Détournements

Antea ARIZANOVIC, Elvire BONDUELLE, Lucie DUVAL, Isabelle GIOVACCHINI, Jérémy LAFFON, Florent LAMOUROUX, Michaële-Andréa SCHATT
Exposition
Arts plastiques
Galerie Isabelle Gounod Paris 03

Communiqué de presse Le mythe des avant-gardes est quelque part légitime d’une histoire des ruptures, une histoire considérant chaque artiste moderne ou chaque école à la manière d’une cassure dans la grande temporalité. Une autre histoire serait à faire, une histoire de la continuité et des permanences. On verrait alors que sous des manières toujours actualisées, l’art implique de lointaines obsessions, porte d’antiques et insolvables questions. Peu nombreuses en vérité ; étrangères à toute idée de surenchère ou de progrès. Que sous les différences apparentes courent souvent des obstinations et des constances tout à fait dégagées des obligations de l’art, si l’on peut dire. Dans cette histoire, il est probable qu’on y observe la présence continue des objets et le petit jeu des manipulations auxquelles ils sont sujets. Depuis les pierres dans le contour desquelles les premiers hommes décèlent quelque anthropomorphisme jusqu’au matériel courants du siècle industriel, c’est à chaque fois ouvrir des mondes à les associer ou les déplacer. C’est que l’objet est, déjà à l’échelle des enfants, ce par quoi aborder le monde et exercer ses pouvoirs. Pour tout dire : l’objet c’est le monde sous les doigts. On ne s’étonnera pas alors que, sacrifiant à la définition du génie baudelairien, les artistes s’aventurent plus ou moins distraitement du côté de cette « enfance retrouvée à volonté » qui invite à considérer chaque objet du monde comme le lieu de détournements possibles, le lieu ordinaire de l’humour, de la poésie et de l’aventure. Jérémy LIRON, 2010

