Table d’harmonie*. Ecrans parallèles à l'exposition Des objets migrateurs, trésors sous influence

Œuvres de la collection du Cnap
Projection/Diffusion audio
Centre de la Vieille Charité Marseille
Extrait tiré du film de Duncan Campbell, It For Others, 2013

Extrait tiré du film de Duncan Campbell, It For Others, 2013, 54’ (FNAC 2017-0396)

Conçue comme un ensemble d’écrans parallèles à l’exposition « Objets migrateurs, trésors sous influence » présentée du 8 avril au 18 octobre 2022 au Centre de la Vieille Charité, le programme Table d’Harmonie se déploie du 4 au 7 octobre 2022, en six plateaux thématiques, à partir d’œuvres de la collection des films du Centre national des arts plastiques (Cnap) et d’un choix d’œuvres d’un cinéma d’art contemporain.

*La table d’harmonie est la partie de l’instrument de musique à cordes qui reçoit la vibration à amplifier.

Dans son essai Cargaison, paru en 1987, Remo Giudieri cartographie les transports au sens propre et métaphorique du terme qui ont affectés les objets-marchandises au cours de l’histoire. Se fondant sur le récit du Mythe Cargo, son récit ethnographique décrit de constantes oscillations des objets entre ce qui se perd ou s’augmente, de l’objet produit, multiplié à l’objet fétiche disparu et placé en vitrine.

L’histoire des objets et de leur représentation au cinéma est bien l’histoire de la constitution d’espaces dialogiques singuliers dans l’espace visuel. Pris entre des logiques d’usage, d’échange, les objets portent les représentations. A l’intérieur même de cette histoire, l’histoire des objets migrateurs décrit des registres de clandestinité au sein d’histoires et de destins lacunaires, de territoires de guerre, de précarité, d’exploitation humaine, amplifiant l’amplitude des objets à signifier. La place récurrente de l’objet dans l’histoire du cinéma désigne par ailleurs des typologies d’objets et des espaces sémantiques différents. Avec les objets anthropologiques, l’objet d’art spolié notamment révèle des chaînes lexicales fortes. Avec les objets industriels ou manufacturés, c’est tout le territoire du travail, de la marchandise et ses gestes, son labeur, ses chaînes de production qui deviennent les objets principaux de la représentation. Des temporalités multiples, des histoires d’objets telle que la racontent aujourd’hui les historiens Pierre Singeravélou et Sylvain Venayre dans Le Petit magasin du monde : La mondialisation par les objets du XVIIIème siècle à nos jours, mettent en perspective les trajectoires mondiales et coloniales des objets échangés, - objets d’art comme objets de l’industrie humaine -, des modes d’apprentissage, de transmission, de confiscation. Des histoires d’objets usés, blessés, disparus, détruits ou perdus, des histoires d’objets fantômes hantent bien des œuvres.

En outre, la place des objets migrateurs dans l’espace filmique, leur trajectoire dans le récit exposent des dispositifs cinématographiques et des dramaturgies narratives. Suivre les trajectoires des objets dans l’espace filmique et leurs déclinaisons ouvre de multiples hypothèses pour des leçons et pour une politique de cinéma. Dans ce registre, c’est tout un théâtre documentaire qui s’expose à travers les représentations cinématographiques, pour cartographier une « projection du Monde », en reprenant ici le titre de l’œuvre magistrale de Stanley Cavell.

Pascale Cassagnau

Programmation

Mardi 4 octobre

14h-15h30

  • Alexander Kluge, Nouvelles de l’Antiquité idéologique : Marx- Eisenstein- Le Capital, 2008, 6h50 (fragments, 90’)

Figure importante de la culture allemande contemporaine, Alexander Kluge est cinéaste, écrivain, philosophe, théoricien des médias. Dans son film monumental de 570 minutes, il reprend et commente, à quatre-vingts ans de distance, le projet mythique d’Eisenstein de mettre en scène et en images Le Capital de Karl Marx. A des lectures de passages fondamentaux du Capital succèdent des entretiens avec des philosophes comme Boris Groys et Peter Sloterdijk, mettant en perspective les enjeux philosophiques engagés dans la pensée des objets et des images.

