Alexandra Pozzo di Borgo & Farzaneh Tafghodi
Reprendre l’histoire comme une fugue. Course et musique : une accélération dans l’espace, une
compression de gestes et de formes. L’intuition d' Alexandra Pozzo di Borgo : l’art est une seule
image prise en charge par un seul artiste… Pas de genèse divine, pas de crépuscule grimaçant,
nous sommes tous des suivants et des précédents. Le peintre intégral convoque alors l’autoportrait
universel. Reprendre Rembrandt, fracturer Vermeer. Vite l’essentiel : couleur, pinceau, tablier, une
chaleur clandestine, un ressenti sensible. La touche est vive, presque liquide, de l’encre légère pour dire le monde qui s’écroule. Émerge de ce chaos toujours le même visage, à l’affût, à l’attaque, dont la représentation-même témoigne de la présence réelle, loin des duperies marchandes. J’y étais, j’y suis, j’y serai. Y a-t-il autre chose ? Non.
Il faut regarder longtemps les grands fusains et méditer leur puissance rétinienne. La craie noire
accroche aux murs des traces pures, manèges de l’enfance, premiers précipices. La craie noire, de
son éternel départ, signe l’existence.
Frédéric de Lachèze-Murel
Des vêtements posés sur des chaises, sur des boîtes, en désordre sur un lavabo. Des couleurs effilochées en lambeaux, détachées de la trame. Les peintures récentes de Farzaneh Tafghodi apposent des matières soyeuses et vibrantes sur des aplats unis, raclés, vifs et délavés, essorés par l’absence.
Le tissu, comme mémoire d’une présence perdue, d’un corps manquant : de la peau retournée,
dedans, dehors, la figuration et son envers. Sur de grandes bâches façon camouflage, l’artiste trace en blanc des silhouettes incertaines, des madones perdues dans le brun. Peu importe le sujet, il est toujours intriqué dans le support aveugle. La peinture troue l’oeil : elle se cache sous des tonnes de masque, elle dissimule la scène derrière un rideau infini. Le travail de Farzaneh Tafghodi dit cette ruse : le voile qui dissimule et qui permet de voir d’un même coup de ciseau. La peinture (départ incertain et frontière déplacée) est un exil.
Frédéric de Lachèze-Murel