Résultats 2023
28 lauréats ont bénéficié en 2023 du soutien à un projet artistique pour 25 projets, à la suite de la commission dédiée qui s’est déroulée le 11 mai 2023.
Symphonie des souvenirs
Pour cette installation j’aimerais faire appel aux souvenirs de personnes âgées, qu’ils les retranscrivent sous forme de dessins, sur du papier à partition, afin de les faire jouer par un ensemble orchestral d’improvisation, capable d’interpréter ces partitions, de transformer ces dessins en musique. J’aimerais commencer par une série d’entretiens avec des résident·es d'Ehpad. Ces entretiens sont en groupe et individuel. Ils sont enregistrés et je demande aux résident·es de dessiner leur vie sur du papier à partition. Il n’y a pas de règle, cela peut- être des illustrations abstraites pendant qu’ils me parlent, ou des dessins très figuratifs.
Les premiers entretiens en groupe ont été accompagné par la pianiste Imma Santacreu et le compositeur et pianiste Hèctor Parra Esteve, qui ont improvisé en direct au gré des dessins fait sur le moment. Une deuxième session a été réaliséd avec Mié Ogura et Sebastian Adams.
A la fin des entretiens, l’ensemble des partitions ont été confiées aux 3 classes d’improvisation du conservatoire Jacques Ibert du 19ème arrondissement, dirigées par la flûtiste et pianiste Mié Ogura. Elle et ses élèves ont déchiffré les partitions à l’aide d'entretiens précédemment menés. Ces élèves de plusieurs générations (moins de 12 ans, 15-18 ans et adultes) les ont interprété en juin, une fois devant les personnes de l’Ehpad Alice G et ensuite sur le toit de la péniche de La Pop. Une première installation a été réalisée dans la péniche à l’aide du matériel sonore enregistré, des partitions et d’un artisan néoniste.
Là où je vais, c'est seulement pour t'écrire
Ce projet propose un itinéraire corporel et textuel, où l’échange épistolaire intervient comme processus de création. Il s’agit d’aller à la rencontre d’un ensemble de représentations dont les repères mimétiques rejouent les normes et interrogent les regards : corps cireux des Vénus anatomiques, corps ‘‘ incorruptibles ’’, votifs anatomiques et dioramas religieux. Nous envisageons ce corpus comme l’anatomie d’une généalogie en nous attachant aux étranges promiscuités de ces figures, à leur inertie commune, et à la familiarité de leurs rapports de forces. Ces faux-semblants, d’apparence et de taille humaine, incarnent nombre de paradoxes, entre fantasmes et coercitions. La mise en scène de leur décomposition nous permet d’interroger leur plasticité et l’effet miroir qui s’y forme. Là où je vais, c’est seulement pour t’écrire s’innerve de la charge fictionnelle de ces simulacres.
Futur antérieur. Compostage numérique
Dans le cadre de mon projet de recherche Futur Antérieur, je m’intéresse au recyclage de données numériques. J’envisage de chercher des processus de « compostage numérique » : comment pourrait se décomposer de la matière numérique, qui pour activer cette matière et quel substrat en découlerait ? Pourquoi ne pas changer de paradigme dans la gestion de nos données numériques en acceptant la perte, la destruction qui s’accompagnerait d’une certaine dose de « fertilisant ». Il pourra s’incarner sous la forme d’un virus écologique qui décomposerait des fichiers numériques tout en créant une forme qui donnerait une seconde vie à des archives numériques vieillissantes. Il apparaît nécessaire que le designer-auteur prenne position dans les problématiques engendrées par les limites qu’impose, et qu’imposera plus durement encore demain, notre environnement afin de faire naître un imaginaire différent du technosolutionisme qui nous est proposé. De plus, il est urgent de faire émerger une autre voie dans la conservation des données numériques que celle en cours aujourd’hui, à savoir celle de la sauvegarde frénétique de tout, tout le temps, mais jusqu’à quand ? Cette recherche s’inscrit dans un questionnement plus large sur la place des questions environnementales dans les pratiques de design et sur la nécessité de faire face à la mathématisation simplificatrice du design que dictent les techniques depuis des décennies pour faire émerger un imaginaire différent.
