Patrick Sirot
Par les entrelacs
Dessiner et écrire peuvent en partie s’apparenter. Il s’agit bien, là comme ici, par des traits, des lignes, des linéaments ou des suites de signes tracés, de faire advenir à la surface muette, opaque, un monde sensible et des images, de raconter quelque chose ou de donner corps à des idées. Chez Patrcik Sirot particulièrement, le dessin procède d’une sorte d’écriture dansante, gestuelle, par laquelle la main semble débobiner un fil et, d’un mouvement continu, l’entortiller savamment sur le support — la feuille ou le mur — suivant les sinuosités de son chemin obstiné. Patiemment une figure prend forme, naît de cet écheveau, au fil de ces virevoltes. La densité des entrelacs, leur degré de saturation, règle l‘équilibre attendu de la lumière et de l’ombre.
Les personnages de soldats que Patrick Sirot dessine en très mauvaise posture, à partir de figurines amochées mises en scène et photographiées, ou le joyeux bestiaire dont il inventorie les spécimens, tout cela ramène vers l’enfance ou vers une mémoire ancestrale. Jouant à la lisière du dessin d’illustration, tiraillé entre son attirance pour l’aspect narratif et l’ouverture qu’il veut laisser au spectateur, Patrcik Sirot se revendique volontiers d’une lignée — les allégories fantastiques de Jérôme Bosch, la fantaisie inventive de Topor, la précision de Jacques Callot et l’imagerie animale de Grandville — où l’imaginaire est animé par la force de l’expressivité.
Ecrire est une façon de dessiner. Patrick Sirot, c’est un autre versant de son travail, développe une écriture orale. Une écriture vocale, sonore. Pour une langue qui fasse corps. Qui creuse son sujet par petites touches, par incessantes reprises. La filiation, les résonances, rappellent ici les poèmes rythmiques de Gherasim Luca, ou les explorations menées par Charles Pennequin et Christophe Tarkos. On retrouve, de manière analogique, les entrelacs par lesquels Patrick Sirot ourdissait ses dessins, dans la sorte de bégaiement, les accumulations verbales dont il use pour composer ses textes et les donner lors de lectures-performances. La bouche a pris le relais de l’œil, la langue tire le fil : les répétitions et les échos, comme les petites boucles du trait, dessinent un texte teinté du même humour ironique que celui qui illumine les dessins. « J’aime sourire de moi-même, confie Patrick Sirot, ce qui me permet d’avoir un regard distancé ». L’humour comme énergie — bien plus que politesse — du désespoir.
Jean-Pierre Chambon
Tarifs :
Entrée libre