Storms and Saints

pact with Emily Colucci
Exposition
Arts plastiques
Galerie PACT Paris 03
Danny Ferrell, The Stormlands, 2021, oil on canvas, 127 x 107 cm. - 50 x 42 in

Complément d'information

“Le romantisme a-t-il sa place dans l’Amérique des années 2020 ? Comment se sentir vraiment vivant dans cette décennie qui a commencé par une pandémie, une insurrection, des violences policières et un racisme systémique, des protestations et des couvre-feux, un autoritarisme croissant, des batailles en ligne incessantes, la prolifération de théories du complot farfelues et une économie toujours plus stratifiée ? Des échappées sont-elles encore possibles quand l’époque demande un perpétuel état d’alerte, exige de nous vigilance et témoignage ? Sommes-nous capables de cultiver l’amour et l’amitié en dépit d’un isolement généralisé ?

Les paysages et la luminescence qui habitent les nouveaux tableaux de Danny Ferrell viennent apporter une subtile réponse à l’accablante situation que connaissent aujourd’hui les États-Unis. Ces portraits ne sont plus nimbés de la douce lueur dorée et filtrée des levers et couchers de soleil idylliques du folklore américain. Désormais, Ferrell baisse toutes les lumières et troque l’heure magique contre un sombre crépuscule parasité par l’éclairage public, des fils téléphoniques et des éclairs. Si son intérêt pour les vastes ciels radieux demeure et s’approche d’une transcendance à la façon de l’école de l’Hudson, Ferrell les a aujourd’hui assortis d’une illumination apparemment artificielle, tels les projecteurs circulaires de The Divide ou les roses saturés de The Stormlands. 

Ces clartés mystérieuses, non identifiables, annoncent à la fois danger et plaisir. En n’enveloppant que les figures, elles emprisonnent les sujets de Ferrell dans leurs faisceaux comme le ferait une lampe de poche, des phares, ou encore les projecteurs des forces de l’ordre. Pourtant, au-delà de ces résonances inquiétantes, elles rappellent également les jeux de lumière dynamiques et colorés des boîtes de nuit, ce que l’on perçoit nettement dans Twilight Prince qui représente un homme constellé de reflets semblant provenir d’une boule disco.

Ce miroitement n’est pas hors contexte. Pendant l’année chaotique et aliénante de la pandémie, Ferrell s’évadait au son de la musique disco qui a sa part dans la création de ces œuvres. Fréquemment dénigré pour être kitsch, artificiel et terriblement superficiel, le disco a néanmoins été tout au long de son histoire un moyen d’échapper aux dures réalités du présent. Si les États-Unis d’aujourd’hui peuvent certainement être qualifiés d’enfer disco, les années 1970 qui ont vu l’apogée de ce genre musical ne furent guère meilleures. Alice Echols le rappelle dans Hot Stuff: Disco and the Remaking of American Culture : « Ce que l’on retient souvent des années 1970 sont les files interminables à la pompe à essence, les usines fermées, le fort chômage et la stagflation, autant de facteurs qui se sont conjugués pour que l’on s’en souvienne comme d’une période d’inertie soldée par un effondrement au ralenti. » 

À cette époque, le disco était un lieu privilégié où trouver refuge, affinité et érotisme pour les hommes gays. Coïncidant avec le mouvement de libération gay, ainsi qu’avec l’esthétique du clone « gay macho », le disco offrait aux homosexuels la possibilité de plonger dans une communauté sous les scintillements des boules à facettes. « C’est sur la piste de danse disco, débordant de l’énergie de “tant de corps ne faisant qu’un”, que les homosexuels ont découvert leur “vrai” moi », explique Echols.

En ces temps-là, une utopie inspirée du disco était possible. Or Ferrell a créé son invocation subtile des espaces de la vie nocturne alors que le COVID-19 faisait des clubs et des bars – ainsi que de la cohue des corps qui s’y pressaient – des zones interdites. Si la luminosité des nouvelles toiles de Ferrell évoque une réunion physique avec d’autres hommes gays, celle-ci n’est plus qu’un lointain fantasme qui accentue l’isolement des sujets et les pertes infligées à la communauté par la quarantaine. Certes, la vie nocturne ressuscite peu à peu, mais pourrons-nous jamais, sans frémir de panique et nous précipiter sur nos poches à la recherche d’un masque, éprouver les mêmes sensations dans une masse de corps en sueur ?

Présents dans plusieurs de ces portraits, les masques faciaux ancrent ces tableaux dans notre ère contemporaine, angoissante et si distante des envolées extatiques du disco. Comment désirer la chute libre (fallin’ free), comme Donna Summer dans I Feel Love, quand on essaie avant tout de rester en vie ? Il est également significatif que les hommes des tableaux de Ferrell retirent leur masque. Ni l’artiste ni ses modèles ne s’opposent au port du masque, mais qui peut résister à cette première bouffée d’air frais sans entrave ? C’est une libération, un soulagement et un moment de répit.

Dans ces tableaux, ce geste est ressenti comme un plaisir illicite. Il en va de même de la rencontre et de la joie, éphémères en ces temps troublés. Attention à l’autre, vulnérabilité et sensibilité se dégagent des modèles de Ferrell, et vont de pair avec un sentiment de sécurité qui transparaît dans la relation entre l’artiste et ceux qu’il peints. Est-il sûr, est-il sûr d’être simplement qui nous sommes ? Avec ces amis et ces proches, avec ceux auprès desquels s’endormir, briser le couvre-feu, ceux avec qui se libérer.”

Emily Colucci // Auteure, curatrice et cofondatrice de Filthy Dreams, un site  qui analyse l’art, la culture et la politique. Emily a reçu le prix Creative Capital|Warhol Foundation Arts Writers Grant pour Filthy Dreams.

Adresse

Galerie PACT 70 rue des Gravilliers 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022