Tautochrone

Raphaël Zarka
Exposition
Arts plastiques
Galerie Mitterrand Paris 03
Vue de l'exposition Tautochrone de Raphaël Zarka

La courbe la plus rapide du monde. Derrière la concision de cette formule digne d’une attraction foraine se cumulent plusieurs siècles de recherches et de défis entre scientifiques pour définir le calcul d’une cycloïde. Surnommée « l'Hélène des géomètres », il n’est pas étonnant que son histoire et ses propriétés aient retenu l’attention et la curiosité de Raphaël Zarka, tant autour d’elle et de ses applications convergent ses intérêts pour le mouvement ou plus précisément pour les objets, architectures et dispositifs capables de le générer et de le mesurer.

S’il peut être nécessaire d’évoquer ici « l’approche historicisée de l’abstraction » de l’artiste, consistant à repérer les récurrences et le glissement à travers les époques et les géographies de formes géométriques entre différents domaines du savoir et à les traduire dans le champ de l’art, rappelons que son travail est tout aussi (in-)formé par la pratique du skateboard et de ses espaces auxquels il a consacré plusieurs essais. Il n’est dès lors pas plus surprenant qu’il ait remonté le fil de cette courbe cycloïdale, d’un article dans un magazine de skate de 1985 aux cabinets de physique des XVIIème et XVIIIème siècles, jusqu’à découvrir au Musée d’Histoire de la physique de l’université de Padoue puis au Museo Galileo de Florence des instruments (ou leurs répliques) destinés à en observer les propriétés.

Dans la lignée de ses « sculptures documentaires » dont le vocabulaire renvoie à l’abstraction géométrique en reprenant des formes « chargées » de l’histoire de l’art, des sciences et des techniques, le Tautochrone (2007) qui donne son titre à l’exposition est ainsi la réplique d’une réplique d’un appareil en demi-cercle à double canal attribué à Galilée pour étudier l’isochronisme des pendules. Mais comme l’explique l’artiste, « il fallut encore des années pour que soit résolu le problème de l’isochronisme des pendules et son corollaire, celui de la courbe tautochrone » (i), qui n’est pas, contrairement à ce que pensait Galilée, un arc de cercle, mais bien une cycloïde, comme l’artiste le concrétise dans la sculpture Tautochrone vérifié (2010).

D’un instrument de mécanique destiné à étudier les mouvements des corps dans l’espace à une rampe de skate, de la sculpture à l’architecture et inversement, les projets récents de l’artiste replacent ces recherches à l’échelle du corps humain et de l’espace urbain. Si Cycloïde Square (2024) se présente sous les traits d’une sculpture-maquette complexifiant les formes attendues d’un skatepark en évoquant aussi bien une sculpture abstraite de Sophie Taeuber que l’observatoire astronomique de Jaipur en Inde, on pourra ainsi expérimenter tout l’été la Cycloïde Piazza (2024) à quelques rues de la galerie sur le parvis du Centre Pompidou. Sculpture « instrumentale » dans l’espace public, celle-ci devient alors espace praticable de glisse, agora, amphithéâtre, lieu incitant au mouvement comme au repos, piazza au sein d’une piazza. Ici, les traditionnelles rampes en arcs de cercle des skateparks se muent en cycloïdes, se dotent d’escaliers, de plateformes, de gradins et de plans inclinés, invitant à éprouver les lois galiléennes de la gravité à partir de ce vocabulaire géométrique.

Ce va-et-vient entre des œuvres pensées pour l’espace d’exposition et pour l’espace public, entre site et non-site, valeur d’usage et d’exposition, est manifeste avec La Doublure (2024) conçue dans le cadre du programme des Nouveaux Commanditaires à Trélazé dans le Maine-et-Loire. En résonance architecturale avec une ancienne manufacture d’allumettes, celle-ci associe par deux dalles en béton les vestiges d’une cheminée de l’usine à une nouvelle cheminée, sculpture de 24 mètres de hauteur dont la base ménage une pièce ouverte par quatre ouvertures et livre la surprise d’un assemblage de briques en spirale qui débouche sur le ciel. Sculpture elle aussi praticable dont la fonction reste à inventer, sa double structure évoque celle du Second Cénotaphe d’Archimède (2012), reconstitution d’après photo de cheminées anglaises en briques du XVIème siècle nommée en hommage au créateur de la vis sans fin. En reprenant le parement de brique en spirale des cheminées d’un château anglais et en le reproduisant à l’intérieur du conduit de la doublure d’une cheminée industrielle dans la campagne française, c’est tout un jeu d’échos et de renvois, de traductions et de réemplois qui se joue dans une mise en abîme vertigineuse.

Cette mise en abîme de strates historiques et géographiques se déploie enfin dans une nouvelle série de peintures présentée dans l’exposition. Intitulée Bois Gnomonique (2024), elle poursuit les recherches de l’artiste sur les gnomons (ii) et leur ornementation fonctionnaliste. Composées par recouvrements et permutations de « motifs instrumentaux » (triangles, cercles, demi-cercles…) prélevés dans le socle de cadrans solaires écossais du XVIIème et XVIIIème siècles dans la continuité des Abstractions gnomoniques (2019-2020), ces gravures sur bois témoignent des systèmes combinatoires au cœur de la pratique sculpturale de l’artiste appliqués cette fois à la matière picturale. Suivant un protocole déterminé permettant néanmoins d’accueillir le hasard par la surimpression de couleurs, elles offrent alors de nouvelles variations autour de ces motifs comme autant de palimpsestes. Une expérience tautochrone où sur chaque page ces témoins du mouvement apparaissent au présent « dans des temps égaux ».

— Yoann Gourmel

 

(i) Raphaël Zarka, Free Ride. Skateboard, mécanique galiléenne et formes simples, Éditions B42, Paris, 2021, p.90

(ii) « Cadran solaire est une façon de dire, gnomon en est une autre et ces deux noms, en désignant un même objet, disent deux choses distinctes. Le cadran solaire, c’est l’ancêtre archaïque de l’horloge, l’instrument pauvre en précision, balayé par le premier sablier venu ; le gnomon, en revanche, signifie « celui qui sait » et rappelle qu’en marquant le mouvement des ombres, le gnomon était avant tout un instrument de connaissance. » Nina Léger, Zarka Fiction, Suite Galiléenne, La Villa Beatrix Enea, Anglet, 2019

Complément d'information

Vernissage le mercredi 22 mai de 18h à 21h.

Rencontre avec l'artiste et Yoann Gourmel le samedi 25 mai à 17h dans la cour de la galerie.

Artistes

Horaires

Ouvert du mardi au samedi 11h - 19h
Lundi sur rendez-vous

Adresse

Galerie Mitterrand 79 rue du Temple 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 31 mai 2024