Sara MacKillop, custom binding

Exposition
Arts plastiques
Florence Loewy Paris 03
Crayon de papier scanné, déformé et imprimé sur une double page

« You see it’s like a portmanteau — there are two meanings packed into one word »
Lewis Carroll, Alice Through the Looking-Glass

Quand en français on fait référence à la belle invention de Lewis Carroll qu’est le« mot-valise », on entend surtout « mot » et moins « valise », ce qui est  bien normal puisque, né dans un livre, le mot-valise désigne d’autres mots tandis que la valise, dans ce cas, n’est qu’une image. Si le mot était né dans une valise, il en irait peut-être autrement. Les oeuvres de Sara MacKillop donnent envie de prendre l’hypothèse au mot, enfin, au sérieux (en terrain lewissien n’y est-on pas autorisé?), tant le rapport du contenant et du contenu, et puis également ceux de l’outil et de la réalisation, du pérenne et du jetable, y sont renversés d’une multiplicité de manière qu’elle invente avec, comme valise signifiante, un leitmotiv matériel… le papier (1). Evidemment ce sont tout d’abord ses Book-Bag-Books qui suggèrent l’idée de valise à mots, dans une circularité digne d’Un Thé chez les fous (pour revenir à Alice).

Fermé, le Book semble n’être qu’un Bag, sous la forme d’un rectangle de papier monochrome, orange, jaune, rose ou bleu, complété par des poignées en papier ou ficelles, à saisir prestement pour partir en shopping. Mais halte-là, surtout pas! Le sac est déjà plein. À l’intérieur, lorsqu’on le déploie, comme on ouvrirait un livre, on découvre des pages elles-mêmes constituées de sacs de courses en papier, de formats et de provenances différentes, créant un effet de surprise à la manière des livres pop-up. Acquis en faisant des achats, trouvés dans la rue ou fabriqués par l’artiste (par exemple les sacs confectionnés en pages de calendriers), les sacs sont savamment assemblés, affichant parfois quelques mots qui n’ont pas forcément besoin d’être lus, des mots qui sont juste là (las?), des mots qui en tout cas n’attirent pas l’attention au point de faire oublier la matérialité du livre… dans une pratique de custom binding, comme le suggère le titre de l’exposition. Et on se situe bel et bien au cœur de l’un des grands champs d’exploration du livre d’artiste, autour de ses qualités visuelles et tactiles, potentiellement sculpturales. Qu’est-ce qu’un livre au fond ? Un être de papier, plus ou moins en volume, épais, doux, cartonné, coloré, recyclé, savamment plié assemblé ou relié, qui en cela s’apparente à d’autres choses, parmi lesquelles, donc, les shopping bags en papier qui prolifèrent. À cette restriction près qu’au lieu de« choses », il faudrait éventuellement, en suivant le vocable utilisé par Vilém Flusser, appeler ces derniers des « non-choses », catégorie que le philosophe nomme aussi « trucs idiots », dans le sens où « on croit pouvoir les mépriser ». Alors que le livre reste une « chose », car il bénéficie d’une certaine estime (2). Les Book-Bag-Books de Sara MacKillop pourraient par conséquent être pensés comme des « choses-non-choses-choses », se repliant l’une sur l’autre, afin de faire parler l’une par le biais de l’autre, en écho à la stratégie de Barbara Kruger, tout particulièrement dans son affiche I shop therefore I am (une sorte de « statement-shopping-statement », pour ainsi dire).

À cette première série d’œuvres, répondent dans l’accrochage de l’exposition quelques impressions sur papier et tissu réalisées à partir de photographies de crayons à papier colorés que l’artiste achète notamment dans les boutiques-souvenirs des musées. Réminiscence artistique incarnée en gadget, mi-outil mi-accessoire, soit une nouvelle occurrence des « trucs idiots » de Flusser, ces crayons servent à créer des œuvres qui elles aussi se mordent en partie la queue. Car le crayon est censé permettre dessiner et faire de l’art, mais dans le cas présent l’art est déjà dessiné sur le crayon. C’est ainsi que, retravaillée et répétée numériquement, l’image du crayon et de ses motifs décoratifs devient le motif de la composition, un motif ready-made en somme. Mais s’il n’en était qu’ainsi, ce serait trop facile, la vie serait trop belle. Sara MacKillop raconte que lorsqu’elle travaillait sur ses images de crayons, elle a entendu à la radio une lecture de la nouvelle de Charlotte Perkins Gilman The Yellow Wallpaper. L’histoire raconte la vie d’une femme enfermée dans une chambre par son mari. Tout ce qu’elle souhaite, c’est un crayon et du papier, pour écrire, mais lui, le lui interdit. Alors, condamnée à ne rien faire, elle observe les motifs d’un vieux papier peint délabré jusqu’à basculer dans la folie. Le labyrinthe que tracent les images répétées des crayons rappelle l’espace sans issues de ce papier peint, un custom binding dans le sens cette fois-ci d’entraves, dont il faut arriver à se libérer.

Vanessa Morisset

1. Les œuvres de Sara MacKillop sont très souvent en lien avec le papier, dans sa matérialité et ses différents usages, par exemple le papier cadeau ou les jaquettes des livres.
2. Vilém Flusser, « Choses de mon environnement », in Choses et non-choses. Esquisses phénoménologiques, publié en allemand en 1993, traduit en français en 1996, aux éditions Jacqueline Chambon.

Artistes

Horaires

14h-19h

Adresse

Florence Loewy 9-11 rue de Thorigny 75003 Paris 03 France

Comment s'y rendre

9-11 rue de Thorigny

75003 Paris 

Métro : Arts et Métiers / Saint-Sebastien de Froissart

Dernière mise à jour le 4 février 2023