PHILIPPE LALEU Private location ou ses doigts bruns élégants

L’artiste présente à Synesthésie un ensemble de photographies et de vidéos ainsi qu’une sculpture mêlant « art toy », produit manufacturé et artisanat, un "Lapin déguisé en renard". Par des jeux d’échelles et de formats, ces ensembles créent une circulation étonnante faite d’allers-retours de sens, de points de vues, de temporalités et de mouvements. Ces perturbations sont l’occasion pour le visiteur d’expérimenter et d’occuper d’une autre manière le nouvel espace de Synesthésie. À travers des œuvres souvent autobiographiques et issues d’instants et d’instincts du quotidien, Philippe Laleu offre une vision personnelle de l’Asie où clichés, exotismes, pudeur et poésie s’y entremêlent subtilement. La performance filmée "Mais qu’est-ce que tu fais là ?", créée pour la Biennale de Pusan 2008, en Corée du Sud, montre l’artiste dans la pénombre filmant son reflet dans un miroir. La phrase "Mais qu’est-ce que tu fais là ?" est répétée crescendo sur fond de musique pop’. La présence fantomatique de l’artiste répétant cette litanie jusqu’à épuisement révèle une atmosphère paradoxalement angoissante et extatique. En parallèle, un ensemble de trois vidéos est présenté dans un salon intimiste et cosy où se déroulent des rencontres improbables et inattendues. "Ses doigts bruns élégants", est une adaptation singulière de "La Nuit juste avant les forêts", monologue d’une seule et même phrase, sans ponctuation ni interruption de Bernard-Marie Koltès. Un jeune homme asiatique torse nu, statique sur un fond bleu délavé, en lit un extrait. L’attitude nonchalante de l’acteur et la mise à distance opérée par le plan fixe vient à la fois contredire et renforcer le texte initial, critique acerbe d’une société de violence et d’inégalités. "Ce couple est un monstre" montre deux hommes en slip blanc dansant dans un appartement avec pour fond sonore une réinterprétation de "Bambino" par le célèbre chanteur algérien, Lili Boniche. Le cadrage, le jeu des couleurs et la lumière franche confèrent à la scène une beauté gracieuse et spontanée. Cette grâce se retrouve dans "A blind love song", où une femme non-voyante chante en karaoké le tube kitsch du moment. Le regard empathique porté sur cette femme au visage candide et à la présence douce rend ce moment, aux apparences anodines, des plus touchants. Enfin, l’ensemble de photographies, toutes réalisées au Japon et en Thaïlande se compose de petites séries de documents d’archives, de photographies autobiographiques, de paysages, de scène de l’intime où les clichés sociaux, les marginalités assumées et les troubles identitaires sont abordés sans voyeurisme ni exubérance.