trouer n'est pas jouer

Exposition
Arts plastiques
Centre d'art contemporain / Passages Troyes
“Lorsque Dominique De Beir perce ses cartons, elle ne ruine pas totalement la notion de tableau ou de peinture, elle les met en crise. En effet, qu’est-ce qu’un tableau où il n’y a rien à voir, où le regard tombe dans des chausses-trappes ? “Ce qu’est une chose, écrit encore Aristote, est toujours déterminé par sa fonction : car une chose est véritablement elle-même quand elle peut accomplir sa fonction, un œil, par exemple quand il peut voir ; au contraire, la chose incapable d’accomplir sa fonction n’existe que par homonymie, par exemple un œil mort ou un œil de pierre, comme une scie de bois n’est pas plus une scie qu’une scie en peinture.” Ce ne sont pas de simples surfaces, comme un tableau, une fresque, une feuille de papier ou un panneau de bois, ce sont des surfaces qui se critiquent en tant que telles, c’est à dire qui se fondent sur leur propre crise. Effectivement, elles appellent autant le toucher que la vie, pour caresser ces trous qui sont souvent, à la fois des protubérances. Dominique De Beir lisant le braille, la dimension tactile de ses œuvres prend, si l’on ose dire, un relief particulier. C’est le corps entier qui se relaie : l’œil impuissant cède le pas à la main. ” Karim Ghaddab , Orbites, in “ Dominique De Beir ”, catalogue co-édité par la Galerie Municipale Edouard Manet de Gennevillers, par le Centre Culturel François Mitterrand de Beauvais, Aide à la Création,Conseil Régional de Picardie, 2002, p. 18 texte de Karim Ghaddab, dans le cadre d’une exposition à la maison Georges pompidou, Cajarc, 2002 : Ablation (extrait) “Pour comprendre les choses, il ne suffit pas de les prélever et de les mettre en boîtes, il faut encore les ouvrir afin de voir comment elles fonctionnent. Car l’enveloppe de la chose est encore comme une boite dans laquelle elle s’enferme elle-même. Pour la voir au delà de sa surface- donc la comprendre, la perce-voir- il faut la dépouiller de sa propre apparence. la pensée antique, celle d’Aristote particulièrement, ne fonctionnait pas autrement: les choses sont classées selon leur réaction à divers (mauvais) traitements. C’est en amenant un objet ou un matériau à son point de rupture ou aux limites extrêmes de son usage évident qu’il révèle ses propriétés cachées. Si on ne le maltraite pas, si on ne le brusque pas, il garde enfoui par devers lui les secrets de sa nature. C’est seulement en laissant un poisson suffoquer à l’air libre qu’Aristote peut conclure que les poissons ne respirent pas (sic)! L’essence ne se manifeste pas dans la quiétude de la contemplation, elle ne se dévoile que par force, seulement si la belle apparence est mise en pièces. C’est un salaire de la crise et de l’action, voire de la violence. Entre autres choses Dominique de Beir fait des grandes boîtes plates en carton (30 x 120 x 160 cm). dans la mesure où l’artiste les fabrique et où elles ne renferment rien (elles sont d’ailleurs le plus souvent présentées ouvertes), on peut considérer que ce sont ces boites qui sont les oeuvres. mais, en fait, ce qu’elles renferment, ce n’est pas exactement rien, c’est elles-mêmes. cette image d’une boite apparemment vide, c’est exactement celle de l’art qui ne repésente que lui-même, qui n’a rien d’autre à délivrer que sa propre présence. en effet ces oeuvres posent la question de l(identité générique: sont-ce des sculptures? En tant qu’articulation de plans, constituent-elles une réflexion plus distanciée sur la peinture?Que faut-il regarder, le volume ou le travail sur les surfaces?Toutes les catégories traditionnelles se révèlent à la fois pertinentes et insuffisantes.Ces boites sont des boites de pandore… Dominique De Beir couvre des supports papier de perforations à l’aide d’outils singuliers. Développant un rapport à l’aléatoire et à la non maitrise, DDB privilégie l’énergie de l’acte créatif pulsionnel et sans repentir possible.Jusqu’a ne plus être à la surface mais dans la surface- dans les creux-, elle dessine une constellation de stigmates insufflant vie à la matière. Le support ainsi transpercé acquiert une relation à l’espace autre, les deux faces du papier étant significativement indissocables. par le caractère répétitif et acharné de ses actions, l’artiste donne à son travail une dimension à la fois rituelle