Complément d'information

Issue de la jeune génération d’artistes slovènes, Antea Arizanovic questionne le conservatisme d’une société patriarcale, l’identité et la discrimination sexuelle. Peinture, photographie, vidéo, réalisation d’objets et performances sont autant de médiums qu’elle exploite pour évoquer le contexte politique d’une Europe élargie et celui d’une société traditionnelle. Elle s’interroge sur le statut de la femme et explore la perception du corps dans nos sociétés guidées par la consommation. De quelle façon la sexualité et l’érotisme sont-ils présentés et exploités aujourd’hui ? Elvire Bonduelle crée des choses inspirées par sa quête du bonheur. La plupart du temps il s’agit d’objets qu’elle souhaite présents et utiles à notre quotidien. Si pour l’artiste leur fonction n’est pas primordiale - ils ne sont d’ailleurs pas toujours très fonctionnels -, mais ils racontent des histoires : avec les cales on s’adapte, avec les obstacles on s’assouplit, avec les fauteuils on se cultive, ... Parfois, ce sont des vidéos, diaporamas, chansons ou livres, avec toujours cette ambition de tout reconstruire; mais peut-être s’agit-il simplement de refonder notre rapport au monde : « Le Meilleur Monde », numéro spécial du quotidien Le Monde est composé des seuls articles positifs parus entre janvier et avril 2010, respectant la maquette originale. Le Meilleur Monde a donné lieu à une performance/distribution au métro Bonne Nouvelle, à Paris le 20 mai 2010. Le travail de Lucie Duval, artiste québécoise, s’est développé depuis quelques années autour d’un objet usuel : des gants pour travailleurs « made in China », et vendus dans le monde entier. Ils illustrent à eux seuls toute une économie de marché où l’industrie du textile fut l’un des premiers secteurs touché par cette mondialisation. Mais ici, les signes sont déviés, ces même gants repris par Lucie Duval trouvent une nouvelle fonction : elle les coud entre eux, un à un, réalisant ainsi des vêtements-sculptures/vêtements haute-couture (ce sont aussi des « petites-mains » qui réalisent les modèles créés par les couturiers). Lucie Duval aime détourner les objets et les mots de leur fonction première révélant à la fois ironie et contradictions de notre époque : ces vêtements/sculptures s’accompagnent d’une série de photographies où l’utilisation de mots vient en surimpression. Un mot en français est alors mis en rapport avec deux traductions anglaises possibles, aux sens élargis, afin d’insister sur l’ambivalence des signes selon les contextes : MANŒUVRE : main d’œuvre non-spécialisée ou ruse, machination. Le même mot selon son contexte peut avoir des significations différentes, voire opposées. s’efforce en premier lieu de saisir avec précision le point extrême où il est encore possible d’inscrire une forme, aussi ténue soit-elle, sur une surface. L’un des aspects de son travail est une exploration ludique des possibilités du langage à devenir à son tour un matériel ou un médium non pas voué au sens, mais à l’apparition d’ « images-textes ». Dans ce registre s’inscrivent diverses éditions de livres, qui sont plutôt des objets que des livres « à lire », réalisés à partir d’œuvres littéraires. Ecceeirxs de Sltye (2005) est une « Traduction » des Exercices de Style de Raymond Queneau : les lettres de chaque mot sont rangées dans l’ordre alphabétique, à l’exception de la première et de la dernière reprenant une théorie selon laquelle n’importe quel mot reste lisible tant que sa première et sa dernière lettre restent à leur place. Notes, 2007, d’après Les Carnets du Sous-sol, de F. Dostoïevski est une sorte de « relecture » d’un livre. Le texte original est effacé, pour ne reproduire ici que les annotations du précédent lecteur. On obtient un ouvrage muet, aux pages jalonnées par quelques traits, quelques croix, parfois un mot griffonné. Autant de traces qui inscrivent simultanément un double portrait en creux, du roman et de son lecteur. Tous deux non identifiables. Ces pièces sont nées de son intérêt pour la littérature et pour le lien qu’entretiennent les arts plastiques avec le langage, mais aussi de sa curiosité à l’égard des systèmes de codification qui, menés au point critique de leur utilisation, ne sont plus que des formes muettes, des seuils d’interrogation, et encore une fois, d’aberration. Si Jérémy Laffon s'inscrit effectivement dans la classe des inclassables, ce n'est pas par réponse à cette attente d'une norme « esthétique du divers » mais tout simplement car son travail s'inscrit honnêtement dans un système fondé sur la transversalité et l'interconnexion qui lui est propre. Il met en jeu des modes opératoires non linéaires qui lui confèrent de multiples statuts : de l'acteur au magicien, du peintre au vidéaste, du joueur au poète, de l'oisif au laborieux, du collectionneur, du flâneur à l'artiste. Petit glossaire d'images mentales est une série de dessin au pastel gras sur des pages arrachées aux pages « blanches » d'un annuaire téléphonique. Les dessins, sortes de graffiti domestiques, s'égrènent page après page. Il s'agit véritablement d'un travail au sens du labeur librement consenti, littéralement un work in progress débuté en 2005. Partant de l’application d’un processus productif instable basé sur l’économie du geste, avec la temporalité et les impacts du goutte-à-goutte comme seules contraintes, la série de savons façonnés intitulée Run, Run, Productivity, Run Away ! éloigne le geste artistique direct comme corps à corps viril du sculpteur avec la matière, pour l’orienter vers un rapport quasi intimiste, fragile et délicat, minutieusement faillible. Entre le goutte-à-goutte creusant le bloc et le jet d’eau chaude polissant la forme finale, l’imagerie géologique s’installe. Les savons sont transfigurés sous des formes baroques et mutantes, comme momifiés, fossilisés, pétrifiés, comme statufiés dans des attitudes diverses, et assujettis au processus du temps. Florent Lamouroux s’interroge sur les questions d’identité (perte, isolement des individus, phénomènes de groupes et territoires virtuels). Il utilise principalement des matériaux pauvres comme le plastique, le carton, le papier et le scotch afin de privilégier l’autonomie de la création et l’économie de moyen en réaction a toutes superproductions d’images spectaculaires et lissées. Ce travail se traduit par des séries, des collections, des multiples qui prennent forme de différentes manières : production d’images, mais aussi sculptures, céramiques, vidéos, performances, installations et interventions. « Le travail de Florent Lamouroux, ne fait rien d’autre qu’insister sur la fragilité de l’équation, questionnant avec obstination les rapports de l’homme à la société comme ceux de l’œuvre avec son environnement. Ainsi agit-il comme un lointain héritier de Diogène mettant volontiers en scène de manière grotesque les aspects de notre modernité, en démontant les principes et refusant les systèmes. Sa manière est nuancée, d’ironie, d’humour, d’absurde, et d’une certaine sympathie à l’égard de l’homme dont il n’en finit pas parodier les codes comme pour mieux désigner les dérives, les travers ». Jérémy LIRON. Dans la peinture de Michaële-Andréa Schatt apparaissent fréquemment des représentations animales. Dans les œuvres exécutées en céramique elles sont au cœur de diverses interrogations liées à l’empreinte et à la frontière animalité/humanité. Le projet céramique est lié à la découverte d’une série d’animaux en plâtre stockés dans un grenier d’une faïencerie. Il s’agissait de retrouver les moules afin de les estamper, les émailler, de leur donner ainsi une seconde vie, tout en les détournant de leur identité d’origine, de leur fonction première, revisiter, réinterpréter en intervenant tel un chirurgien créant son propre bestiaire « hybride » et surtout détourner de sa fonction la céramique animalière. Les plats à pattes, plats-plateaux, portés par des pattes s’inscrivent dans une tradition de l’objet décoratif, métaphore de la servitude, une façon pour l’artiste de mettre « les pieds dans le plat ». « Disposés à terre sur une ligne, ce sont juste quelques ronds de couleur, si on s’approche on voit qu’ils sont supportés par les pattes toutes différentes, hétérogènes, avec l’idée de quelque chose qui supporte, comme on supporte un fardeau social ».

Adresse

Galerie Isabelle Gounod 13 rue Chapon 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020