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Exposition
Arts plastiques
Wharf-Centre d'art contemporain de Basse-Normandie - 14200 Hérouville-Saint-Clair

Cette exposition que l’on pourrait qualifier de méta artistique - au sens où l’art y est abordé en tant qu’objet de réflexion - articule deux grands ensembles de travaux dont la plupart ont été réalisés spécialement pour l’occasion. Jouant avec les références, les signes et les codes culturels, Isabelle Le Minh opère par associations d’idées, recoupements et rapprochements pour élaborer des œuvres polysémiques qui glissent parfois vers une certaine mélancolie ou nous invitent au contraire à une plongée décapante dans l’absurde. De nature relativement conceptuelle, certaines de ces œuvres sont marquées par la prégnance des mots qui se donnent à voir comme des éléments visuels - images ou objets - tandis que d’autres convoquent des procédures de classement pour lesquelles l’artiste, qui fut aussi chercheuse dans la propriété industrielle, avoue « une addiction maniaque et un brin déjantée ».

Complément d'information

Cette exposition que l’on pourrait qualifier de méta artistique - au sens où l’art y est abordé en tant qu’objet de réflexion - articule deux grands ensembles de travaux dont la plupart ont été réalisés spécialement pour l’occasion. Jouant avec les références, les signes et les codes culturels, Isabelle Le Minh opère par associations d’idées, recoupements et rapprochements pour élaborer des œuvres polysémiques qui glissent parfois vers une certaine mélancolie ou nous invitent au contraire à une plongée décapante dans l’absurde. De nature relativement conceptuelle, certaines de ces oeuvres sont marquées par la prégnance des mots qui se donnent à voir comme des éléments visuels - images ou objets - tandis que d’autres convoquent des procédures de classement pour lesquelles l’artiste, qui fut aussi chercheuse dans la propriété industrielle, avoue « une addiction maniaque et un brin déjantée ».

Dans son travail photographique antérieur, Isabelle Le Minh s’est toujours attachée à montrer la face cachée des choses en élaborant des formes plastiques fortes en lien étroit avec l’histoire de l’art, motivée avant tout par le désir de faire sens et de “donner à penser“. Sa démarche a atteint son paroxysme avec la série Tableaux (2003) où elle a photographié à l’échelle 1 le revers de peintures de Maîtres accompagnées de leurs cartels. Cette série, présentée également dans l’exposition, marque un changement d’orientation radical dans son travail puisque dès lors, elle décide de ne plus vouloir faire d’image et « de tout se permettre», affirmant un intérêt croissant pour l’écriture et les références linguistiques.

Sous le titre générique After Photography se dessine un projet dont le nom fait référence aux pratiques post-modernes de la citation mais aussi au florilège d’expositions et de publications récentes laissant justement entendre que nous serions entrés dans l’ère d’un “après“ de la photographie. La règle que s’est fixé Isabelle Le Minh est que chaque travail constitutif de ce corpus se réfère à un artiste qui a compté dans son parcours et dont l’œuvre serait prétexte à une spéculation sur la nature de l’image, les outils et les moyens de production de la photographie, son histoire, son iconographie ou son fonds canonique.

La peinture Words of light (After Robert Frank) inaugure cet ensemble. Isabelle Le Minh rend un hommage poétique au photographe éponyme en réactivant une photographie emblématique de son oeuvre en ce qu’elle souligne l’importance des mots et du langage. Lorsque ce petit tableau cesse d’être éclairé, le mot WORDS apparaît en lettres phosphorescentes tandis que l’image disparaît dans la pénombre, rejouant ainsi l’un des phénomènes les plus merveilleux de la photographie argentique : la révélation de l’image latente. Words of light n’est d’ailleurs rien moins que la formule trouvée par Fox Talbot – l’un des pionniers de la photographie - pour définir son invention : CQFD.

Just an illusion (After Ed Ruscha) se réfère aux Word Paintings, séries de mots peints et sérigraphiés par cet artiste dans les années soixante; les lettres ont été formées avec de la pellicule vierge développée dans les règles de l’art, puis mises en forme comme une sculpture. Il n’y a rien sur le film, sinon la potentialité d’une image à venir que chacun peut imaginer; il n’y a rien sur la photographie, sinon des bouts de films vierges qui nous disent que tout cela n’est qu’une illusion. À chacun de conclure !

Dans la continuité de la série Tableaux, Re-play (After Christian Marclay) rejoue une installation où l’artiste a épinglé des milliers de photographies de famille face au mur, à la différence près qu’Isabelle Le Minh s’en sert comme des éléments d’un nuancier – chaque image étant associée à un niveau de gris – pour faire advenir une image-mot. On peut y voir une injonction tout autant qu’une interrogation : notre désir de vouloir toujours plus d’images ne serait-il rien d’autre qu’une forme contemporaine de la Vanité?