et chorégraphique. Gaye- Thais Florent Nov. 2003 Entretien avec Stephen Wright (extrait) Novembre 2003 ( dans le cadre de l’exposition à L’H du Siège, valenciennes) L’art de ne pas voir Dominique De Beir est peintre, au sens élargi de ce terme. Elle utilise des outils, spécialement conçus pour chaque projet – et qui ressemblent à s’y méprendre à d’insolites instruments de torture ainsi qu’a des outils issus de l’agriculture –, pour percer, perforer, stigmatiser, scarifier, scander par des trous différents supports papier. Objet d’attaques infligées en aveugle, le papier devient le site d’enregistrement des gestes vifs de l’artiste. En travaillant le papier non seulement en plan mais en épaisseur, elle lui donne une troisième dimension, mais cela ne l’empêche pas de l’exposer au mur comme un tableau ou en volume posé au sol. Mais en “rentrant dans le papier ”, elle suggère que tout acte d’enregistrement, et tout acte de perception, impliquent un passage du plan à la profondeur et vice versa – prenant comme exemple le Braille, qu’elle a appris il y a une dizaine d’années. Si par l’économie de ses gestes répétitifs, le procédé n’est pas sans rappeler un certain minimalisme, il s’agit d’un minimalisme totalement excessif ; et la composition ainsi obtenue se conçoit comme trace d’un processus d’enregistrement involontaire. C’est une des raisons pour lesquelles Dominique De Beir tenait, lors de sa résidence de trois mois à Valenciennes, à capter des sons, des signes propres au lieu, et au processus qu’elle y a engagé, pour les intégrer dans l’exposition…. Maison de la Culture d’Amiens - Place Léon Gontier - 80006 Amiens Cedex 1 - tél. 03 22 97 79 79 Exposition 3 décembre 2005 - 22 janvier 2006 Illuminazione Dominique De Beir …Le trait distinctif du travail de Dominique De Beir est la mise en abyme d’un geste répétitif de perforation. Avec l’idée d’engager un questionnement d’ordre pictural, il est appliqué sur des supports plans, sur des matériaux en général pauvres et neutres comme le papier, la cire ou le carton blanc, parfois au travers de feuilles de papier-carbone qui laissent sur la surface des ombres bleutées irrégulières. Pour Dominique De Beir, bousculer le vocabulaire de la peinture (support, matière, couleur) par l’aléatoire du geste et de la trace est autant une manière d’interroger l’art que sa qualité d’artiste. Mettant en cause la représentation et son moyen d’excellence dans la tradition classique, elle cherche à s’émanciper de l’opposition moderne entre abstrait et figuratif pour se concentrer sur les notions d’inscription et de marquage, entre surface et profondeur, dont elle explore l’impact physique, la densité, le rythme et le son. Usant de la perforation parfois jusqu’à la limite de résistance du matériau, elle joue sur une ambiguïté inhérente à son geste entre composition et déchirure, opacité et transparence, stabilité et fragilité. Ses œuvres ne sont pas sans rappeler les Concetti Spaziali de l’artiste italien Lucio Fontana, des toiles lacérées et des volumes creusés et déchirés qui invitent le regard et la pensée à […] […] conjuguer la matérialité de l’œuvre avec l’abstraction d’un espace qui lui est intrinsèque mais qu’elle ne représente pas. En parallèle, Dominique De Beir assemble ses planches en cahiers et étend son geste de scarification à de vieux registres récupérés. Le relief des perforations est assimilé aux signes d’une hypothétique écriture braille, offerte au toucher autant qu’au regard. À partir d’un travail sur les niveaux de l’image se développe ainsi progressivement une réflexion sur les glissements entre dessin et écriture, voir et non-voir, plein et vide, surface et profondeur. Pour Dominique De Beir, le sens de l’œuvre tient plus d’un processus que d’une représentation déterminée. Créer est assimilé à une performance, qui a lieu dans la solitude de l’atelier mais dont l’œuvre exposera le résultat, comme la proposition d’une expérience à revivre. Ce souci de l’action la pousse même parfois à enregistrer le son produit par l’impact de ses outils, ainsi que le rythme de sa respiration pendant les séances de travail. Face à la pauvreté du matériau et à la simplicité du geste, le visiteur est ainsi davantage confronté à la trace d’une présence physique, à l’impact d’un corps plutôt qu’à une image. L’œuvre est une incarnation. Pour