclaste. Comme au Sahara, le voyage peut s’avérer mouvementé.

 EVA PROUTEAU

 

Notes

1-     Cette version est sujette à caution. Mais « Gardons-nous de ne pas croire aux légendes ! », écrit Henri Béhar à son propos. In Henri Béhar & Michel Carassou, Dada, histoire d’une subversion, Fayard, Paris 1990-2005, p. 8.

2-     L’expression est d’Horace Walpole, homme de lettres anglais théoricien de la sérendipité.

3-     La paréidolie est la faculté que possède notre cerveau d’associer un stimulus visuel vague à un élément identifiable, souvent une forme humaine ou animale. L’identification de visages dans les nuages est un exemple classique de paréidolie.

 

4-     La mode des tableaux réversibles bat son plein au XVIe siècle : Giuseppe Arcimboldo, entre autres, a produit plusieurs natures mortes réversibles en figure anthropomorphique.

Artistes

Horaires

du mercredi au dimanche, 14h > 19h

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Le Carré - scène nationale Centre d'art contemporain d'intérêt national 4bis rue Horeau 53203 Château-Gontier France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022