17h-19h

  • Marie Voignier, Na China, 2020, 71’

L’implantation de commerçant.e.s africain.e.s à Canton est un phénomène récent, dont Marie Voignier rend compte à travers les portraits croisés de Jackie, Julie, Shanny venues monter leur commerce en Chine. Au milieu de l’accumulation monstrueuse des marchandises sur les marchés sans fin de la mégapole, le film met en scène ces entrepreneuses africaines aux prises avec l’économie globalisée chinoise.

  • Randa Maroufi, Bab Sebta, (Ceuta’s Gate), 2019, 19’

Bab Sebta désigne en arabe Ceuta, enclave ibérique située au Maroc, face à l’Espagne. Littéralement, la Porte de Ceuta. Franchir cette porte signifie entrer sur le continent européen. Randa Maroufi filme l’économie induite par cette situation géographique. L’artiste choisit de mettre en scène sous la forme d’un reenactement le ballet des va -et -viens des migrants et vendeurs selon deux points de vue : horizontal et en plongée, en reproduisant les trajectoires des hélicoptères de surveillance, qui tentent de déjouer les trafics et dissimulation des objets et des denrées.

19h30-21h

  • Alain Cavalier, Le Paradis, 2014, 70’ 

« Depuis l’enfance, j’ai eu la chance de traverser deux mini dépressions de bonheur et j’attends, tout à fait serein, la troisième. Ça me suffit pour croire en une certaine beauté de la vie et avoir le plaisir de tenter de la filmer sous toutes ses formes : arbres, animaux, dieux, humains… et cela à l’heure où l’amour est vif. L’innocence, le cinéaste en a perdu une partie. C’est si délicat à repérer autour de soi, si difficile à ne pas perdre au tournage. Ma reconnaissance va à ceux que vous regarderez à l’écran. Pour tenir tête au temps, j’ai une parade qui est de fouiller dans mon stock d’émotions et d’images anciennes. Non pour retrouver ce qui ne reviendra pas mais pour deviner dans l’hiver les signes du printemps. Cela permet de recommencer encore une journée d’un pas aisé. » Alain Cavalier

 

Mercredi 5 octobre

14h-15h30 

  • Alain Cavalier, Les 24 Portraits, I et II, 1987-1991, 152’, 140’ (quelques portraits, fragments, 80’)

24 magnifiques portraits de femmes. Chacun a pour but d'archiver le travail manuel féminin. C'est l'histoire d'une rencontre, un recueil de souvenirs, la mémoire d'une époque. "Ces portraits sont des rencontres que je voudrais garder de l'oubli, ne serait-ce que pendant les quelques minutes où elles sont devant vous. Ce sont des femmes qui travaillent, qui font des enfants et qui, en même temps, gardent un esprit d'indépendance. J'ai tourné vingt-quatre portraits de treize minutes. J'ai choisi cette courte durée pour plusieurs raisons : ne pas ennuyer, échapper à toute coupure publicitaire, réaliser le film vite, dans un élan et sans trop de ratures", explique Alain Cavalier.

17h-19h

  • Luc Moullet, Genèse d’un repas, 1978, 115’

Au départ, l'auteur (Luc Moullet) mange un repas tout simple : du thon, une omelette et une banane. Puis il cherche d'où viennent exactement ces aliments : la boite de thon provient d'Afrique noire, l'omelette a été faite avec des oeufs européens, la banane est arrivée d'Amérique latine. L'enquete, faite sur place, s'efforce de montrer, sans aucun postulat théorique de base, les modalités pratiques de l'exploitation des travailleurs, de ceux du tiers-monde surtout, et tente de définir les lois éventuelles régissant cette exploitation. Si les circuits d'acheminement de ces trois produits sont comparés, l'auteur étudie également le circuit économique de la pellicule cinématographique, depuis le producteur jusqu'à la consommation en France.

19h30-21h

  • Christos Karaképelis, Matière première, 2012, 78’

La collecte de matériaux de récupération est essentielle à la survie des communautés roms et des migrants. Pendant six ans, le cinéaste grec Christos Karakepelis a documenté cette recherche de matériaux et d’objets, seul moyen de subsistance pour un grand nombre des personnes rencontrées au fil de son enquête-essai. Le film dénonce l’implication de ce nouveau précariat dans une activité lucrative pour l’industrie mais dont sont totalement privés ceux qui fournissent la « matière première »

L’objet dans le travail

14h-15h30

  • Wang Bing, Fifteen Hours, 2017, 15h (extraits, 90’)

Entre 2014 et 2016, Wang Bing tourne Argent amer dans le quartier manufacturier de Zhili à Huzhou, ville ouvrière florissante des environs de Shanghai où dix-huit mille entreprises de petites confections emploient 300 000 ouvriers. Il y suit le quotidien de jeunes migrants venus, comme des millions d’autres, chercher du travail sur la côte est de la Chine et dans ses ateliers textiles toujours avides de main-d’œuvre. En parallèle, Wang Bing tourne en août 2016, durant vingt-quatre heures en continu, dans un des ateliers textiles de la ville. 15 Hours est le résultat de cette journée.

