Hélène Binet et Lucien Hervé - Regards partagés
Regards partagés : Autour de l’ombre
Par Véronique Boone
Lucien Hervé et Hélène Binet : deux photographes d’époques distinctes
mais intimement liés par leur manière de regarder l’architecture à travers
l’ombre.
Pour Lucien Hervé, l’ombre construit, pour Hélène Binet, elle soutient
l’image. Leurs carrières se chevauchent et couvrent ainsi les 70 ans de
l’architecture d’après-guerre et l’architecture d’avant-garde de leurs
contemporains - les photographies de Lucien Hervé sur Le Corbusier, où
celles d’Hélène Binet sur John Hejduk - mettent également en lumière des
architectures phares de la modernité et de l’humanité - comme les photos
des architectures de Le Corbusier ou de Sigurd Lewerentz par Binet ou
celles de l’Observatoire de Jaipur ou l’Abbaye du Thoronet par Hervé.
Pour la présente exposition, Hélène Binet a fait une sélection personnelle
d’images de l’oeuvre de Lucien Hervé et de son travail, relatant ainsi
différentes périodes de leur carrière afin d’ouvrir un dialogue de regards : un
regard partagé. La photographe nous livre ainsi un aperçu de sa perception
et son interprétation de l’ombre au cours de sa carrière comme pour l’oeuvre
d’Hervé. Binet et Hervé approchent et appréhendent l’architecture par le
temps de la lumière. Il ne s’agit pas seulement pour eux de comprendre
l’architecture par leur présence in situ, mais également de révéler comment
l’architecture et son environnement interagissent avec la lumière : la
résultante étant les jeux d’ombres.
Dans un dialogue, on parle, on raconte, on discute, on échange. Le dialogue
qui prend forme à travers un seul sujet mène souvent à des déambulations
de pensées par association intuitive. Un sujet en entraine un autre et
l’échange devient riche et fructueux. Un lien reste constant pour eux : leur
attachement profond, sincère et admiratif pour l’architecture.
Dans la publication-hommage Le Corbusier. L’artiste et l’écrivain(1) que
Lucien Hervé réalise en 1970, il met en dialogue les mots de Le Corbusier
avec ses photographies d’oeuvres de Le Corbusier réalisées au cours de
leur collaboration qui a duré seize ans. Images et citations se renforcent,
et offrent, par une lecture transversale des citations sélectionnées une
compréhension de la vision de Le Corbusier de concevoir l’architecture. La
sélection de photographies de Lucien Hervé par Binet peut être interprétée
comme des citations visuelles du photographe qu’elle admire, qui traduisent
son oeuvre, sa manière de penser et travailler.
Le regard partagé des deux photographes se lit de manière appuyée avec
l’image de Lucien Hervé « Loggia, U.H. Marseille » et la série d’images de
Binet « Loggia, Couvent de la Tourette» qui nous présentent une exploration
des jeux de lumière à travers le temps. L’une est un regard contemporain,
l’autre un regard rétrospectif qui mettent en valeur -par le tempsl’indifférence
au temps, et donc l’actualité du sens profond de la conception.
D’un côté, Binet explore les jeux de lumière et leurs interactions sur le béton
en photographiant toutes les demi-heures, par le même cadrage, l’élément
encastré sur le mur de la terrasse d’une cellule : ce dernier devient support,
et cadre le cycle de la journée. L’ombre devient alors un protagoniste de
la journée, et l’architecture et les bétons de la loggia servent pour mieux
exprimer ce jeu d’ombres qui s’y dévoile. Tout comme pour la caverne de
Platon, ces ombres ne sont qu’une projection de la réalité, mais la réalité
telle qu’elle se présente à nous est aussi trompeuse.
La photographie, d’Hervé comme de Binet, est alors une manière d’y
interférer, de mettre un autre regard sur ce que nous voyons comme la
réalité, mais laquelle est également, par nos yeux, transformée.
Quand Binet photographie en 1989 l’église Saint Marc que l’architecte Sigurd
Lewerentz achève en 1960 à Bjorkhagen, dans les environs de Stockholm,
elle travaille sur une architecture contemporaine aux Unités d’Habitation
de Le Corbusier. L’U.H. Marseille a été densément photographiée par
Lucien Hervé. Tout comme Le Corbusier pour la Cité Radieuse à Marseille,
Lewerentz explore avec son projet les limites de la matérialité et cherche à
rendre noble un matériau ordinaire. Si Le Corbusier fait l’éloge du béton brut,
Lewerentz recherche les possibilités qu’offrent la brique et son assemblage,
ordonné et rudimentaire et il revitalise ainsi le regard sur la tactilité.
L’attrait de Binet pour Lewerentz et d’Hervé pour la Cité Radieuse renvoie
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