30 lauréats ont bénéficié en 2020 du soutien à un projet artistique, à la suite de la commission dédiée qui s’est déroulée le 11 avril. 

Rodolphe Alexis

Habiter l’écoute (Audiographie sensible de la multitude)

Projet de recherche et de création autour de la notion d’écoute(s) et de captation sonore d'un environnement amazonien aux frontières de la musique concrète, de la création radiophonique et de l'écologie acoustique. Il s’agit d’amorcer un dialogue avec ce territoire et la communauté indigène qui l’habite et le défend, le peuple Paiter Surui habitants de la « terra indigena sete setembro » regroupant 250 000 hectares d’une forêt encore préservée. Cette collaboration avec le peuple Paiter engagera la participation active de certains membres de la communauté dans la réalisation artistique même, notamment par la pratique de l’enregistrement réalisée en partie par ces derniers (avec des dispositifs très variés tels que capteurs aériens, multicanaux, hydrophone, solidien, ultrasosores, paraboliques....) ainsi que, dans une moindre mesure par une recherche conjointe en botanique et divers éléments pour la confection d’encres et de matières. Les formes de restitutions pourront évoluer suivant l’avancée du projet allant de la performance audio immersive à la conférence, du documentaire radiophonique au parcours sonore géolocalisé, jusqu’à l’édition discographique. Cette dernière, particulièrement importante, tentera d’incorporer le concept d’impermanence et la notion de responsabilité, via la disparition progressive d’une partie de son contenu, à chaque manipulation, fait de cendres de la forêt et d'encres photosensibles...

Driss Aroussi

Borj el mechkouk

Prenant la forme d'une fable-cinématographique, Borj el mechkouk nous emmène sur les traces d’un homme envoyé par le chef du village afin d'observer et éventuellement dé-sabler un système de galeries d'eau souterraines utilisées par les villageois pour irriguer les terres agricoles. La narration se déroule dans une zone pré-désertique au Maroc où la gestion de l'eau est un élément central de la condition de la vie oasienne. Le système des galeries drainantes souterraines se nomme « Khettara ». Ce sont des ouvrages créés par les hommes qui permettent de mobiliser les eaux souterraines des nappes de manière continue. Ce film nous invite à suivre les différents moments que cet homme va traverser, tout au long de son voyage, dans ces espaces secs et vastes. Arrivé sur les lieux, il s'installera et mettra en œuvre son savoir et sa dextérité pour accomplir son travail. Dans cet espace chargé et mystérieux, nous découvrirons l'aboutissement de sa mission.

Guillaume Aubry

Mettre feu, mettre fin.

Un monde sans fin. A l'automne 2020 sera célébré le 500ème anniversaire de la traversée du Détroit de Magellan, une de plus grandes performances de l'histoire moderne, mais aussi la première circumnavigation qui permet de conforter les traités sur la rotondité de la Terre. Le monde devient une sphère, un espace géométrique sans début ni fin. Pourtant les nombreuses formes touristiques contemporaines qui y sont proposées : croisières rejouant la traversée du Détroit, trecks... sont autant de promesses de (re)faire l'expérience esthétique de la "fin du monde". Mais de la fin de quel monde s'agit-il aujourd'hui ? Un monde sans feu. "Terre de feu" ne vient pas de l'activité volcanique de la région, ni du climat mais de la description qu'en fait Pigafetta, le rapporteur de l'expédition de Magellan, qui décrit les feux mobiles que transportent dans leurs barques les Yamanas, civilisation indigène de nomades marins. La colonisation de la Patagonie a rapidement raison des Yamanas et de leurs feux (esclavage, extermination, apport de maladies européennes...) totalement disparus aujourd'hui. Une dualité identitaire actuelle. Ce monde n'a plus de fin physique mais une fin culturelle et humaine : celle du monde pré-colonial Yamana. Dans un double élan de culpabilité empathique et de fascination, les fuegien.ne.s d'aujourd'hui descendant.e.s des colons revendiquent l'héritage culturel Yamana qui est autant un marqueur identitaire qu'un bien de consommation culturelle pour touristes.

