YOU'RE THE WORST

Kévin Blinderman
Exposition
Arts plastiques
Le Confort moderne Poitiers
Exhibition view

Lili Reynaud Dewar : "You’re the worst (and lowest form of experience. But you’re still an experience)"

Au moment où j’écris ce texte – nous sommes quelques jours avant le 31 décembre 2020 – une silhouette d’homme intégralement vêtue de cuir noir se tient debout, figée et ne s’adressant à personne en particulier, au milieu d’œuvres d’art, d’artefacts, de documents, bref, au milieu d’une exposition collective, dans une Kunsthalle vide. L’exposition c’est « No Dandy No Fun » à la Kunsthalle Bern, et la silhouette appartient à un corpus d’objets réunis par Kevin Blinderman, Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou pour produire un portrait de Jacques de Bescher ; esthète, dandy, figure de la nuit parisienne des années 70 et 80.  Ce portrait acquiert le statut d’œuvre d’art autant qu’il est un document, une recherche sociologique sur une époque donnée.

Au moment où ouvrira la première exposition personnelle de Kevin Blinderman « You’re The Worst », le 21 janvier 2021, au Confort Moderne, à Poitiers, la silhouette de l’homme de cuir sera encore au milieu de la Kunsthalle Bern, pour les tous derniers jours de l’exposition « No Dandy No Fun ». Et c’est amusant parce que je lui trouve, à cette silhouette, une ressemblance physique avec la sculpture centrale dans l’exposition de Kevin ; cette enceinte montée sur un trépied, puis posée sur un socle, avec son côté anthropomorphe, ses petites jambes maigrelettes et son buste noir, sans visage, qui gueule de manière sporadique la musique de Bulma, très fort, qui a en quelque sorte du coffre, au milieu d’un espace très vide et très nu. En tant que signe, elle contient et comprime en elle toute une expérience sociale, esthétique, émotionnelle et sensorielle : celle du club, de la « soirée », de la nuit, de la drogue, tout comme le mannequin / homme de cuir contient et comprime en lui toute une expérience sociale, esthétique, émotionnelle et sensorielle : celle du sado-masochisme, du BDSM, du cuir. Donc, il me plait de penser à ces deux figures noires sans visage, debout simultanément dans des institutions artistiques situées à 813 kilomètres l’une de l’autre, succédanées d’expériences extrêmes : des signes « qui font référence à » quelque chose de bien plus fort qu’eux.

La sculpture de Kevin me fait penser au gogo dancer de Felix Gonzàlez Torres, évidemment. Elles sont presque inversées, ces deux-là : alors que le gogo dancer de Torres écoute de la musique dans son walkman, donc de la musique qu’on n’entend pas, la sculpture de Kevin projette du son dans l’espace presque vide du Confort Moderne, mais personne ne danse, et la sculpture ne danse pas non plus. Le gogo dancer de Torres danse une heure par jour, je crois, à heure fixe, dans le lieu où il est exposé, et quand il ne danse pas ne subsiste que le socle / podium blanc ourlé de petites ampoules. La sculpture de Kevin est une enceinte fonctionnelle, mais seulement à un rythme irrégulier, on pourrait même dire stochastique, de ce fait pouvant surprendre à tout moment la spectatrice par son intensité sonore ou inversement la laisser visiter l’exposition dans le silence le plus complet. Et quand elle n’est pas fonctionnelle, c’est-à-dire quand elle ne diffuse pas la musique de Bulma, je suppose que, comme le socle / podium du gogo dancer de Torres, elle est une sculpture abstraite ou un genre de ready-made « aidé ». Les deux œuvres ont en commun que lorsqu’il n’y a pas de public elles font quand même leur petite performance : le gogo dancer danse, l’enceinte crache la musique de Bulma, sans égard pour la fréquentation des institutions artistiques.

Commissaires d'exposition

Horaires

Fermée aux publics jusqu'à la réouverture du centre d'art.
Visites professionnelles chaque mercredi à 14h

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Le Confort moderne 185 rue du faubourg du Pont-Neuf 86000 Poitiers France

Comment s'y rendre

Arrêt de bus Confort Moderne

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022