Catherine Melin

Exposition
Arts plastiques
Galerie Isabelle Gounod Paris 03

Sans-titre, 2014, technique mixte sur papier, 42,2 x 59 cm

Catherine Melin investit à nouveau l’espace de la galerie dans sa globalité par un dispositif associant des dessins sur papier, des dessins muraux, des vidéos, des structures tridimensionnelles qui redessinent le parcours du visiteur.

L’exposition n’est donc pas simplement l’occasion de présenter un ensemble d’œuvres, mais est envisagée comme une occasion — le lieu et le moment d’un déploiement, de l’articulation d’un espace physique et mental dans lequel les déplacements du spectateur génèrent correspondances et désynchronisations, télescopages et ruptures, glissements de point de vue et perspectives impossibles.

Les questions du geste et de « l’habiter » sont encore approfondies en 2012-2013 dans le cadre de résidences et d’une exposition à Chengdu, métropole de la province chinoise du Sichuan. L’artiste s’attache alors davantage à saisir comment les comportements humains prennent place dans les interstices d’une ville dense en plein développement. Elle focalise son attention, dans ces espaces « en transit », sur la présence, les postures et les gestes des corps au travail : les gestes des ouvriers du bâtiment, des employés dans les ateliers artisanaux, de ceux qui, nombreux, exécutent des « petits métiers » leur assurant une maigre subsistance.

 

L’approche de Catherine Melin est cependant moins anthropologique qu’elle ne témoigne d’un regard pour ainsi dire chorégraphique en filmant les gestes des ramasseurs de gravats sur un chantier. En l’absence d’outil et en les vidant ainsi de leur fonction initiale, elle n’en conserve que la tension et le rythme souvent répétitif. Ce que les vidéos pointent aussi, en filigrane, c’est que ces ouvriers exécutent des gestes qui ne sont pas les leurs : comme ailleurs en Chine, ce sont en réalité des mingongs, ces paysans pauvres venus trouver ici les moyens de subsister pour un temps, et qui bâtissent une ville qu’il leur est interdit d’habiter. À travers ces activités improductives, ce sont des corps qui, saisis dans des contextes qui les contiennent autant qu’ils les excluent, se meuvent et tentent de préserver un espace de liberté.

 

L’œuvre de Catherine Melin pointe aussi, précisément, ce qui fait défaut à ces ambitieux programmes de restructuration et qui est en jeu dans ce que Jean-Christophe Bailly appelle fonction urbaine :« partout où zonage et compartimentation n’ont pas triomphé, une vie est maintenue, et cette vie, à la résistance mystérieuse, ce sont avant tout des accroches, de petits points de flux, de rassemblement, des points qui relient. Relier et assembler, et le faire de façon disparate, c’est là l’être même de ce qu’il faudrait appeler la fonction urbaine — une fonction qui est autonome et qui est supérieure à toutes les fonctions qu’elle brasse, une sorte d’hyperfonction complexe et unifiante, qui attache noyau et particules comme une attraction ». *

 

Catherine Melin suggère de s’interroger encore sur les tentatives des travailleurs d’immiscer, au cœur du travail et malgré sa dimension profondément aliénante, des poches de résistance, souvent fragiles mais bien réelles — d’insuffler là aussi une respiration, de produire « du jeu ».

C’est dans ce jeu, cet écart, cet interstice, c’est dans cet espace de battement que s’ancre le travail de Catherine Melin. Une manière de voir, ou mieux : en le traversant, d’habiter le monde.

 

Cédric Loire

« Une traversée »,  Extraits in catalogue « Catherine Melin, Point d’appui » Jean-Christophe Bailly, Cédric Loire, Analogues 2013.

 

* Jean-Christophe Bailly, « Fins des dortoirs », in La phrase urbaine, Collection Fiction & Cie, Seuil, Paris 2013 (p.128).

 

Complément d'information

Catherine Melin est née en 1968. Elle vit et travaille à Marseille.
Diplôme Supérieur d’Arts Plastiques, ENSBA, Paris (1994), Art Institut, Chicago, USA (1993), Licence d’Arts Plastiques, Université Paris VIII (1990).

Expositions personnelles (sélection): Musée des Beaux-Arts de Calais (2011) ; Montagnes russes, Musée d’art contemporain de Perm, Russie. Montagnes russes, Centre National d’art contemporain d’Ekaterinbourg, Russie. Espace Le Carré et Artconnexion, Lille. Point d’appui, Vidéochroniques, Marseille (2010) ; Musée des Beaux-Arts, Carré Bonnat, Bayonne (2008) ; Le 19, Centre régional d’art contemporain, Montbéliard. Centre d’art Ecart, Québec (2006).

Expositions collectives (sélection) : Glissements #2, Diagonale des arts, Biennale d’art contemporain de Cahors. Drawing Now Paris, Galerie Isabelle Gounod, Carrousel du Louvre, Paris. Lauréate du Prix Drawing Now 2011 (2011) ; People and places, FRAC Nord-Pas-de-Calais. Dunkerque (2009) ; Urbanidad, Centre culturel Borges, Buenos-Aires, Argentine (2008) ; Projections, Le 19, Centre régional d’art contemporain, Montbéliard (2007) ; Stop&Go, Acquisitions récentes du FRAC Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque (2003) ; Ça raconte quoi ?, CREDAC, Ivry-sur-Seine (2002), L’art contemporain en France, Espace Paul Ricard, Paris (1998).

Acquisitions : FRAC PACA, Artothèque du Lot, Centre d’Art Borges de Buenos Aires, FRAC Nord-Pas-de-Calais, Conservatoire national des Arts et Métiers Marseille.
Collections privées françaises et étrangères.

Artistes

Adresse

Galerie Isabelle Gounod 13 rue Chapon 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020