Cacio e Pepe
Cacio e Pepe est un projet de performance qui s’articule autour des cuisines traditionnelles et populaires en Méditerranée. L’Italie, aux origines du projet, est considérée comme un territoire « pilote » pour sa première mise en œuvre. Je m’intéresse à la dimension narrative présente autour des arts de la table dans la culture culinaire italienne, convoquant une galerie de personnages et d’histoires. La cuisine casalinga, qui vient de la maison et que l'on aime déguster à l'extérieur, apparaît comme un vecteur de récit, propice à l’élaboration d’une narration picturale et chorégraphique qui s’appuie sur un premier travail documentaire important.
Au cours d’un voyage itinérant en voiture, de Paris jusqu’en Sicile, je laisserai tourner mon enregistreur autour de la table pour collecter des conversations et recueillir des témoignages au fur et à mesure de mes escales. La transposition plastique que je souhaite offrir à cette recherche se présente comme un dispositif graphique et pictural activé par des interprètes. L'installation comportera une grande toile peinte telle une carte subjective et symbolique à l’image de mon trajet et des témoignages récoltés. Le dispositif sera rendu vivant par la présence de danseuses et danseurs dont le parcours génèrera l’apparition d’une création typographique évolutive, projetée et modélisée dans l’espace, tissant le fil d'une fiction autour de l’intérêt que nous portons à l’alimentation et au sens que nous lui donnons.
De la Rosa
Lors d’un récent voyage à Mexico City, j’ai découvert la boîte De la Rosa, une icône du patrimoine culinaire mexicain. Ces boîtes contiennent des gâteaux traditionnels très populaires, vendus à un prix modique (environ 2 centimes d’euros par pièce). Chaque pièce est soigneusement enveloppée dans un plastique orné d'un motif de rose. Les boîtes, souvent réutilisées pour divers usages, jouent un rôle significatif dans la micro-économie de la rue mexicaine.
Depuis deux ans, je peins sur toile ainsi que sur divers supports, notamment des boîtes en carton récupérées. Mon projet consiste à retourner à Mexico pour collecter entre 100 et 200 boîtes De la Rosa, en les glanant ou en les troquant. Je documenterai et archiverai ces échanges pour créer une installation artistique. Chaque boîte deviendra un support unique pour mes peintures, transformant ces objets quotidiens en œuvres d'art. L’installation finale présentera l’ensemble des boîtes peintes ainsi que la documentation des échanges et du processus de collecte.
Ce projet vise à capturer et célébrer la culture mexicaine à travers ces objets iconiques, tout en explorant les thèmes de réutilisation, d’économie informelle et de l'occupation de l'espace public. Mon installation artistique proposera une réflexion sur la valeur des objets ordinaires et leur potentiel artistique.
Les grandes manœuvres
Depuis 2016, Guillaume Chiron développe des œuvres centrées sur le collage, intégrant couleurs et peintures pour créer des mises en scène distinctives. Ses recherches depuis 2021 ont élargi sa pratique, intégrant sculptures, installations, formes architecturales et dispositifs scénographiques, explorant ainsi de nouvelles perspectives artistiques.
En 2022, ses oeuvres ont permis de décloisonner le collage traditionnel en intégrant des éléments animés et interactifs. Ses installations transforment les murs en dispositifs techniques cachés, animant des objets, activant des instruments de musique ou créant des expériences architecturales. Ces œuvres interrogent la perception de la réalité et confondent le regardeur face à son environnement.
Guillaume Chiron souhaite produire des collages inédits et en développant des sculptures et installations innovantes. En 2023, en résidence aux Usines de Ligugé, il prévoit de créer une œuvre monumentale, fusionnant ses techniques de collage avec une scénographie immersive.
L'enfant intérieur
Je voudrais créer un corpus d’œuvre sur le sujet de la migration au Japon. En prenant comme point de départ la migration comme une seconde naissance. Constitué d’un film autour duquel un ensemble de collages-dessins viendront dialoguer, cet ensemble parlera à la fois de ma propre migration et de celles d'autres personnes. On dit que, dans les 1ers mois de leur existence, les bébés in-utero grimacent et leurs visages réagissent à la nourriture donnée par la mère. Peu après la naissance, les bébés ont la capacité de comprendre toutes les langues jusqu'à ce qu'ils apprennent leur langue maternelle. Mon film portera sur cette période spécifique que je mettrai en parallèle avec la vie d’un immigrant qui arrive dans un nouvel endroit et qui essaie de le comprendre avec tous ses sens avant d'acquérir la langue. J'essaierais de mettre en lumière le moment où les langues s'entrelacent, lorsqu'on aperçoit une compréhension sans tout à fait comprendre. Né à Paris de parents syriens, ma vie navigue depuis tôt entre les cultures française et arabe et traite souvent de l'histoire postcoloniale complexe entre la France et le Moyen-Orient. Ma relation avec le Japon, développée depuis 2016 à travers d'expositions et de résidences, est venue m’apporter un nouveau point de vue et m’a permis de me rapprocher de cette culture japonaise, tant physiquement que linguistiquement, en m'offrant l'opportunité de réfléchir plus profondément à la notion d'identité culturelle, d'appartenance et de migration que je connais.