Fabienne Audeoud

Improbissima Fema

J’ai récemment et très tardivement été diagnostiquée comme autiste de haut niveau ou souffrant de troubles du syndrome dit d’Asperger. Le projet que je souhaite développer avec l’aide du Cnap est dans la continuité d’une partie de mon travail qui questionnait les symptômes de ce syndrome sans que je puisse les nommer comme tels, dont (essentiellement) mon rapport au langage, à la littéralité et à la voix. Il s'agira de travailler sur une production opératique qui mettrait en scène le texte incarné (‘le mot fait chair’ religieux mais aussi du mot résonnant, sonore donc musical), l'idée du langage vu comme virus social (Burroughs, Asperger) et des mots qui agissent ( ‘How To Do Things With Words’, Austin). Une pièce où la parole devient musique dans un espace signifiant (une scène, une narration, un contexte muséal), et cela dans un esprit plus proche du travail de Anne Himof,  Ed Atkins ou Ragnar Kjartansson que de compositions de musique contemporaine pour une scène de théâtre. Je ne sais pas encore si le projet final doit prendre une forme de performance «live» face à un public ou s’il peut se développer plutôt en film ou en installation.

Andrés Baron

Surfaces Depliées

Surfaces Dépliées, propose une investigation autour des émotions dans l’image en mouvement, à travers la création de scripts visant à une nouvelle série de films : en élaborant une série de méthodes d’écriture de la vidéo, en mêlant différents procédés empruntés à la poésie sonore et concrète, la chorégraphie et le “spoken word”. Le dessin et le montage apparaissent comme des méthodes pour construire un script visuel, cultivant ainsi une pensée plastique ou non-verbale comme mode d’approche. Premièrement je voudrais fouiller dans les archives du performer Stuart Sherman, de l’artiste Ellen Cantor et de la poète Jayne Cortez, à la fondation Electronic Arts Intermix (EAI) à New York et à la New York Public Library : leurs cahiers, dessins, enregistrements, scripts et performances filmées m’intéressent particulièrement comme des sources d’écriture pour l’élaboration d’une nouvelle grammaire filmique. La deuxième partie va se focaliser sur la recherche des nouveaux thèmes que l’investigation précédente soulèvera. Dans l’atelier seront développés les scripts des premiers films envisageant un futur tournage en studio.

Louidgi Beltrame

Huaqueros, les « archéologues empiriques ».

"Ce projet s’intéresse aux fouilleurs de tombes clandestins au Pérou, à leur pratique magique et vernaculaire, ainsi qu’à la biographie et aux différents régimes ontologiques des artefacts extraits des vestiges préhispaniques appelés Huacas. Le huaquero est un personnage liminaire, qui se situe à la frontière de différents mondes : le monde andin, ancré dans son passé précolonial, quoique profondément syncrétique, basé sur des rapports communautaires complexes, caractérisés par le concept de redistribution, ainsi que sur une relation de réciprocité avec les « existants autres qu’humains » ;  l’univers de l’archéotrafic qui connecte entre eux les fouilleurs clandestins, les faussaires, les intermédiaires, les collectionneurs, voire les institutions muséales. C’est suite à plusieurs voyages de recherche au Pérou entre 2012 et 2017, que je me suis intéressé à la figure équivoque du huaquero. Cette recherche expérimentale vise à constituer une ressource documentaire multisubjective en collaboration avec des interlocuteur.trice.s engagé.e.s dans différentes pratiques scientifiques, magiques et artistiques."

Elsa Brès

Sangliers

Sangliers est un projet de film dont le procédé d’écriture intègre l’utilisation d’outils d’écologie quantitative. Il se déploie dans la vallée du Souls, dans les Cévennes, en compagnie des sangliers, envisagés comme alliés politiques. Opérant un retournement de ces technologies et par un geste spéculatif ancré dans une connaissance précise du milieu, ce projet de recherche propose d’ouvrir des chemins de traverse dans un paysage modelé par les différentes phases du capitalisme, de s’infiltrer dans les recoins, d’habiter l’épaisseur, la nuit, de l’occuper et d’y disparaître, d’y écrire ensemble des histoires.

Marie Ouazzani et Nicolas Carrier

Respiration sociale

Respiration sociale est un projet de vidéo, une fiction climatique qui prend en compte les effets du changement climatique. Elle explore l'impact de la pollution sur les paysages, les usagers et les plantes des installations sportives de Paris et sa banlieue. Depuis 1924 et les premiers Jeux Olympiques de Paris, les équipements sportifs sont souvent construits dans les espaces laissés vides par l'urbanisation et qui connaissent, de nos jours, les plus grandes concentrations de particules fines (PM10 et PM2,5). En plein préparatifs pour les Jeux Olympiques de 2024, les bienfaits d'exercer une activité physique régulière, recommandations des politiques de santé publique, se confrontent à la respiration et l'absorption des particules fines.

