Perplexe

Perplexes, nous le sommes tous face à la créativité des autres. Mais nous le sommes d’autant plus lorsque notre propre potentiel de créer est stimulé. Ce constat est le point de départ pour le projet Orange Rouge, depuis maintenant cinq ans. Orange Rouge mène une opération unique en France : inviter des artistes très actifs dans le circuit artistique à créer une œuvre avec des adolescents en difficulté au collège.
Les onze artistes ici présents ont en effet accepté de déléguer une partie de leur processus de création aux adolescents. Tout d’abord, ils ont présenté leur univers, chacun à sa façon, à travers des visites au Louvre, par exemple, (Anne-Laure Sacriste avec l’Ulis du collège Victor Hugo, Cachan) ou au Musée des Plans-Reliefs (Marie-Jeanne Hoffner avec l’Ulis du collège Albert Camus, Rosny-sous-Bois), ou encore à un atelier de sérigraphie (Valérie du Chéné avec l’Ulis du collège Lamartine, Paris 9)... Certains on préféré stimuler une sensibilité peu explorée par la pédagogie scolaire comme la structure narrative de la bande dessinée (Erwann Terrier avec l’Ulis du collège Yvonne Le Tac, Paris 18) ou encore le « dessin » que fait le son (Diogo Pimentão avec l’Ulis du collège Elsa Triolet, Varennes-sur-Seine).
L’œuvre d’art - ou l’expérience de l’art -, parle de notre quotidien et des lignes invisibles qui le font tenir dans son unité. « L’art », disait Robert Filliou, « est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». C’est à ce stade que l’artiste peut, à son tour, être en proie à la perplexité. Après avoir installé un univers de production, il est confronté à la créativité de ces jeunes qui lui fournissent des idées et du contenu. Ainsi Valérie du Chéné a recueilli le propos des jeunes étudiants sur la couleur ; Lucie Chaumont, avec l’Ulis du collège Pierre Alviset, Paris 5, a renversé des gestes répétitifs et destructeurs en actes de recyclage ; Blanca Casas-Brullet a redécouvert des trames de cahier d’écolier transfigurées et interprétées à travers les propositions de l’Ulis du collègeJoséphine Baker, Saint-Ouen ; Benjamin Hochart a réinvesti ses répertoires de formes et de gestes auxquels ils s’astreint depuis longtemps avec les dessin à l’aveugle de l’Ulis du collège Jean-Baptiste Clément, Dugny ; Clédat & Petitpierre ont mis en place, avec l’Ulis du collège Le Parc, Alunay-sous-Bois, une représentation autre du corps individuel, redécouverte, aussi, de celui des autres ; Marine Pagès a mis en place un véritable repérage, dans le quartier de la Courneuve, d’éléments d’architecture.
Bref, Orange Rouge est une formule renversée de libertés et de contraintes, qui place chaque acteur de ce processus - étudiant, artiste, professeur, commissaire d’exposition, institution, coordinateurs - dans un état productif de perplexité. Néanmoins, c’est l’échange entre l’expression de l’artiste et une autre, plus enfouie, peut être moins explorée, de jeunes en épanouissement qui est le moteur de ce projet, dont on imagine aisément la dérive poétique sur le radeau- oasis de Julien Berthier, créé avec l’Ulis du collège Jacques Prévert, Paris 6.
Joana Neves, juillet 2011(commissaire invitée 2010 - 2011)