Paule Palacios-Dalens

Paule Palacios-Dalens présente son projet de recherche
Journée d'études sur l’actualité de la recherche en design graphique et en typographie
Cnap, 2016

Recherches

Jean-Luc Godard, le graphiste à la caméra.
Typographie, montage et mise en page.
Genèse et généalogie d’un savoir-faire.

La présence extrêmement diverse de l’écrit dans les films de Jean-Luc Godard, quoique souvent commentée, relève d’une mise en forme graphique et typographique très élaborée qui n’a pas, jusqu’ici, fait l’objet d’une attention particulière.

Génériques, spots publicitaires, bandes-annonces, numéros spéciaux et parfois dossiers de presse portent la marque de Godard même si sa signature ne l’atteste pas toujours formellement. Imprimés ou filmés, ces objets graphiques surprennent autant par leur fréquence que par leur audace formelle, relevant d’une pratique et d’un savoir-faire atypiques dans le cinéma. Dans cet art du prélèvement, fait de collages et de citations, et cette orchestration des mots, le cinéaste se fait graphiste, métier qu’il endosse totalement sans rien en déléguer. Aussi peut-on s’interroger sur cette pratique si récurrente chez le cinéaste. Comment la situer parmi ses pairs du cinéma et ses contemporains des arts graphiques ? Dans cette approche singulière, qu’est-ce qui distingue l’œuvre du cinéaste par rapport à d’autres auteurs pour qui la production d’imprimés a été significative ? Pour le cinéma, notre choix s’est porté sur Guy Debord, Marguerite Duras, Sacha Guitry et Chris Marker, en ce qu’ils éclairent chacun des rapports très distincts à l’imprimé, à la mise en forme graphique ou à l’objet livre.

L’identification des caractères présents dans ses films permet de dégager plusieurs récurrences et de constituer des séries. On peut ainsi distinguer deux périodes principales caractérisées par leur unité typographique : la période Antique Olive, du nom du caractère dessiné par Roger Excoffon (Pierrot le fou [1965] ; Masculin féminin [1966] ; La Chinoise [1967] ; Week-end [1967]) et la période suisse pour son usage du caractère Helvetica ou Univers (Helvetica : Alphaville [1965] ; Sauve qui peut la (vie) [1980] ; Prénom Carmen [1983] ; Je vous salue Marie [1984] ; Détective [1985] ; Métamorphojean séries 2 et 3 [1990] ;  Hélas pour moi [1993] ; For ever Mozart  [1996]; Histoire(s) du cinéma  [1988-1998] ; Film socialisme  [2010] ;  Univers : Soigne ta droite [1987]). Ce relevé significatif nous a permis d’amorcer une généalogie des influences, parfois réciproques, parfois souterraines, à l’origine du savoir-faire du cinéaste. Parmi ces sources, nous avons distingué trois personnalités du graphisme français dont les réalisations ont imprégné à des degrés divers la production du cinéaste. Ainsi en est-il de Maximilien Vox, figure incontournable de l’édition et du livre des années 1930 à 1960 ; le Suisse Peter Knapp, pour ses mises en pages novatrices au sein de divers magazines et le Polonais Roman Cieslewicz, célèbre pour ses affiches et ses photomontages. Pour compléter ce parcours, nous mettrons en regard la production d’un quatrième homme œuvrant à la télévision — Jean-Christophe Averty, précurseur de l’art vidéo et « metteur en pages de télévision » ­— qui constitue un pont tout autant qu’une synthèse entre l’imprimé et le cinéma.

Notre objet d’études principal est le livre Histoire(s) du cinéma, paru en 1998 dans la collection Blanche de Gallimard, en raison de toutes les ramifications qu’il permet d’ouvrir sur l’ensemble de la production graphique du cinéaste.

Research

Jean-Luc Godard, the graphic designer behind the camera.
Typography, editing and page layout.
The origin and influences of his savoir-faire.

The presence of writing in Jean-Luc Godard’s films assumes numerous guises thanks to his highly elaborate use of graphics and typography which, to date, has never been studied closely. 

Credits, advertisements, trailers, special editions and even press releases all bear Godard’s stamp, even if they do not bear his official signature. These graphic objects, whether printed or filmed, are surprising for their frequency and stylistic boldness, the result of an approach and savoir-faire rarely found in cinema. His manner of sampling, composed of collages and quotations, and of orchestrating words, turns the film-maker into a graphic designer, a profession Godard assumes fully, leaving nothing to others. This recurring practice in his work makes for interesting scrutiny. How does it relate to the work of his peers in cinema and his contemporaries in the graphic design world? What distinguishes Godard’s work, in this respect, from that of other authors for whom the printed work matters? With regard to the cinema, we have chosen Guy Debord, Marguerite Duras, Sacha Guitry and Chris Marker, for what their distinctive rapports with the printed word, graphics and books as objects reveal.

The identification of the typefaces used in Godard’s films highlights a number of repetitions and the presence of series. Two main periods can be distinguished by their typographical unity: the Antique Olive period, named after the typeface designed by Roger Excoffon (Pierrot le fou, 1965; Masculin féminin, 1966; La Chinoise, 1967; Week-end, 1967) and the Swiss period, named after its use of Helvetica and Univers typefaces (Helvetica: Alphaville, 1965; Sauve qui peut (la vie), 1980; Prénom Carmen, 1983; Je vous salue Marie, 1984; Détective, 1985; Métamorphojean séries 2 et 3, 1990; Hélas pour moi, 1993; For ever Mozart, 1996; Histoire(s) du cinéma, 1988-1998; Film socialisme, 2010; Univers: Soigne ta droite, 1987). This valuable list has enabled us to start sourcing the influences behind Godard’s savoir-faire, some reciprocal, some underground. Among these sources, we’ve identified three key figures of graphic design in France whose work influenced Godard’s output to a greater or lesser extent. They are: Maximilien Vox, a major figure within publishing from the 1930s to the 1960s; the Swiss designer Peter Knapp, for his innovative page layouts in various magazines; and the Polish designer Roman Cieslewicz, famous for his posters and photomontages. To complete this circuit, we would like to add the work of a fourth man, working in television — Jean-Christophe Averty, the precursor of video art and “page layout on television” — who served as a bridge between (and a summary of) the printed word and cinema. 

Histoire(s) du cinéma, published in 1998 as part of Gallimard’s Blanche collection, has been our main subject of study thanks to the countless ramifications it provides regarding Godard’s entire graphic design output.

Dernière mise à jour le 1 février 2022