Pauline Delwaulle

Le jardin au bout du monde - Expédition à Caniapiscau

Le milieu du jour, La lune où il gèle, Le tendre matin, La fragilité des choses, Le soleil des gouffres, La dérive douce, Le vacarme du chaos, La pelure du ciel... Au cours de mes errances dans les bases de données géographiques, j’ai découvert une zone regroupant de curieux toponymes, noms de lieux. Ils forment "Le Jardin Au Bout Monde", situé dans le Grand Nord Canadien. En 1997, la commission de toponymie du Québec, nomma 101 îles à partir du patrimoine littéraire québécois de l’après-guerre. 101 nouveaux toponymes,  "101 fleurs échappées du jardin de l’imaginaire et qui se répandent dans ce Jardin au Bout du Monde, animant l’anonyme " (Commission de toponymie 1997). Le lieu vierge de toponymes choisi fut le réservoir Caniapiscau, anciennement paysage de plaines et collines transformé en immense lac parsemé d’îles-collines par la rétention des eaux du barrage. Je souhaite poursuivre ma recherche déjà amorcée au travers de différents projets et continuer mon questionnement sur la naissance du lieu par le langage. Le projet que je souhaite mener est une enquête toponymique à géométrie variable au croisement de la géographie, de l'appropriation de celle-ci, des métamorphoses du paysage et de notre façon de le parcourir et de l’interpréter. Ce projet a pour but d'emmener un canot jusqu'à Caniapiscau pour pouvoir accéder aux îles et voir de mes yeux comment les toponymes et le paysage se font écho, si le langage a sa place dans ce lieu à l’histoire complexe, pleins de contradictions. Est-il possible de ne pas chercher à reconnaître un paysage sur des territoires autochtones qui l’appréhendent différemment ?

Antonin Detemple

Anémochorie

L’Anémochorie est le terme qui désigne la manière dont une graine a de se propager grâce au vent, utilisant des ailettes par exemple. Le projet, proposé par Antonin Detemple et accompagné par la commissaire d’exposition Fiona Vilmer, cherche à disséquer la fleur coupée, dans sa chaire et sa mythologie. La fleur coupée participe à l’idée de partage et d’amour, mais également d’un commerce et d’une production industrielle soumis aux dogmes capitalistes les plus stricts. Les fleurs ont quitté nos campagnes et sont aujourd’hui cultivées sous de vastes serres, tout le long de l’équateur, ce qui implique des conditions botaniques, sanitaires, écologiques et sociales bien particulières. En faisant le constat de cette contradiction, en quoi la fleur coupée peut-elle être considérée comme une image à part entière, ainsi qu’une image de notre société occidentale contemporaine ?  Considérée d’emblée comme une image, cette recherche propose de disséquer la fleur coupée et de s’approprier le contenu sensible qu’elle évoque. Sa charge passionnelle, mythologique, culturelle et symbolique circule et se mêle à l’analyse concrète du système de production et de commercialisation, qui en sont deux aspects indissociables.  Circulant constamment d’une époque et d’un lieu à l’autre, le contenu d’images issu des recherches sera cristallisé dans une édition produite par Office abc. Un corpus de bouquet sera également produit, selon des critères qui font basculer l’objet dans le domaine de l’image.

