Paul Maheke

Acqua Alta
Projet soutenu par le Cnap
Exposition
Arts plastiques
Galerie Sultana Paris 20

Tous les volcans, et leurs sœurs

 

Les nuits où je pense à la pratique de Paul Maheke, si elles sont nombreuses, me laissent souvent dans des obscurités en tension : Elles provoquent les mêmes translations mentales que la vue des marées hautes – qui me font sentir les forces en compétition (ou l’effort conjoint ?) de la lune et du soleil, et me font m’interroger sur la gravité de l’eau - : Le type de questions que l’on se pose en chuchotant à sa propre oreille, qui, en un quart de secondes, font l’immense pont entre le territoire de l’individu et les black holes des univers. A partir de ce constat il me semblait intéressant, tout en évitant l’écueil de la systémisation,  d’appréhender le travail de l’artiste sous une figure, un geste : celui du renvoi. Un point d’entrée particulièrement révélateur si l’on s’attache notamment au projet que Paul Maheke a développé au cours de ces derniers mois : « Becoming a Body of Water or How to Unlearn Resistance as Opposition » (Août 2016 – Juin 2017).

 

Prenant pour point de départ les recherches d’Astrida Neimanis à propos de son concept d’hydroféminisme, les découvertes des docteurs Masuru Emoto et Luc Montagnier sur la mémoire de l’eau et sans doute porté par la résidence que l’artiste a effectué au festival de danse Impulstanz à Vienne au cours de l’été 2016, ce projet a pris la forme de trois performances (Union Pacific, London ; The Showroom, London ; Tate Modern, London) et s’est manifesté en trois expositions (Center, Berlin ; Assembly Point, London), la dernière, « Acqua Alta »,  étant présentée à la galerie Sultana à Paris. Néanmoins, il est peu satisfaisant de catégoriser les différentes itérations de ce projet de cette manière tant les formes et médiums employés par l’artiste se font écho.

 

Ainsi une vidéo utilisée pour une exposition peut aussi être au cœur d’une performance, tout comme une performance peut être au cœur de l’exposition. Pour « What Flows Through and Accross » à Assembly Point (Janvier – Février 2017), Paul Maheke avait fait du même espace un espace de projection pour sa dernière vidéo, un espace d’exposition pour ses dernières sculptures ainsi qu’un espace de répétition – ouvertes au public -, qui avait donné lieu à une performance de clôture. Pour mieux comprendre où se trouve la nécessité de ces chevauchements, il faut partir du contenu même de la pratique performative de l’artiste.

 

C’est là, en effet, que se trouvent les premiers renvois. Danseur autodidacte, Paul Maheke a construit une relation particulière à son corps et à ses mouvements, qui l’a mené à développer, en premier lieu, un travail sur le rapport entre le corps désiré - le fétiche -, le corps colonisé – à la subjectivité refusée -, sa spectacularisation et l’implication du regard extérieur dans ces rapports. Pour « Becoming a Body of Water or How to Unlearn Resistance as Opposition », il était alors question, pour l’artiste, de localiser les énergies et strates d’histoires emmagasinées dans les mouvements dont son corps est capable, effectués naturellement, ou en réponse à un rythme, à une musique.  Cette capabilité est alors sabordée, et ce de deux manières différentes : par la lutte et par la boucle.

 

La lutte et la boucle sont deux motifs récurrents des dernières performances de Paul Maheke. Une lutte du danseur avec son corps mais aussi de l’eau contenue dans ce corps avec l’enveloppe qui la contient. La lutte est aussi la lutte contre la performativité elle-même : le refus de donner ce qui est attendu d’un corps comme celui de Paul Maheke. Et c’est là que la boucle entre en jeu. La répétition des mêmes mouvements, leurs arrêts, leurs reprises, est une manière de lutter contre la nécessité de la performance en tant que mise en spectacle d’un corps individualisé qui deviendrait alors surface. Etrangement, devenir un corps d’eau passe, pour l’artiste, par le refus partiel de la fluidité des mouvements.

 

Les sculptures et installations de Paul Maheke, elles, ont des fonctions similaires mais opèrent d’une tout autre façon. Jouant souvent de la transparence, du micro-sensible et de la présence de textes imprimés, elles prennent généralement la forme d’objets qui servent ou bien à mieux montrer – étagères, aquariums... - ou à mieux cacher – rideaux – pour finalement subvertir leurs utilisations initiales. Dans ce renversement, les sculptures, elles aussi, refusent la performativité. Elles deviennent alors les seconds sous-titres des vidéos et des performances de l’artiste – et là encore, on entend l’écho -.

 

A Sultana, au son de l’œuvre de Sophie Mallet, les œuvres de Paul Maheke résonnent donc une fois de plus, cette fois-ci pour inonder l’espace de la galerie. On entend, sous nos pieds, les volcans s’activer.

 

 

Cédric Fauq

Artistes

Adresse

Galerie Sultana 10 rue Ramponeau 75020 Paris 20 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022