17h-19h

  • Harun Farocki, Comparaison avec un tiers, 2009, 62’

Comparaison avec un tiers est un diptyque qui « expose » la fabrication de briques dans des sociétés traditionnelles (Afrique, Inde) et sur des chaînes de production européennes (Allemagne). Le cinéaste déploie un dispositif à deux écrans qui produit à la fois un travail d’analyse des images et de leur montage.

19h30-21h

  • Ila Bêka et Louise Lemoine, Koolhaas Housewife, 2008, 58’

Soit une maison extraordinaire, soit un des monuments de l’architecture de la fin du 20e siècle, dessinée par le célèbre architecte néerlandais Rem Koolhaas. Soit la star du film, Guadalupe, la femme de ménage. Les deux cinéastes filment ce qui constitue   l’objet fondamental de leur regard : comment les corps vivent, se déplacent, résistent dans l’espace ? Qu’il s’agisse d’une architecture privée ou d’un espace urbain, comment les objets se « liguent « contre les humains, comment ils deviennent autonomes, engendrant de l’adversité, du désordre.

 

Jeudi 6 octobre

Les objets dans la guerre

14h-16h

  • Jocelyne Saab, Les Enfants de la guerre, 1976, 11’

Quelques jours après le massacre de la Quarantaine, dans un bidonville à majorité musulmane de Beyrouth, Jocelyne Saab va à la rencontre des enfants rescapés, marqués par les visions horribles des combats qui se sont déroulés sous leurs yeux. Elle leur offre des crayons pour dessiner et les invite à jouer sous l'œil de sa caméra.

  • Narimane Mari, Loubia Hamra, 2013, 81’

Sur une plage d’Algérie, des enfants barbotent, jouent, dorment, se chamaillent — puis, soudain, s’en vont en guerre. Narimane Mari, pour son premier long-métrage filme de près cette mêlée enfantine, au rythme accidenté d’une imagination qui emprunte au grand vrai, à l’Histoire nationale : à la guerre d’indépendance, rien de moins. Sérieuse comme dans les jeux d’enfants, l’Histoire- celle de la guerre d’Algérie, est ramenée à la taille sans mesure d’un fantastique théâtre de silhouettes. Les objets, les denrées, listés de façon anthropologique, prennent part au récit et à la mise en scène au même titre que les personnages du film.

17h30-19h

  • Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, Khiam, 2000, 52’

Créée en 1985, dans la zone de sécurité occupée par Israël depuis 1978 et administrée par sa milice supplétive, l'Armée du Liban-Sud, Khiam était un lieu de non-droit, où régnaient l'arbitraire et la torture. Sonia, Afif, Soha, Rajaé, Kifah, Neeman ont passé dix ans dans cet enfer. Ils témoignent de la vie quotidienne au camp.

Objets spoliés, objets blessés, objets perdus

19h30-21h

  • Duncan Campbell, It For Others, 2013, 54’

Avec son film It for Others, l’artiste irlandais Duncan Campbell questionne le genre documentaire lui-même, tout en mettant en perspective la réception des œuvres africaines par l’Occident et leur représentation au cinéma, dans le contexte de la décolonisation. Son œuvre fait écho au court-métrage Les statues meurent aussi, réalisé en 1953 par Chris Marker et Alain Resnais. A son tour, ce film est mis en abyme par un questionnement contemporain portant sur le statut des images et des objets.

  • Ali Cherri, Somniculus, 2017,14 40’’

Le travail d’Ali Cherri porte sur la place des objets archéologiques dans la construction des récits historiques. Ici le film évoque littéralement le léger sommeil dont sont frappés les objets archéologiques dans les musées, et interroge la fonction qu’occupent ces objets ar­chéologiques dans l’élaboration des récits nationaux, dans l’élaboration des notions de trans­mission et de préservation de l’histoire. La vidéo met en scène des œuvres issues des collections de divers musées parisiens : des ossements d’animaux appartenant au musée de la Chasse et de la Nature, des ossements animaux et humains venant du Muséum national d’histoire naturelle, des sculptures antiques du musée du Louvre ou encore des objets de culte présentés au musée du Quai Branly-Jacques Chirac.