Sara Favriau

Je vois trouble longuement un paysage transitoire

«Je vois trouble longuement un paysage transitoire» est un projet d’enforestation. Une immersion sur le long cours, durable, dont les œuvres, investies d’un élan vers l’inexploré, seront dans l’ensemble, éphémères. Cet ensauvagement se trouve au pas de notre porte, l’INRA Avignon m’y a invitée. Je vais partir éprouver le pouls de la forêt, accompagnée de chercheurs biologistes et botanistes. Ce projet va s’inscrire in situ, sur le site de Font-Blanche, une station expérimentale d’étude des forêts méditerranéennes, où des arbres dépérissent suite aux changements climatiques. Je vais intervenir, tailler, sculpter, aussi performer ; inviter danseur, auteur, metteur en scène, filmer une performance, Intervenir, sculpter, aussi performer ; inviter danseur, auteur, filmer une performance, interpréter une pièce bavarde en playback, transporter sa scénographie à vélo, itinérante, où le corps mobile est engagé, pour être jouée muettement pour les arbres, sans spectateurs humains… Autant d’idées qu’il y a d’arbres en forêt.
Le projet, au-delà de son statut environnemental, sera une double réflexion autour de la posture, l’investissement, l’expérience, aussi le potentiel d’une œuvre éphémère. Ce caractère «périssable» créera d’autres œuvres, cette métamorphose suscitera d’autres imaginaires, d’autres fictions. Avec ce projet transversal et collaboratif, les rencontres comme les œuvres seront, devant les changements climatiques et la cohésion sylvestre, non pas militantes mais poétiques, engagées, et je l’espère, généreuses.

Lorraine Féline

Performance à New York  

Mon projet est de mener une recherche sur l’histoire de la performance à New York, et en particulier sur les performances de danse qui ont eu lieu en extérieur. Cette recherche aboutira à la réalisation d’une performance dans la ville, sur le toit d’un bâtiment. La performance consistera en une chorégraphie créée spécifiquement pour un lieu, et en fonction des interprètes danseuses et danseurs amateurs ou professionnels que j’aurai rencontrés sur place.
Je travaillerai à la création de la performance en studio et suivrai différents cours de danse et workshops dans différentes écoles de danse de la ville.
Ce projet se réalisera in situ à la fin de ma résidence, sur un toit d’un bâtiment choisi pour les possibilités qu’il offre, et en accord avec la performance.

Amélie Giacomini et Simohammed Fettaka

Soma

Le projet SOMA s’inscrit dans la démarche des recherches de la philosophe Donna Haraway qui interroge nos modes de relations aux vivants et considère la possibilité de formes de socialité interspécifique. Notre proposition tente une de ces voies à travers plusieurs temporalités. D’abord, une mise en situation de cohabitation interspécifique qui s’invente autour d’une résidence au Maroc en présence d’un oiseau. Nous désignons le pigeon comme animal partenaire pour l’histoire particulière que nos espèces ont entretenue au cours des temps. Cette expérience se traduira ensuite par la production d’une fiction vidéo traversée par une série de sculptures et dans lesquelles l’histoire d’humains et d’oiseaux s’enchevêtrent.
La production de la vidéo sera élaborée grâce à un dispositif d’enregistrement vidéo placé sur le col du pigeon. Nous travaillerons un mode expérimental de procédé continuel de point de vue subjectif animal. Dans lequel, le point de vue du spectateur sera établi à travers celui du pigeon, imaginé en tant que possible narrateur. Nous envisageons ces éléments comme moyen narratif et plastique où l’instabilité et l’accidenté de l’image induit par le dispositif traduiront une forme de cri de l’oiseau. Les sculptures seront élaborées à l’adresse d’une assemblée interspécifique de regardeurs humains et oiseaux.

Nicolas Giraud

Ce qui se soustrait au regard

Le projet se construit en regard de l’opacité des phénomènes technologiques contemporains. Il s'agit d'explorer les représentations produites à partir des activités techniques, dans la continuité notamment du travail de Lewis Baltz. L'enjeu pour moi est de saisir ce qui se joue dans le face à face avec la technologie. Cette nécessité est d’autant plus forte que nous sommes baignés d’images, mais que rares sont celles capables de représenter l’environnement technologique lui-même. Cet angle mort rend difficile notre compréhension de ce qui arrive. Nous avons l’intuition d’un changement, mais la photographie strictement documentaire ne parvient pas à le rendre visible. Le phénomène technologique échappe à la pensée, faute d’une forme. C'est cette forme qui est l'objectif du projet.