Aura : Faire germer la réparation
Je m’intéresse dans ce projet de recherche aux processus de « transmutation » et de réparation, portés ici dans une dimension végétale au sein de l’art. En effet, le végétal est le seul des 3 règnes – minéral, végétal, animal – capable de transmuter et de transformer l’énergie en matière par la photosynthèse. Si dans l’histoire de l’exploration scientifique des plantes au XVIIIème siècle, on attribue les réactions organiques à une « force vitale », nous ne pouvons pas oublier la domination coloniale inhérente, ainsi que ses rapports de pouvoir destructeurs. Des processus de racialisation des êtres qui vont de pair avec la réappropriation de leurs savoirs. Par contraste, si dans le passé « force vitale » et destruction allaient de pair, pouvons-nous aujourd’hui utiliser les vertus transmutationnels des graines dans un processus de réinvention permanente de notre rapport à l’histoire et restaurer nos liens au vivant ?
Body Double 39
De film en film, de remake en remake, j’explore le processus de doublage : les personnages étant performés par un seul acteur, les acteurs étant souvent transformés en actrice. Se jouant de la multiplicité, il agit tel un prisme qui traversé par un rayonde lumière en fait surgir le spectre.
En appropriant la figure autoritaire d’un film donné, les Body Double voudraient alors perturber le genre sexuel normé au moyen d’une esthétique proche du Camp. L’élaboration de ces versions travesties se fait méthodiquement, par décalque, en cherchant à atteindre un certain niveau d'exactitude par l’emploi de techniques simples. Il s'agit de ressembler aux images originales en contournant leur niveau de sophistication.
Le double s'inscrit au montage par-dessus l'original, en rythme, et pour y parvenir, j’ai recours à des effets spéciaux, mais il n'y a de référence directe que par la bande son et le rythme. Aucune image originale n'est ainsi réemployée.
Faires
Il s'agit d'un film documentaire mêlant animation et prise de vues en 16mn, qui s'intéresse aux savoir-faire liés au fil.
Le travail du fil fut revêt à mes yeux une dimension politique, et permet d'interroger notre rapport à l'autonomie, au temps et au vivant dans la fabrication. Ce travail a fait l'objet de plusieurs résidences de recherche et de création. C'est dans le cadre de la dernière qu'est né ce projet. J'ai en effet pu travailler à la Métive - résidences internationale d'artistes et de chercheurs en Creuse. Ma principale motivation pour séjourner en Creuse était l'importance du savoir-faire sur ce territoire dans le domaine du fil et de la laine.
Docteur Harmonie
Harmonie sonde les représentations et processus issus d'Internet et des industries culturelles, en les organisant dans une fiction contemporaine. Le traitement parodique, l’esthétique lo-tech et la psychologie schématique semblent correspondre à l’humour particulier des réseaux sociaux et du fan art.
Harmonie s'ancre autour d'une série d'animation qui compte à ce jour deux épisodes. On y suit les aventures de Jésus Perez, un envoyé de l’espèce humaine sur l’exoplanète éponyme. L'autre volet du projet, Harmonie Center, est une plateforme digitale qui se présente comme la vitrine épurée d’une firme mélangeant lifestyle, services et divertissement. Un jeu vidéo en constitue l’expérience majeure, et révèle les logiques à l’œuvre dans le capitalisme numérique, et les coulisses glaçantes de “l’usine à rêves”.
Docteur Harmonie marque une nouvelle étape avec la réalisation d'un troisième épisode, placé sous le signe de la santé : les anatomies extraterrestres deviennent le cadre d'une « comédie des humeurs », et entraînent Jésus Pérez à camper le rôle inconfortable d'un Docteur malade.