Dominique De Beir, il s’agit d’un désir de rendre l’œuvre vive, de la dégager des emprises théoriques et d’en revendiquer la nature éphémère. Elle renvoie à l’attitude des artistes du mouvement italien de l’Arte Povera qui, dans les années 70, face à la peinture abstraite expressionniste, exprimaient par la performance et l’installation le besoin de plonger dans l’espace du tableau, de s’affranchir de l’espace de la représentation pour littéralement remettre en scène et en mouvement une réalité tangible. Ici, le geste est une projection de soi sans figure imposée. Mais, articulant le corps avec l’espace, il pourrait aussi bien être une danse. Sur un plan intime et privé, le geste traduit l’énergie du corps, sa puissance, sa faiblesse, ses inflexions. Mais, envisagé dans le champ du travail, il est également un savoir-faire et une mémoire, qui associe l’esprit et le corps. L’outil, prolongement et interface du corps dans l’espace, devient ainsi un élément pivot du travail de Dominique De Beir. D’ailleurs, il est souvent montré et acquiert une dimension sculpturale. Se servant au départ de pointes improvisées, elle en vient progressivement à fabriquer ses propres outils, inventés en regardant travailler des artisans (ferronniers, joailliers, ferblantiers, dentellières…), ou même en travaillant à leurs côtés. Car leurs outils ont des formes précises et adaptées, et pour les artisans aussi, l’enchaînement des gestes appris en vue de produire un objet s’apparente à une performance. L’incarnation du savoir dans la forme et dans la matière se rapproche d’un rituel et le travail, qu’il soit artisanal ou artistique, s’enracine dans une certaine sacralité. D’où la fascination de Dominique De Beir, à Palerme, pour les processions religieuses de Pâques, où se mélangent de manière exacerbée le corporel et le sacré. La quête d’une sacralité profane du travail l’engage dans un principe de collaborations et de mises en partage d’expériences avec des artisans mais aussi avec des artistes, un principe aujourd’hui inscrit au cœur de sa démarche et dont le projet Illuminazione rend compte. Dans un souci de simplicité et de radicalité, Dominique De Beir débarrasse son travail de toute fioriture et de tout effet décoratif. Il lui importe avant tout de rendre perceptible le geste, de rendre lisibles ses variations et son déploiement. Car le geste détruit le support autant qu’il le rend visible. Sans les marques qu’il y produit, quels seraient le sens et la présence de ces surfaces de carton blanc et de ces feuilles de papier-calque ? Ici, la transparence du calque est renforcée, le blanc du carton apparaît plus nu et éclatant, comme un jeu de lumière… Le geste révèle l’œuvre autant qu’il la fragilise et la dissout. La faisant vaciller entre composition et destruction, il en fait un écran, un filtre semi-opaque qui arrête l’œil autant qu’il l’invite à chercher au-delà. À regarder l’œuvre, à regarder à travers, à regarder derrière, se met en place une équivalence entre positif et négatif, une tension entre vide et matière qui perturbe le rapport à la réalité. Plus qu’un geste de percement et de blessure, le travail de Dominique De Beir consiste à ajourer la matière, il se déploie à son endroit comme sur son envers, tel un espace lumineux réversible, et vice-versa. Après une première expérience réalisée à Valenciennes en 2003 et portant le titre évocateur de Boîte de Nuit, le travail de Dominique De Beir se développe avec davantage de monumentalité. Prolongeant la réflexion sur l’espace et les points de vue, il s’est déplacé du plan à deux dimensions du tableau et de l’image aux trois dimensions de l’espace. Elle réalise d’imposantes constructions architecturales dans lesquelles le visiteur est invité à pénétrer et à se déplacer. Les effets de luminosité et de visibilité partielles, d’envers et d’endroit, deviennent des environnements. Pour son exposition à Palerme, elle avait construit un volume d’une vingtaine de mètres de long, sorte de caverne organique et inquiétante, nommée La Chambre du scirocco, du nom d’une tradition architecturale qui s’est développée en Sicile du XIVème au XVIème siècle. Dans les riches villas de la noblesse palermitaine, il était coutume de construire dans le fondement des demeures une pièce obscure et sans ouverture, où les habitants trouvaient la fraîcheur