Laura Gozlan

O. Sorcery

O. Sorcery (Onanism Sorcery) est un cycle de micro-fictions vidéo qui se situe dans la continuité de Youth Enhancement Systems. MUM, la protagoniste que j’interprète, s’origine dans le féminin monstrueux* et en embrasse différentes formes : mère archaïque, vampire, sorcière. Les rites qu’elle performe fusionnent des archétypes propres à la sorcellerie et des programmes du transhumanisme. Transgressive à plusieurs égards, MUM déjoue les binarismes masculin-féminin et côtoie l’abject lorsqu’elle se défonce aux vapeurs de momie avec un urinal féminin, en guise de cure de jouvence. La "biopolitique de la salle de bain" avec sa construction sociale des corps et son assignation des genres est balayée d’un revers lorsque MUM s’affranchit des dictats de l’industrie cosmétique relatifs à la conservation de la jeunesse des femmes. C’est dans un nouveau cycle, empruntant aux tutoriels didactiques, que MUM refait surface et s’exerce à la magie sexuelle. Aussi diffuse qu’insaisissable dans ses origines, cette pratique consiste à manipuler la volupté comme une énergie destinée à faire advenir des voeux.

*The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis (London and New York: Routledge, 1993). Barbara Creed envisage l’archétype du féminin monstrueux dans le cinéma d’horreur comme le reflet de l’idéologie patriarcale présentant la femme comme monstrueuse et abjecte en ce que sa sexualité et sa "fonction reproductive" s’opposent à la loi symbolique patriarcale.

Ann Guillaume

Composer

Comment les agriculteurs s'arrangent-ils pour faire tenir ensemble des savoirs issus de registres différents et considérés comme incompatibles? Composer est un projet artistique qui mêle une enquête filmée sur un territoire en Puisaye, qui mettra en place des entretiens, qui se partagera sous la forme d'un film et de rencontres pluridisciplinaire avec un public dans différents lieux comme des centres d'art, un lieu en Puisaye, des écoles d'art.

Frédérique Lagny

Oratorio

Comment aborder la question coloniale aujourd’hui en France et au Burkina Faso ? Et comment aborder sur le continent africain, notamment au Sahel, la question de la présence française alors que le ressentiment et les thèses complotistes se répandent sur les réseaux sociaux ? Durant douze ans j’ai pleinement engagé mon travail et ma vie personnelle au Burkina Faso. La question de la légitimité - en tant que française - à mener des projets depuis le continent africain dans l’ancienne zone coloniale de l’Afrique Occidentale Française m’a souvent été posée, au Burkina Faso, comme en France. Une interpellation plus que jamais d’actualité au regard de la politique extérieure de la France qui déploie depuis 2013 au Sahel, sa plus vaste intervention militaire depuis la guerre d’Algérie. Travailler sur l’image que la France se fait de l’Afrique à travers une recherche dans les archives de la fin de la conquête coloniale (1880-1900), notamment aux Archives nationales d’outre-mer situées à Aix-en-Provence proches de Marseille où je réside, me semble le meilleur point de départ pour le faire. Dans un second temps, une résidence au Burkina Faso en novembre 2020, me permettra de mettre en résonance les documents collectés et de travailler sur son corollaire : quelle image la France véhicule-t-elle au Burkina Faso ? ORATORIO, dans un essai vidéo et sonore, proposera une réponse à ces questions dans une mise en perspective des points de vue, des récits et des voix.

Valérie Mréjen

Gardien party

Les œuvres sont toujours fragiles, exposées à l’irrépressible envie de toucher des nombreux visiteurs, à d’éventuelles dégradations ou vols. Les gardiens de musée ont pour mission de les protéger. Ils voient et entendent tout, sont quelques fois pris à partie. Ils doivent être présents et transparents, en veille et attentifs. L’ennui est presque continu. Il faut trouver des stratégies, rouler des pensées dans sa tête, avoir un petit carnet. Il faudrait avoir une vie intérieure ou ne pas en avoir du tout. J'ai souhaité faire émerger la parole des agents de surveillance et d’accueil, leur rapport personnel aux œuvres, aux visiteurs, au temps. Ils seront à la fois sujets et acteurs de ce travail, mais également prétexte à interroger le rapport politique entre l’espace du musée et ceux qui le fréquentent. La situation sera, pour eux comme pour nous, familière et inhabituelle : face au public, les agents seront presque en poste comme au quotidien, mais ils nous parleront. Leurs souvenirs et expériences, les impressions communes et les anecdotes, guideront le spectateur dans une visite bis, une exploration parallèle des musées à travers le monde.