Jouant sur un registre plus iconoclaste, la série Trop tôt, trop tard (After Henri Cartier-Bresson) relève presque de la farce. À l’heure où Photoshop permet de rattraper n’importe quel ratage, il peut sembler relativement obsolète d’aborder la photographie en passant par les figures imposées de l’instant décisif, de la composition équilibrée et du liseré noir sur le tirage qui caractérisent le grand Maître. Comme pour en faire la preuve par l’absurde, Isabelle Le Minh a gommé tout ce qui atteste d’un instant décisif sur une sélection de photographies, nous livrant une lecture inédite de l’œuvre. Instaurant un autre rapport au temps, le résultat met en évidence un choix de configurations topographiques associées à des points de vue très particuliers et reconstitue une vision fragmentaire de l’univers du photographe, marqué d’une étrange solitude…

Dans la seconde partie de l’exposition, il est toujours question d’images, mais l’enjeu est cette fois la figure centrale de l’artiste. Se plaçant sur un territoire proche de la sociologie, Isabelle Le Minh opère avec une approche faussement scientifique pour poser un regard ironique sur la manière dont ce dernier est représenté dans la société actuelle, et par le monde de l’art contemporain en particulier.

Partant de l’hypothèse qu’il y aurait des manières de poser ou d’être pris en photographie propres aux artistes, elle a soigneusement sélectionné près d’un millier de clichés issus de monographies ou de catalogues d’exposition qu’elle a ensuite classé en différentes catégories. Compilées sous la forme du diaporama This is the artist, les images s’enchaînent en fonction d’analogies visuelles, convoquant parfois des éléments de narration et invitant le spectateur à toutes sortes d’interprétations ; si les thèmes de l’enfance, du miroir, du double, du masque ou du sommeil sont récurrents, c’est sans doute qu’il existe des liens étroits entre l’art et la psychanalyse. Si l’artiste se confond visuellement avec son oeuvre, c’est aussi probablement parce que tout le monde attend de lui une identification totale avec le travail. D’autres constats sont plus surprenants : ainsi, aucun artiste ne pose avec 13 amis ! Et lorsqu’un peintre se tient à côté de ses toiles abstraites, il semble qu’une règle mystérieuse exige qu’il y ait d’autant plus de tableaux sur la photo que sa peinture est bigarrée… De manière plus anecdotique, on peut conclure que les artistes préfèrent les brunes, aiment bien les chats, que Christo adore montrer du doigt, que Maria Lassnig adopte les poses les plus surprenantes et que Plessi ne peut s’empêcher d’imiter Richter.

Ce travail taxinomique trouve un prolongement encore plus ironique dans Listing. Entre inventaire à la Prévert et énumération borgésienne, ce classement d’artistes en plus de 5000 catégories est né dans une bibliothèque d’école d’art à partir de plusieurs constats. D’une part, il y a aujourd’hui tellement d’artistes, qu’il devient impossible de mémoriser tous leurs noms ; même dans les milieux avertis, on tend à les nommer en expliquant en quelques mots, le plus souvent par approximations successives, ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils font, et cela d’autant plus que les productions actuelles sont plutôt centrées sur l’objet. En outre, beaucoup d’artistes développent des idées similaires, produisent des œuvres plastiquement proches, recourent à la citation, à l’emprunt ou laissent tout simplement un sentiment de déjà-vu sans qu’il soit nécessairement question de plagiat ou de procédure d’appropriation. Initiée en 2005 avec la complicité de Catherine Schwartz, cette liste a été ensuite alimentée de manière compulsive et obsessionnelle par Isabelle Le Minh et n’est toujours pas “arrêtée“. Procédant le plus souvent par association d’idées, avec pour seule logique de ne pas en avoir, cette dernière s’est livrée avec jubilation à un véritable travail d’écriture qui dans son interminable déroulement prend parfois des allures de “ marabout de ficelle“ - avec certes de belles perles mais aussi d’inévitables plages d’ennui. Si elle se plaît à révéler des ressemblances entre les oeuvres, des filiations, des collusions, des lieux communs, Isabelle Le Minh cite aussi des anecdotes à propos des artistes, découvre des cas d’homonymie insoupçonnés ou s’amuse de jeux de mots triviaux. Au-delà de son utilité potentielle pour tous ceux et celles qui cherchent des références ou des moyens mnémotechniques pour se souvenir du nom d’un artiste, cet inventaire constitue finalement une sorte de photographie panoramique de la création contemporaine et propose de surcroît une entrée dans l’art par “la petite histoire“. En le re-présentant sous la forme d’une montagne de listings crachés en continu par une imprimante à impact surplombée d’un néon, Isabelle Le Minh ne fait que souligner l’absurdité de son entreprise comme de toute tentative qui viserait à réduire un travail artistique à une simple définition.

Le parcours se conclut avec WOR(L)DS, un mobile inspiré par la célèbre animation 3D qui apparaît en ouverture de tous les films de la société Pathé. Cette sculpture pop - qui réalise la gageure de donner une matérialité à un objet qui n’a d’existence que virtuelle - apparaît comme une métaphore de ce que pourrait être l’essence même du cinéma : des mots, des ombres projetées… la représentation d’un monde, mais pas tout à fait le monde.

Luan Sturhahn

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Wharf-Centre d'art contemporain de Basse-Normandie - 14200 7, passage de la poste B.P. 59 14200 Hérouville-Saint-Clair France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020