Pilar Albarracín El origen del nuevo mundo

Gustave Courbet a peint L’origine du monde comme un universel du désir. La topographie de l’érotique féminin s’élève du mont de Vénus avec un réalisme qui n’avait pas été capturé auparavant par le regard artistique. De l’admiration au scandale, regarder ce tableau était en soi, au même titre que le cacher, une totalité factuelle. Un tableau dont l’histoire sociale est emplie d’occultations sous d’autres tableaux. Un secret lié à l’absence de nom et à l’imposition du titre actuel, L’origine du monde, au début du XXe siècle, lorsque les dispositifs qui allaient transformer la sexualité en un pouvoir essentiel sur les corps érigea le sexe en secret suprême. L’exposition tardive de ce tableau au Musée d’Orsay en 1995 accrut son caractère mythique. Les expériences esthétiques des spectateurs requéraient, apparemment, attention et surveillance en raison de la « dureté » d’une vulve qui occupait un espace sans visage ni identification.

Pour la plupart des féministes, l’exposition de la génitalité féminine provoque rejet ou désir car elle rompt avec la norme de ce qui ne doit pas être vu. C’est la raison pour laquelle de nombreuses artistes ont multiplié les œuvres rendant visibles le vagin et la vulve afin de transgresser ou de transformer la société. L’œuvre de Pilar Albarracín rompt la triangulation des désirs pour appeler les objets intimes, quotidiens, qui occultent notre sexe, comme l’ont fait tant de tableaux superposés à L’origine du monde. Dans sa recréation d’une nouvelle origine, d’un nouveau monde, elle provoque toute une gamme de conséquences subtiles. Remplir un espace de culottes perturbe et provoque un changement dans le regard. Les femmes qui parlent de leurs culottes rompent le silence imposé sur « le plus intime », dans une re-signification de ce qu’elles sont et de ce qu’elles ont porté. Leurs culottes, les culottes de chacune d’entre elles, ont une histoire sociale et individuelle qui leur est propre. Elles s’éloignent d’une sexualité imposée pour réclamer leur droit à être recyclées, à être transformées en œuvre d’art. Situées à un même niveau qui, en plus, s’élève vers le sacré, les culottes-mandala sont à l’origine d’un nouveau principe dans lequel la solitude des femmes et des corps n’est plus douloureuse. Face au secret d’une femme unique et universelle présentée ouverte, les culottes reflètent la diversité des femmes, de leurs corps, leurs goûts, leurs décisions. La circularité en tant que symbole rejette la ligne entrouverte de la vulve. Les couleurs se rebellent contre les dichotomies des genres. Chaque forme, chaque choix d’une gamme chromatique est l’expérience anonyme, les désirs jouis ou oubliés. La spirale constante de l’œuvre El origen del nuevo mundo (L’origine du nouveau monde) ne se trouve plus à la surface des choses mais dans la profondeur éternelle de l’infini.

La confiance entre ce qui est donné et ce qui est reçu établit une sororité formelle qui unit et revendique le rôle des femmes. La force de l’enjeu de ce qui est représenté est une métaphore distincte de la métonymie au moyen de laquelle les culottes deviennent fétichisme. Cette transition du quotidien au sacré, où le visible et l’invisible ne sont plus érotisés, bouleverse l’ordre entre l’érection des yeux et le sens du signifiant. Les mandalas synthétisent la nature de ce qui est observé et la multiplicité de ses parties. L’unité se situe au centre dans une composition qui exige de la métrique. Ce n’est plus seulement la valeur de l’objet en lui-même qui émeut, mais les expériences agglutinées au fil du temps. Il a été nécessaire de classer et regrouper les culottes et de délimiter les compositions appropriées. Le fait qu’elles soient cousues met l’accent sur une autre des revendications constantes de l’art chez Pilar Albarracín : les techniques de couture et de broderie comme technologies féminines.

Assumpta Sabuco i Cantó