Malik Nejmi

Jardin d'exil

Mes recherches au Maroc, dans le sillage d’une œuvre de l’intime, ouvrent un vaste chantier d’investigations de l’exil, et par conséquent des relations historiques et politiques que noue l’héritage postcolonial de cette partie du Maghreb avec une génération d’artistes qui sont nés de l’autre côté. Le projet « Jardin d’exil » tente, en plusieurs étapes, de produire une installation mêlant différents supports : la photographie, la botanique (collecte d’objets et herbier), le film, le récit et l’archive villageoise. Il s’agit ici d’évoquer les « maladies exiliques », dont font part les ainé(e)s mais dont peu d’enfants issus de l’immigration font écho. La place du paysage sera liée au désir de produire une documentation du bled (le village de mon père) et du rapport des villageois avec la terre, et de révéler une géographie sensible du Maroc au travers des relations nouées par ailleurs avec les tradipraticiens face à cette quête, en jouant sur les imaginaires et les savoirs d’une nostalgie de l’exil. Comment révéler au moyen de l’enquête au village (l’intuition décrite par A. Sayyad) une géographie sensible qui constituerait une image organique de l’exil ?

Natacha Nisic

Saint-Désir L'Exil

Une enquête sur un territoire inaperçu, qui n'est ni délaissé, ni inhabité, situé au cœur de la vallée du Rhône et des questions environnementales les plus intenses. Un questionnement autour des souvenirs d'enfance, la trace qu'ils laissent dans la mémoire et leur soudaine urgence. Suite à mes recherches sur la question de la catastrophe entreprises depuis de nombreuses années, qui m'ont menées au Japon, je reviens sur les lieux où j'ai vécu enfant, face au spectacle d'une industrie polluante et dangereuse. Les échos des souvenirs se mêlent aux principes de réalités, aux frontières de la représentation, et au désir de comprendre.

Aude Pariset

Xenon AURA (by SUNTEST®)

Depuis Einstein et la théorie de la relativité, nous savons que le temps tel que nous en avons l’expérience est une illusion, car nous percevons notre temps local comme un absolu. Il n’existe pas d’ici et maintenant, mais une infinité d’expériences du temps. La seule chose que nous pouvons constater de nos propres yeux en relation au temps, et dont nous pouvons être certains est la suivante: la matière s’altère puis disparaît.
Pour le projet Xenon AURA (by SUNTEST®), je prévois d’utiliser des machines de laboratoires de tests industriels, appelées chambres climatiques ou chambres de vieillissement accéléré, qui ont pour but de déterminer les limites physiques et la durée de vie d’un matériau en l’exposant à des irradiations de lampe Xénon. Le spectre des lampes Xénon, après élimination des courtes longueurs d’onde, est très similaire à celui du soleil. Le but de ce projet est de constituer des œuvres ayant au sein d’elles-mêmes une double temporalité: la temporalité locale dite « lente », et celle rapide, qui les projette dans le futur et dans leur vieillissement.
Le projet Xenon AURA (by SUNTEST®) me permettra de réaliser les premières étapes de la production d’une nouvelle série de 10 pièces de moyen formats. Ces pièces consistent en des surfaces de plastique polyéthylène imprimées et enduites de peinture par endroit dans un premier temps, puis pliées et soumises aux radiations intenses de lampes Xénon d’une chambre climatique dans un deuxième temps.

Emilie Pitoiset

Ballando, ballando

Ballando, Ballando est un projet d’écriture chorégraphique d’une adaptation contemporaine du film éponyme de Ettore Scola (1983). Mon travail traite de la résistance des corps à travers la danse, le clubbing, le sport, la sexualité, l’argent… autant de symptômes aliénants et aussi, véhiculent de nos fantasmes. Le film de Scola s’inscrit directement dans la continuité de mes recherches qui portent sur l’analyse de phénomènes de pop culture et de subcultures, du Moyen âge à nos jours afin de comprendre l’urgence en temps de crise sociale, économique et politique de produire de nouvelles formes d’existence par la musique et la danse. En effet, je constate qu’il se produit un phénomène cyclique de “dansomanie” en période crise qu’on peut associer à — un besoin irrépressible de danser qui se traduit souvent par des phénomènes, parfois même inexpliqués, qu’on associe souvent à la folie, alors que c’est aussi un moyen d’exister, de résister à la Loi, la religion ou aux contraintes de la vie. Le bal est un bon catalyseur par exemple, que ce soit par l’histoire du bal des élites ou, du bal populaire. Le club en est un bon reflet, également. Ballando, Ballando retrace l’histoire et les symptômes de la société des années 30 aux années 80, par la danse. Ces investigations me permettront d’aller en Italie afin d’ouvrir mes problématiques de recherches à : Qu’est-ce que l’histoire sociale a produit après la crise politique, économique et sanitaire, à Rome et plus largement, dans le pays ? Je vois des similitudes entre la crise de 29 et celle des années 80 et aujourd’hui, qui suivent la même mécanique avec l’avènement de gouvernements conservateurs en Europe et ailleurs, qui témoignent d’un durcissement des rapports sociaux et intimes basés sur la division, la ségrégation — dont par exemple “la distanciation sociale” d’un point de vue linguistique est assez signifiante. Quels sont alors, les moyens de résistance qui vont apparaître après un tel repli ?

