Que Devons Nous Y Faire

Côme Clérino
Exposition
Arts plastiques
GALERIE CHLOE SALGADO Paris 03
Vue de l'exposition Que Devons Nous Y Faire, Côme Clérino, 2019, GALERIE CHLOE SALGADO

« Elles semblent bien loin ses heures de gloire, lorsque tout le monde la regardait en contre-plongée. Depuis toujours, elle était sur son châssis, bien accrochée contre le mur. À croire que cela ennuyait Côme Clérino. Car l’artiste a décidé de la faire dégouliner jusqu’au sol. Cette peinture — car oui, c’en est une — est désormais amorphe dans le coin de la GALERIE CHLOE SALGADO. Accoudée contre deux murs, elle semble un peu endolorie. En fait, plus qu’assoupie, elle transite entre deux états. Car si Côme Clérino se définit fondamentalement comme un artiste-peintre, loin de lui l’envie de rester cantonné à la simple planitude des toiles. Ce qui l’enthousiasme c’est de confronter entre eux les médiums, les formats et les pratiques. L’artiste met ainsi la peinture en mouvement et avec, les visiteur.ses. Car rien n’est envisageable sans la collaboration de celui ou celle qui découvrira l’exposition. Il nous faut nous prêter au jeu et pénétrer dans le second espace de la galerie comme dans un univers inconnu, comme dans le salon d’un étranger.

Ici, la lumière est clairsemée dans l’espace. Seuls quelques rayons tentent avec difficulté de quitter leur résine. Cette simple veilleuse guidera désormais nos pas, nous laissant deviner les couleurs tantôt mates, tantôt irisées des formes qui se révoltent au centre de l’espace. Sorte d’extravagance picturale, métamorphose de ce qui était anciennement placé au mur, une architecture bossue se dresse devant nous. Tout semble étrange. Pourtant, ces objets nous sont plus familiers que jamais. Côme Clérino, a en effet parsemé son exposition d’objets communs à la plupart de nos intérieurs. Il y a ici une plante, là-bas un miroir, des tableaux sont accrochés aux murs, enfin, une table et ses assises attendent au centre de la pièce que l’on vienne les occuper. Mais rien y fait, ces objets semblent se jouer de nous. Seule une interaction silencieuse pourra par exemple avoir lieu autour de cette causeuse, car converser viendrait rendre impossible la lecture du texte d’Anna Ternon que l’artiste a glissé dans le meuble. Ici encore, les plantes réalisées par Victor Levai se brisent, elles sont en céramique et tentent vainement de croître dans leur vase de cire. Vous ne rattraperez pas davantage le réel en cherchant votre reflet dans le miroir, celui-ci est déformé, presque insaisissable, comme égaré dans un espace-temps inédit.

Le travail de Côme Clérino n’est pas un simple stimulateur de rétines. Bien sûr, la boulimie de formes et de couleurs avec laquelle il travaille ne les laisseront jamais indifférentes. Mais ici plus que d’envouter nos visions, l’artiste propose un environnement total qu’il est nécessaire d’intégrer si l’on souhaite en saisir la substance. Ne pas se prêter au jeu, c’est risquer de passer à côté de l’expérience qui nous est proposée. Dès lors que nous aurons décidé d’être actifs dans cette exposition, dès lors que nous aurons réussi à nous réapproprier sincèrement l’espace, les fantasmes pourront s’immiscer entre les pièces et nos personnes. Alors, un monde étonnant, un monde un tant soit peu déformé en comparaison à nos univers quotidiens s’offrira à nous. Et comme à la lecture d’un bon roman — ceux dont l’auteur.rice laisse suffisamment d’espace aux lecteur.rices pour s’épanouir dans ses propres songes, sans être parasité.es par de grossières descriptions infantilisantes — nous pourrons nous épanouir dans l’espace. Un nombre incalculable de questions pourront dès lors germer en nos esprits : qu’ont pu voir ces objets avant mon arrivée ? Qui donc a pu occuper l’espace qui se meut devant moi ? Et que dois-je maintenant y faire ? »

Camille Bardin

Adresse

GALERIE CHLOE SALGADO 61, rue de Saintonge 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 11 janvier 2023