Slime of Time — Mel O'Callaghan

Exposition
Arts plastiques
Galerie Allen Paris 03
Exhibition view Slime of Time

DES GESTES, DES RÉSONANCES


En 2016, en écrivant un essai au sujet des peintures de Mel O’Callaghan, j’ai perçu comme une tentative d’examen de cette forme de résistance propre à l’être humain quand il est confronté au sentiment de la perte.

Ces peintures, les premières de cette série, nous mettent face à une exploration sensible et assidue des rouages sous-jacents à cet élan de résistance, tout en cherchant à en déterminer les causes. L’action qui préfigure cette résistance repose sur la possibilité même de nous confronter à l’absurde, dont la nature énigmatique nous est incompréhensible en tant que pure contingence du vécu. Mais ce qui nous paraît absurde dans cette œuvre trouve son origine dans son enveloppe charnelle, sa peau, dans l’immédiateté d’une apparition et, au sein d’œuvres plus récentes, dans l’avènement d’une expérience subjective,
dans l’écho d’une réverbération.

De cette manière, le deuil correspond à une transmutation, au passage d’un état à l’autre, où la matière se meut à travers l’espace et se reforme, en changeant les contours d’un territoire psychologique, métaphysique et presque magmatique. Pourtant, parmi tous ces niveaux, un effort de résistance reste à l’œuvre, conservant ses qualités intrinsèques, comme s’il mettait à l’épreuve un perpétuel retour à lui-même. Nietzsche, dans un chapitre d’Ainsi parlait Zarathoustra1, a établi un lien entre ce que l’on voit et ce que notre imagination projette en deçà ; la surface qui se révèle restant bien distincte du mot qui pourrait la désigner. Dans cette optique, les œuvres d’O’Callaghan ouvrent des perspectives de pensée et de recherche à travers lesquelles l’artiste établit des liens — et non un
récit — entre différentes typologies de résistance. À cet égard, son processus de travail a su évoluer et ses recherches ont débouché sur une approche plus performative qui lui permet d’élargir le cadre d’exploration du concept de corporéité.

O’Callaghan entrecroise des références et des modèles de connaissance variés, allant de la littérature à la recherche scientifique, en passant par le souvenir de l’expérience sensible de ses propres créations, pour créer des structures poétiques qui mettent en œuvre des formes de communication non verbale, de l’empathie associée à la vibration moléculaire aux sons générés par l’activité tectonique issue des profondeurs de l’océan Pacifique, comme en atteste la dimension sculpturale de ses peintures les plus récentes. Cet autre aspect de son travail, qui ne fait pas l’abandon de la notion de résistance évoquée plus haut, inaugure une reconfiguration visuelle de ses œuvres, en posant les bases d’une approche ludique à travers de nouvelles textures et des tableaux traversés par différentes couches à la fois profondes et quasi-membraneuse. À l’intérieur de ce nouveau réseau de relations esthétiques et phénoménologiques, le son est un matériau qui, en plus de façonner l’espace, s’affirme comme une entité physique avec deux œuvres singulières, deux diapasons de verre qui, lorsqu’ils sont frappés, émettent une onde sonore correspondant à une fréquence de 200 Hertz. Cette note de musique nous renvoie à quelque chose de divin dans la compréhension et l’empathie qui unissent les corps quand ils entrent en résonance mutuelle. En tant qu’une des formes d’art
les plus intimement liées au geste, la peinture introduit ainsi dans cette exposition une spiritualité qui lui est propre même si cette dernière s’inscrit dans le contexte d’une série de mouvements et d’actions qui en semblent éloignés — alors qu’ils lui appartiennent bel et bien. Mel O’Callaghan convoque ici un nouveau paradigme de l’expérience combinant matériaux sensibles et transitions poétiques, ce qui n’est pas sans rappeler l’approche de Clarice Lispector2, l’une de ses écrivainesf avorites : «Mais je percevais une première rumeur, tel un cœur battant sous la terre. Calme, je collais mon oreille à la terre et
j’entendais l’été frayer sa voie à l’intérieur et mon cœur sous la terre [...]».


Pour en revenir aux thèmes de la résistance et de la permanence, ils se retrouvent ici perpétuellement mis en relation, transmutés par la prédominance d’une couleur qui sait entrer en résonance avec notre regard, quelque chose à la limite de l’absurde mais qui demeure indicible.

Adresse

Galerie Allen 6, passage Sainte-Avoye 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 10 novembre 2022