L'irruption de la médecine dans cet univers de science-fiction se conjugue à la création d'une encyclopédie en ligne qui répertorie tout ce qui compose le biotope de l'exoplanète, dont on ignore presque tout. Enfin, Harmonie Center lancera un comité de pilotage pour y diriger et animer de nouveaux services.
Los años de nada
DES ANNÉES DE RIEN est une installation filmique et mix media qui prend pour point de départ un fait d’actualité espagnol datant de 2016.
Il s’agit de l’histoire de Joaquin Garcia, un employé de la ville de Cadiz qui fût accusé d’inactivité par son employeur pendant 6 ans. Seulement, aucune tâche n’avait été donnée à Joaquin Garcia pendant ces années de services et celui-ci décida d’utiliser son temps vide au travail pour étudier la philosophie de Spinoza. Les journaux relatant l’affaire disaient même que Joaquin Garcia est devenu spécialiste de Spinoza. J’interprète directement cette lecture pour soi comme une révolte sourde contre la machine du monde du travail. À travers cette nouvelle recherche artistique, je décide d’investiguer les échos de cette histoire à Cadiz afin d’en proposer une interprétation performative : rejouer le procès de cet homme qui n’aurait rien fait.
Hors d'elle (titre provisoire)
Ce projet s’inscrit dans la lignée d’une recherche théorique et plastique que je mène à propos des voix portées par les femmes dans le cinéma hollywoodien des années 50. Partant de ces réflexions autour des phénomènes de possession vocale, de ventriloquie et plus récemment de charme dans l’espace sexué de ce cinéma fondateur, j’aimerais réaliser un nouveau film à l’occasion de cette résidence de recherche et de production. Dans ce film, le déroulé de la narration sera porté par la voix off d’une performeuse/personnage ventriloque. Seulement à première vue off, cette voix sera en réalité ventriloquée et par conséquent in — non seulement dans l’image mais également dans le corps de la performeuse. Maintenant invisibiliser ce procédé, le film proposera dans un premier temps la simple observation d’un personnage féminin muet de trois-quarts dos, support à de multiples projections narratives décrites par la voix off. Au lieu d’échapper à l’espace diégétique de l’image, cette voix sera enfouie à l’intérieur du corps du personnage. Comme dissociée par le procédé de la ventriloquie, la performeuse accompagnera le film dans une traversée confuse de différents niveaux de narrations entre le in et le off. Sa voix et son regard révéleront progressivement à la fois le procédé vocal et le dispositif filmique. Par ce libre voyage dans l’espace-temps du corps, du film et de la narration, la voix elle-même tentera de s’émanciper de l’autorité de la synchronicité.
Les Palissades
Mon travail est fait de la confrontation de mondes distincts, du dialogue entre différentes strates, d'époques qui se mélangent, d'états d'esprit et d'humeurs. Parfois la peinture est une scène, parfois c'est un lieu. Les palissades sont des structures en bois qui s’installent dans l’espace et sur lesquelles des impressions sur papier sont marouflées. Ce sont des pièces polyphoniques où des éléments hétérogènes cohabitent.
Reloaded and combinatory collage
Je passe la majorité de mon temps seul dans mon atelier à découper et coller des matériaux plats comme des publicités, magazines, journaux, et autres papiers disponibles et souvent gratuits. Ce qui m'importe, c'est qu'ils ne soient pas blancs. Ces gestes de trouver, découper, et coller redéfinissent les formes que je travaille, sans preuves ni concepts préconçus. Je crée avec des images déjà existantes, ce qui reflète mon intérêt pour la production et la circulation des images. Depuis plusieurs années, je produis de nombreux collages sur divers supports comme la toile, le papier, les chaises ou les tables, en épuisant quotidiennement une iconographie spécifique.
Ce nouveau projet s'inscrit dans la continuité de mes recherches. Une publication est prévue pour 2024. J'ai scanné une centaine de collages récents pour cette publication, et plusieurs images ont déjà été sélectionnées, d'autres les rejoindront. Mon intention est de sérigraphier cette première sélection sur toile, puis de les réencadrer.
Je suis fasciné par la surface de la peinture déclarative et souhaite la maintenir via la sérigraphie. Ce médium offre des qualités de transformation importantes pour mon travail, telles que la mécanique, le changement d'échelle, la monochromie, l'effacement des marques et de la main, ainsi que la multiplicité. Cette méthode est une étape cruciale dans le développement de mon œuvre. Je suis très intéressé par ce "bégaiement" des régimes d'images, en mettant l'accent sur le processus de création et les résultats imprévus qui en découlent.