Dimitri Robert-Rimsky

Tropique Nord

Je souhaite ici proposer un projet de recherche pour un film expérimental. Un scénario où la narration se tisse en suivant les relations subtiles d’acteurs dont la géographie s’est égarée. Il s’agit de produire une forme de science-fiction documentaire. Une approche spéculative et poétique qui aborde des histoires de déplacement de circulation et d'appropriation. Une base de réflexion pour un possible présent-futur, interrogeant les imaginaires liés à la circulation des espèces et à la géologie dans les interstices d’une économie globale, néocoloniale et climatique. Interrogeant les fantasmes qui circulent dans l’esthétique postmoderne des architectures de pouvoir, des institutions économiques et du monde du travail, le scénario prend place dans un décor de bureaux vitrés et de patios tropicaux. Il se situe entre plusieurs grandes métropoles : depuis les quartiers bancaires de banlieue parisienne, jusque dans la région de Bangkok et Silom, son célèbre quartier des affaires. Une approche par les plantes, où l’on suit les mêmes espèces tropicales qui occupent ces lieux éloignés : des serres exotiques de bureaux ultra standing d’Ile-de-France, à la végétation géante qui pousse au pied des tours dans Silom. Le film traite des lieux climatiques de la finance mondiale par analogie végétale. Un travail sous forme de déplacement, vers un retour aux origines des espèces qui construisent la fantasmagorie des paradis fiscaux et des archipels “offshore“, où se dissimule la richesse.

Nicolas Roggy

Sans titres, 2020

Ma pratique de peinture s'inscrit dans une démarche de recherche que je déploie dans des cycles, au fil de périodes de production correspondant à des modalités techniques et esthétiques renouvelées. Depuis quelques mois, j'ai décidé et été contraint d'entamer une nouvelle phase d'adaptation de ma pratique à mon environnement, au sens large : je souhaite me réapproprier la question de la production, d'où, pour qui, pour quoi je produis. Je souhaite en cela sortir d'une écologie (économique, productiviste, systémique) qui me semble dysfonctionnelle.
Cette recherche en France et en Italie s’effectuera autour de deux axes:
- Découverte de la pratique picturale de Paolo Gilardi, auteur de nombreuses pochettes de disques pour des groupes de musiques extrêmes (Black Breath, Inquisition, Power Trip, etc.), au cours d'un séjour d'observation dans son atelier.
- Deux séjours pour étudier les répertoires de motifs décoratifs conservés dans les archives des imprimeurs historiques de Côme (Ratti, Montero, Clerici). Par la suite, je souhaite collaborer avec des des personnes dans l'industrie du textile et la gravure pour créer mes propres répertoires de formes.
Cette recherche s'envisage comme la confrontation et la surimpression de deux registres formels a priori contradictoires pour nourrir une pratique picturale que je mène depuis des années autour de la question du motif, du décoratif, de l'abstraction, de la superposition, des rapports entre avant-gardes, sous-cultures et industrie textile.