  • Simon Starling, Project for a masquerade (Hiroshima), 2010, 25’54’

L'œuvre de Simon Starling questionne les relations entre l’art et le réel, en revisitant l’héritage moderne, considéré depuis une histoire de la sculpture et des objets. Sa démarche esthétique s’apparente à une recherche -enquête cherchant à découvrir ce que portent les formes, ce qui constitue les objets, comme un enquêteur scientifique procèderait. L’œuvre est ici composée d’un riche tissu de coïncidences aux connections multiples.

 

Vendredi 7 octobre

14h-16h30

  • Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, Le film perdu, 2003, 42’

Tout commence par un e-mail : le 22 mai 2000, une copie du premier long-métrage des cinéastes, « Autour de la maison rose », disparaît au Yémen dans des circonstances étranges. C’était un jour historique, le jour du dixième anniversaire de la réunification du Sud et du Nord du pays. Ce message étrange interroge les deux cinéastes libanais peu habitués à la manifestation d’un tel intérêt, dans une partie du monde qui se soucie peu de cinéma, le censurant davantage. Quelqu’un au Yémen a pu s’intéresser à leur premier long-métrage au point d’en voler la copie. Un an après, pour le 11e anniversaire de la réunification, les cinéastes prennent l’avion pour Sanaa et suivent les traces de leur film. Tel est le début du film et son argument. 

  • Aude Fourel, Pourquoi la mer rit-elle ? 2019,58’

Le titre du film évoque des chants de la révolution algérienne gravés sur un disque paru clandestinement en Italie, en 1961. Graver les chants de la révolution dans le microsillon, pour soutenir le combat et l’inscrire dans le mouvement de la mélodie, pour en préserver la mémoire à venir incarnent le geste même des combattants auxquels la cinéaste rend hommage en recueillant des témoignages et des documents à travers un voyage d’Italie vers la Tunisie et l’Algérie qui reconstitue le circuit clandestin des chants révolutionnaires.

Théâtre documentaire

17h-19h

  • Lokman Slim, Monika Borgmann, Tadmor (Palmyre),2016, 113’

À la suite du soulèvement populaire contre le régime syrien en 2011, un groupe d’anciens détenus libanais décide de rompre le silence sur leurs longues années passées dans la prison de Tadmor (Palmyre), l’une des plus terribles du régime des Assad. Ils choisissent de témoigner au grand jour des tortures systématiques et des humiliations subies. Le film met en scène cette reconstitution, à la manière du théâtre documentaire d’Erwin Piscator ou Peter Weiss.

Epilogue : Enfants sans enfants, enfants sans objets

19h30-21h

  • Hana Makhmalbaf, Le Cahier, 2007, 81’

Sous les anciennes statues géantes des Bouddhas de Bamiyan, détruites par les talibans, des milliers de familles tentent de survivre dans des grottes. Baktay, une petite fille de six ans, entend toute la journée son petit voisin réciter l'alphabet. Elle se met alors en tête d'aller à l'école, quitte à braver tous les dangers. Le film restitue le réel à hauteur de l’enfance.

19h30-21h

  • Pascal Convert, Les Enfants du Bâmiyan, 2017, 20’

 Les enfants de Bâmiyân filme d’une manière improvisée des enfants nés au pied de la falaise, dans les anciennes cavernes creusées par des moines bouddhistes désormais transformées en habitations. Ces enfants sont de lointains descendants des soldats de Gengis Khan et sont aujourd’hui rejetés et discriminés par d’autres ethnies. La caméra de Pascal Convert saisit les rires des enfants, qui résonnent dans le fossile vivant qu’est la falaise de Bâmiyân, ville afghane tristement célèbre pour ses bouddhas géants qui étaient sculptés dans une falaise et que les Talibans ont détruits en 2001, suite à la promulgation d’un édit condamnant les idoles.

Commissaires d'exposition

Adresse

Centre de la Vieille Charité

2 Rue de la Charité
13002 Marseille
France

Comment s'y rendre

Cinéma Le Miroir au Centre de la Vieille Charité

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022