La main à tête de caoutchouc
Le projet que développe mon travail implique la question de l’infiltration du hasard dans le quotidien,
que ce soit au travers de croyances (religieuses, mystique, culturelles), de pratiques populaires
ou d’activités plus usuelles issues du quotidien. Pour poursuivre ces recherches, le Mexique
se trouve être le terrain propice à l’utilisation du médium que j’utilise depuis une dizaine d’années,
à savoir le caoutchouc sous toutes ces matérialités.
In retrospect it all comes down to healing, wild healing.
Depuis une quinzaine d’années, je crée les conditions spécifiques pour qu’une expérience de perception modifiée puisse avoir lieu. Le cadre systématique de ces expériences est une rencontre de un à un entre un spectateur·rice et un.e collaborateur·rice ou moi-même. Ces pratiques en duo peuvent prendre la forme d’une balade silencieuse en ville, d’une sieste accompagnée de divers objets et matières, d’un cabinet de pratiques sensorielles adressées à des personnes en exil... des expériences en silence qui ont toujours fait beaucoup parler une fois terminées. « In retrospect it all comes down to healing, wild healing » est un projet radiophonique qui revient sur ces pratiques (à travers les matériaux sonores qu'elles ont déjà générés et d'autres à fabriquer) afin d'interroger - par les voix - la relation entre les états modifiés de perception et les formes singulières de soin que ces états sont capables de produire. Ainsi, cette série prendra la forme d’un rendez-vous mensuel en direct, au cours duquel j’inviterai de petits comités à participer à des séances glissant de la consultation, au cercle de parole, à la séance d’hypnose ou de spiritisme, à la conversation... Autant de dispositifs radiophoniques où il s'agira de cartographier ce que délirer pourrait vouloir dire, à un moment où nous aurions plus que jamais besoin de ce que Donna Haraway appelle le body mind inventiveness, ou « l’inventivité de corps et d’esprit ».
I heard you looking / le pavillon des ombres
Le projet I Heard You Looking / Pavillon de l’Ombre pour lequel je sollicite le soutien du Centre National des Arts Plastiques prolonge et développe une réflexion entamée dans le cadre du programme Kaolin. Née des jardins chinois et plus particulièrement des espaces de transition entre intérieurs et extérieurs (les paravents, portes, fenêtres, couloirs, passages, seuils...), cette œuvre sculpturale vient rythmer l’espace architectural dans lequel elle s’inscrit grâce à l’extrême translucidité des lithophanies de porcelaine, offrant à voir un jeu pictural en perpétuel changement. Deux structures inspirées des paravents seront constituées de trois pans comprenant une construction en bois accueillant de fines lithophanies.
Ce projet poursuit une recherche sur la circulation et la transmission de savoir-faire. La porcelaine, originaire de Chine, s’est enrichie durant les siècles des expérimentations de nombreuses cultures qui chacune lui ont permis d’élaborer sa finesse et sa plasticité. Fasciné par ses propriétés, je souhaite donner à ces carreaux de porcelaine la dimension d’images fantomatiques, que seule la lumière dans l’espace d’exposition peut faire apparaître. Le cadre du paravent ¬— comme celui de la fenêtre — met en abîme la captation photographique et la situation dans laquelle se révèle l’image. Module architectural et mobilier, le paravent filtre les représentations (comme un support de la mémoire).
Gouines Rouge en Maison 12
Ce projet a pour fil conducteur mon obsession pour les gouines rouges. Ce groupe de lesbiennes se constitue à Paris (1971-1973) au sein des mouvements féministes et homosexuels (MLF et FHAR). Malgré la notoriété de certaines de ses membres, peu de traces et récits sont accessibles. La lesbophobie et l’invisibilisation des lesbiennes au sein de la société et de l’histoire même du féminisme en sont indéniablement des causes. Cependant, si je ne trouve pas grand-chose, c'est aussi car mon désir pour cette histoire dépasse son impact et sa portée initiale. Et charrie donc l’intention de réparer ce que l’Histoire aurait pu être. Je souhaite mener une recherche en archive (Archives Lesbiennes, Fonds Monique Wittig à Yale) alliée à une série d’entretiens afin de rassembler une matière. Qu’elle soit décevante ou éclairante, elle sera une base pour créer une fiction capable de continuer les intentions réparatrices du groupe : se reconnaître, se rendre singulière, visible, palier au manque d’Histoire par plus d’histoires. Le développement de techniques corporelles me permettra d’accéder à de nouveaux outils narratifs. Par la ventriloquie, je souhaite créer voix et contre-voix pour raconter une histoire que l’on ne peut pas raconter seul.e. Trouver mon clown intérieur -un être débarrassé des couches de socialisation qui révèle un vaisseau spontané et vulnérable- me permettra de développer un personnage pour cette enquête à même de raconter des histoires impossibles, empêtrées.