Benjamin Seror

Projet d’écriture et d’enregistrement d’une œuvre musicale (Sentimentale Disco)

Ce projet, Sentimentale Disco, consiste à produire un ensemble d’œuvres musicales dans un format entre la chanson et des formats dont le contour restera l’objet de cette recherche. Ce travail de production est divisé en deux temps, une phase de recherche, pour écrire et composer puis un second temps pour enregistrer et mixer ces morceaux musicaux pour les finaliser. C’est un travail nouveau pour moi, de considérer la musique hors de l’espace de la scène et de la performance comme j’ai pu le pratiquer ces dernières années, pour me concentrer ici sur le fait musical. Comment dire avec la musique, avec la voix et les instruments que je maîtrise un peu. Et surtout quelles sont ces histoires que la musique peut dire et que d’autres champs, d’autres espace de paroles ne peuvent pas dire si précisément. Les émotions jouent ici un rôle essentiel dans un angle mort des sciences sociales. Réfléchir comment les frissons et vagues de sentiments que la musique peut générer peut devenir un outil pour aider à dire les urgences du monde dans lequel nous vivons et faire de notre langage un outil pour affronter et parfois déjouer sa violence.

Tanguy Vanlaeys

CNC Type

À travers le sujet d’étude des polices de gravures (plus communément appelées Stroke Font ou SingleLine) et leur lien intrinsèque avec les machines-outils à commande numérique (MOCN), la recherche CNC Type amène à penser la typographie hors des domaines d’application habituels pour les amener vers ceux de l’usinage et du prototypage rapide.
Jusqu’à présent ce projet a été concrétisé par la définition d’un protocole de recherche inhérent aux contraintes de la méthode de fabrication du fraisage permettant de déterminer : des échelles de travail, des cadres d’utilisation,  des choix formels et leur optimisation.
Dans le cadre du dispositif de soutien à un projet artistique, les objectifs seront d’éprouver ce protocole en y intégrant de nouvelles formes typographiques et de nouvelles méthodes de fabrications (gravure, sculpture et découpe). Il s'agira ensuite d’en étudier les résultats pour en déduire des pistes de stabilisation et de déploiement dans une famille de caractères.

Nicolas Verschaeve

Outil de conversation

L’Atelier Escales est un studio de design mobile dont la démarche est de réaliser des projets en immersion, collaborant avec les savoir-faire inhérents à un territoire. Après une première escale au pays-basque, l’atelier traversera la France et posera son ancre en Moselle. Ce second projet intitulé outil de conversation entend interroger « l’après apogée » de la manufacture verrière du CIAV de Meisenthal au cours du siècle dernier, et son histoire marquée par la production de masse d’objets d’art de la table. Face à l’évolution de l’activité de la manufacture et de son positionnement orienté vers une production moins industrielle, comment continuer à donner sens à cet héritage technique ? Comment convoquer l’histoire tout en continuant à faire évoluer les savoir-faire dans un contexte contemporain ? Le projet questionne la production d’objets en série et les outils qui y sont liés. Le moule est par essence l’outil qui reproduit, répète et fige les formes mais aussi le savoir-faire. Générant habituellement une forme définie, il est ici déconstruit, divisé en plusieurs strates interchangeables pour faire d’un outil de duplication un outil de recherche. Cet outil de conversation ouvre un dialogue entre l’artisan et le designer, et rend poreuses les frontières entre conception et production. Partir d’une matrice réglée, déconstruire et reconstruire devient un moyen d’ouvrir le champ des possibles : à partir d’un seul moule, générer un répertoire de formes variées à l’origine de différentes typologies d’objets.

Charles Villa

Image bleue

« Image bleue » est un projet de recherche portant sur le processus de décoloration des encres d’impression. J’ai observé dans les vitrines de certains commerces des images bleues, quasiment monochromes. Exposées aux rayons ultra-violets du soleil pendant un certain temps, les différentes couches d’encre qui constituent une image (plus particulièrement le magenta, le jaune et le noir) s’effacent pour finalement ne laisser apparaître que la couche de cyan. Le plus souvent il s’agit de portraits de salon de coiffure, de publicités pour des produits pharmaceutiques ou alimentaires, de modes d’emploi d’objets industriels… Ces affiches offrent une grande diversité de sujets et évoquent ainsi nos modes de vie et de consommation. Leurs couleurs altérées par le temps interrogent les usages et le devenir des images que nous produisons. Elles m’intéressent car plusieurs années d’exposition au soleil les ont rendues singulières. Elles sont ce que l’on nommerait en architecture, des ruines ou peut-être au contraire, des Blue Prints. En collectant ces images disponibles dans l’espace public, je souhaite créer le matériau qui me servira à la production d’un travail graphique explorant ce processus de décoloration.

Dernière mise à jour le 30 juin 2022