et l’ombre pour se soulager du sirocco. Le sirocco est un vent venu d’Afrique dont on dit qu’il rend fou, qui transporte avec lui le sable du désert en même temps qu’une chaleur étouffante, et qui nimbe le paysage d’une insupportable lumière blanche et éblouissante. À Amiens, l’installation Illuminazione reprend ce principe d’un espace où l’obscurité implique la recherche d’une lumière, d’une autre lumière. Faite de boîtes en carton, de cagettes de fruits et de papier alimentaire rose, Illuminazione est une construction audacieuse et fragile à la fois qui fait autant écho aux “muches“ de la tradition picarde qu’aux blockhaus des côtes de la Manche. Le visiteur y est invité à une expérience d’immersion dans l’obscurité et d’assourdissement des sons qui incite son œil à quêter les rais de lumière comme autant d’insaisissables moments d’éblouissement. Les architectures de Dominique De Beir sont des espaces où l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent pour créer des lieux de refuge, d’invisibilité et de disparition, propices au voyage intérieur. Elles sont des vanités qui font se croiser ruine et stabilité. Dans l’amplitude des références duelles qui émaillent son travail, Dominique De Beir interroge la question de l’être dans son balancement entre réalité et intériorité, où le corps et la perception physique sont envisagés comme des ressources humaines libérées de la rationalité de l’analyse… Olivier Grasser Textes de Dominique De Beir (2003) 1. Depuis plusieurs années, j’ai engagé un travail polymorphe dont les axes sont à la fois de l’ordre du pictural, du signe, du texte et du livre, ainsi que sur la question du processus de réalisation et du rapport spatial des œuvres. Un trait récurrent en est l’inscription et le marquage de supports variés à l’aide d’ustensiles et d’outils perforants. Ces ustensiles ont d’abord été des objets trouvés ou récupérés dans divers secteurs d’activité (horlogerie, imprimerie, médecine…). Progressivement, il m’est apparu que leur réalisation devait complètement intégrer le travail, permettant de l’élargir et de l’engager sur la voie de l’installation et de la création d’espaces ouverts à des appropriations extérieures. Le traditionnel positionnement solitaire de l’artiste plasticien s’est ainsi transformé en une mise en relation et en participation de divers acteurs, n’appartenant pas forcément au milieu de l’art et créant de ce fait une tension entre le réel et le champ artistique. Mes recherches m'amènent à m'interesser à la notion de fragments, de formes inachevées que l'on trouve dans l'univers des ruines (Palerme, Picardie), des architectures précaires (Rotterdam), des déchets (Cajarc), en général des restes rejetés de tous. 2. En 1994, mon père a perdu la vue. Cette année là, nous avons essayé d’apprendre ensemble le braille. Je dois avouer que cet apprentissage fut un échec, notre toucher était grossier, paresseux, nous en sommes restés à une compréhension sommaire, mon père a davantage développé son ouïe. C’est à cette période, qu’un champ d’action s’est offert à moi : avec un stylet, j’ai commencé à recouvrir des cahiers de perforations, une écriture étrangère pour les yeux et les doigts. Aujourd’hui, certains de mes travaux s’accompagnent d’une bande sonore, enregistrements des sons produits par les outils et les gestes qui les ont réalisé. que voit-on dans le noir? que voit-on lorsque l’on écoute les sons? que voit-on lorsque l’on touche mes dessins ? que voit-on lorsque l’on touche mes dessins en écoutant les sons ? comment se déplace t-on dans le noir? comment se déplace t-on seul dans le noir? comment se déplace-t-on à plusieurs dans le noir? comment se déplace t-on dans un espace fermé? comment se déplace t-on à l’extérieur d’un espace fermé? Textes et biographie de Dominique De Beir

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Centre d'art contemporain / Passages 9 rue Jeanne d'Arc 10000 Troyes France

Comment s'y rendre

Situé à 1h30 de Paris par le TER, il est le centre d’art contemporain le plus à l’ouest de la région qui en compte quatre avec la Synagogue de Delme, le CEAAC à Strasbourg et la Kunsthalle de Mulhouse. À l’échelle locale, il est idéalement situé à 5 min à pied de la gare de Troyes, au pied du centre historique en forme de bouchon de champagne.

Dernière mise à jour le 2 mars 2020