Tout sauf la signature
Envisagé comme la suite des recherches menées depuis 2017, sous le nom d’EAAPES, autour des féminismes dans la science-fiction, le projet que nous proposons de développer est un film.
Il retrace les vies plurielles d'Alice Sheldon, l'une des premières femmes pilotes de l'armée américaine, critique d'art, espionne de la CIA, professeure en psychologie, autrice de science-fiction publiée sous un pseudonyme masculin (James Tiptree Jr.) jusqu’à tard dans sa carrière. D’un allié masculin des autrices à une femme vieillissante du monde de la littérature, confrontée au sexisme.
Il met en lumière sa relation avec Joanna Russ, autrice lesbienne de SF, par le biais d’archives réunies en Oregon et ailleurs aux USA. Elles révèlent la scène alternative de la SF entre les 60s et 90s, les mouvements féministes à l’œuvre, les questions de genre et d'homosexualité qui commencent à être abordées plus largement par les intellectuel.les, enseignant.es.
Ce film est un territoire d’expérimentation à la frontière entre cinéma et arts plastiques.
Les décors peints de Charlotte sont la trame d’interviews mises en scène, de lectures des lettres. Le cadre de la science-fiction englobe le projet et crée le terrain propice à hybridation entre les genres cinématographiques.
Le travail de vidéaste de Clara, attaché à la question de l’archive, de la production d’archives fictionnées, à la recherche de traces inédites, à l’accessibilité de celles-ci grâce à la traduction, permet la réunion de ces recherches.
Moondog Equestria
Moondog Equestria est un projet de film-installation tourné avec des cavalières escaramuzas, un art équestre féminin du Mexique, et des musiciens interprétant la musique du compositeur Louis Hardin, alias Moondog. Il s’agit de mettre en scène, pour et avec un dispositif multi-caméras, un court ballet équestre sur une version réarrangée de la Suite Equestria du compositeur américain. Le film sera tourné à l'issue d'un séjour mexicain à l'hiver 2023-2024 qui me permettra de conduire les repérages et de travailler avec musiciens en direct (marimba, électronique, voix parlée), un groupe de cavalières et l’équipe du tournage. Il sera montré sous la forme d’une installation mobilisant trois écrans, six hauts-parleurs et des techniques de travail du cuir et du bois issues de la culture charra dont la escaramuza – le mot désigne tant la discipline que les cavalières qui la pratiquent – fait partie. Mon parti pris serait d’explorer le potentiel chorégraphique de la façon de monter des escaramuzas (postures, aides, harnachement et costume) et de certaines des figures traditionnelles de la discipline, mais aussi des exercices de dressage individuels et collectifs qui en forment la base, et ainsi écrire, avec le mouvement des chevaux, de la lumière et des caméras, un contrepoint visuel à la composition musicale et au texte de la Suite Equestria.
Vanishing World, After/Inside Soylent Green
SOYLENT (AFTER 2022) est un projet inspiré du film d’anticipation "Soylent Green" de Richard Fleisher (1973). Alors que le film abordait principalement les préoccupations environnementales et la surpopulation, ce projet intègre des enjeux actuels tels que la dystopie caniculaire, la dette temporelle généralisée, l’aliénation patriarcale, le vieillissement de la population, et les menaces d’extinction.
Ce projet comprend plusieurs phases de recherche et de production de diverses œuvres (performances, installations, film, éditions). Il prolonge diverses dimensions y compris l'intérêt pour la science-fiction, l’anticipation, l’hypnose, la plasticité du temps, la porosité entre le réel et la fiction, le travail d’enquête, et le féminisme.
Dans le cadre du soutien à un projet artistique, Lidwine Prolonge souhaite réaliser l’une des œuvres de ce projet : le film "Vanishing World, After/Inside Soylent Green".
Antiphona
L’escrime regroupe trois disciplines bien distinctes – le fleuret, l’épée et le sabre – toutes représentées au niveau olympique. À chaque arme, ses règles, ses stratégies, ses réflexes. Un élément demeure néanmoins commun aux trois sports : la piste ; dont la superficie est d’1,5 m de large sur 14 m de long. Je me suis intéressée à cet espace délimité ainsi qu’aux mouvements des tireurs et au son généré électroniquement pour le décompte des touches. Comme deux aimants, les joueurs se meuvent d’avant en arrière, s’attirent et se repoussent. Ces déplacements de va-et-vient s’apparentent à la danse d’une parade amoureuse. Dès lors, afin de finaliser ce ballet, j’ai créé un dispositif sonore permettant à chacun des deux escrimeurs de composer une mélodie en fonction de leur déplacement sur la piste. Un capteur est ainsi placé de part et d’autre de la surface de jeu, permettant de saisir les déplacements des tireurs. De manière à les identifier, chaque joueur se voit attribuer la gamme tonique ascendante ou descendante de do majeur.
Le duel peut alors commencer. Les mouvements méticuleux des escrimeurs sont transcrits musicalement en temps réel. Aussi, j’ai associé la répétition de « l’attaque et la parade » (action d’engager le combat et de se défendre) à la notion « d’appel et de réponse » que l’on retrouve en musique sous le nom d’antiphonie – du latin Antiphona, qui signifie « deux demi-chœurs (ou deux solistes) chantant alternativement une suite de versets ».
Opir
Repérages en Ukraine pour le film Opir avec Julien Loustau et Paolo Codeluppi.
Oпір en ukrainien, signifie résistance. C’est un film sur le temps de la guerre, construit par la parole de la communauté LGBTQ+ ukrainienne. C’est aussi un portrait de cette communauté et des individus qui la composent. Il donne à partager leurs histoires, leurs questionnements et leurs imaginaires. La résistance dont le film parle est une lutte du quotidien dont les armes sont le corps, la parole, l’art et la fête.
Le projet sera composé en grande partie d’échanges et de discussions entre différents protagonistes. Notre travail consistera plus à assurer le cadre de ces discussions qu’à les diriger. Nous voulons créer des flux de paroles et en faire le matériau vivant du film, en organisant notamment des temps de rencontres qui rassembleront des personnes dans différents lieux, et dont le déroulement constituera le cœur du film. Le travail de repérage à Lviv, Ivano-Frankivsk et dans les Carpates consistera à définir les lieux de ces échanges, à tisser de nouveaux liens et à initier les rencontres qui nourriront notre projet.
Bâtisseurs, bâtisseuses de mondes (titre de travail)
Depuis la nuit des temps, des géants façonnent le paysage. En France, Gargantua urine pour créer des rivières, défèque pour bâtir des montagnes tandis qu’au Japon le Yokai Daidarabotchi sculpte le mont Fuji d’un coup de langue. Aux Etats-Unis, on raconte que les lacs Bemidji et Irving ont été formés par les pas du géant Paul Bunyan. De 1970 à sa mort en 2020, Jean-Marie Massou a creusé sur son terrain à Marminiac (Lot, France) des gouffres, des grottes, des failles, désobstruant ce que la terre a mis des milliers d'années à combler. La rencontre avec l'œuvre abondante de cet ermite nous a conduit à envisager des recherches plus approfondies afin de mettre en relation son œuvre avec celle d’autres artistes « bâtisseurs de mondes ». Dans le désert Californien on peut citer Robert Smithson (Spiral Jetty), Michael Heizer (City, Double Negative), Nancy Holt (Sun Tunnels), Leonard Knight (Salvation Mountain), James Turrell (Roden Crater) et encore bien d'autres en France et en Europe.
Ces formes, qui relèvent autant de la sculpture que de l'architecture, ont en commun de ne pouvoir être véritablement appréhendées qu'en les parcourant. Ces sites peuvent-ils être des espaces pour créer des fictions ? C’est certain, cette enquête prendra la forme d’une aventure. Nous avancerons en cherchant des indices dans les musées, les bibliothèques, en discutant avec des autochtones, réunissant ainsi histoires et légendes locales. Ces récits seront aussi l'occasion de convoquer des mythologies anciennes et contemporaines : biographies d'artistes et légendes des Titans. Une série de publications accompagnera cette longue épopée.