Deux acteur.ices assistant.es assisté.es (Béryl Coulombié et Yannik Denizart) couchent un chariot de supermarché modifié dans lequel Florian Fouché est attaché par toutes les parties gauches de son corps devenues immobilisées. La scène a lieu devant le public, à côté de deux sculptures de Florian Fouché: Le grand lavement (2023) et Infirmièr.e en grève (2022). [photo: Marina Vidal-Naquet]

11 actions proches en public dans l'exposition Manifeste assisté au CRAC Occitanie (Sète), le 1er avril 2023.

Programme:
1.personne camérante
2.papa et moi / la vaisselle des soignant.es
3.lettre d’un aidant à propos du grand lavement de Pavel Filonov [photo]
4.l’incontinent.e
5. 1er décembre 1969, Fernand Deligny à Jacques Lin
6. la vaisssselllle / le couvert
7. C-ré / Kid A
8. Philippe Fouché
9. la toilette d’une personne dépendante 
10. le repas des résident.es
11. le suicide d’une soignante 

Acteur.ices assistant.es assisté.es:
Florian Fouché @florian.fouche 
Béryl Coulombié @beryl_clbie 
Yannik Denizart @yannikdenizart 
Martín Molina Gola @marmoligo
 

Biographie

Florian Fouché est né en 1983 à Lyon. Il vit et travaille à Paris. Il enseigne à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon.

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Sa pratique de la sculpture engage à la fois des formes documentaires (enquêtes de terrain, photographie, vidéo, dessin) et des « actions proches ». 

Diplômé de l’Ensba (Paris) en 2009, il a présenté son travail au Palais de Tokyo, à l’Ensba, au CAC Passerelle (Brest), au Carré d’art (Nîmes), au musée Unterlinden (Colmar), au CIAP de Vassivière, au SKC (Belgrade), dans l’atelier d’Eustache Kossakowski chez Anka Ptaszkowska (Paris), au Centre  Pompidou (Metz) à Bétonsalon (Paris), au Centre Pompidou (Metz), au Moma (New York), au Muzeum sztuki nowoczesnej (Varsovie), à la galerie Parliament (Paris), au 10-rue Saint-Luc, l'atelier des Éditions L'Arachnéen (Paris), au Mucem (Marseille), au CRAC Occitane (Sète), à Liste Art Fair (Basel)...

Présentation de l'artiste par Adrien Malcor:

L’artiste Florian Fouché (né en 1983) a initié les « actions proches » de Manifeste assisté en 2015, après plusieurs années d’une activité de sculpteur en partie inspirée de l’expérience du musée du Paysan roumain à Bucarest (Le Musée antidote, 2010-2014).

Manifeste assisté fut d’abord la réponse à un drame familial, puisque la première action proche a eu lieu dans l’hôpital qui accueillit le père de l’artiste, Philippe, après l’accident vasculaire cérébral qui l’avait rendu hémiplégique. Philippe Fouché vit aujourd’hui encore en fauteuil roulant et « en institution » (Ehpad) ; il est resté le protagoniste de Manifeste assisté. Du « parcours de soins » cabossé de son père, et des complicités que ce parcours a fait naître ou renaître, l’artiste a induit une sorte de principe de solidarité ontologique : « Nous sommes tous·tes des assisté·es et des assistant·es. Tout le monde, toute puissance ou impuissance. »

Pour « assister » son père, c’est-à-dire pour se soumettre avec lui à un programme de « rééducation sauvage », Florian Fouché s’est d’emblée doté d’un modèle alternatif, extra-institutionnel et para-artistique : la dernière « tentative » de l’éducateur et écrivain Fernand Deligny (1913-1996), qui de 1968 à sa mort anima dans les Cévennes (Sud de la France) un réseau expérimental de prise en charge d’enfants autistes. Le terme « action proche » provient de « présences proches », l’expression employée par Deligny pour désigner les adultes qui organisaient au quotidien les « aires de séjour » du réseau cévenol. L’artiste s’est également emparé de l’infinitif « camérer », forgé par ce penseur de l’image pour désamorcer le volontarisme du « filmer ». Dans les « actions proches » de Florian Fouché, la caméra est un objet parmi les objets et un organe parmi les organes : elle est le « ciné-œil » mobile qui traverse et anime l’environnement des sculptures-accessoires-prothèses.

Plus de quatre cents actions proches ont aujourd’hui été performées et « camérées », avec une quarantaine d’« acteur·rices assistant·es-assisté·es ». Le triptyque d’écrans qui diffuse ces enregistrements dans les expositions de Florian Fouché montre les trois axes créatifs d’un corpus en mouvement : la geste du père paralysé (Philippe), la fiction spéculative de l’hypermémoire autistique (Mémoire aberrante (roman cubiste de la Tentative)), la critique des institutions de soins (Vie assistée, vie institutionnelle, vie (ré)éduquée). Chaque nouvelle action prolonge l’une ou l’autre de ces trois pistes, et chaque nouvelle vidéo relance le hasard des associations transversales produites par le dispositif de diffusion simultanée. Ni combinatoire ni déclinaison sérielle, donc, mais la modulation plus ou moins aléatoire d’une pensée constructive qui parie avant tout sur la multivalence poétique des objets et des gestes. Est ainsi amplifié le jeu de ce que l’artiste appelle l’« aberration empathique » – à la fois condition imaginaire des gestes d’assistance et processus générique de déformation conforme au travail de la mémoire. L’aberration empathique fonctionne dans la vie comme dans l’histoire de l’art : elle fait surgir des personnages, comme l’enfant-bobine « Kid A » ; elle défamiliarise les gestes du quotidien (marcher/rouler, manger, (se) laver…) ; elle altère et rapproche des mondes artistiques plus ou moins lointains (Constantin Brancusi, Sophie Taeuber-Arp, Barnett Newman, Arthur Bispo do Rosário, Yvonne Rainer, Mike Kelley, Henrik Olesen…).

Aberration, hasard et circonstances, en réalité. Le travail progresse par bonds, les spécificités spatiales de chaque lieu d’exposition offrant à l’artiste l’occasion de redéployer son réseau conceptuel et de relancer l’imagination plastique. Ainsi chez Parliament à l’automne 2022, où l’exposition s’organise autour d’une marche séparant les deux espaces de la galerie – cette marche-seuil qu’une personne en fauteuil roulant ne peut franchir sans rampe d’accès. C’est le premier espace hémiplégique produit par l’artiste, une transposition scénographique de l’anatomie critique. L’artiste se fait rampe pour son père : la question de l’accessibilité devient celle de la participation, du dépassement de la limite scène/salle. On peut dire que la rampe d’accès à la fois souligne et coupe la rampe théâtrale.

Florian Fouché a récemment repris ce modèle de mobilité asymétrique au Crac Occitanie (Sète), cette fois pour réfléchir sa dette envers Fernand Deligny, dont les archives et « légendes » faisaient l’objet d’une exposition simultanée au Crac (Fernand Deligny, légendes du radeau). La division hémiplégique de l’espace met en abyme la rencontre problématique des deux expositions, des deux époques, des deux « pathologies » (l’autisme, l’hémiplégie), tout en marquant dans l’architecture la limite qui sépare toute institution de son dehors. L’artiste s’approprie alors une autre idée-motif de Deligny, la « caméra bigle », qui gagne en importance dans l’espace hémiplégique présenté sur le stand de Parliament à la Liste Art Fair Basel.

Parce que Florian Fouché oppose audacieusement la pensée constructive moderne aux normes « orthopédiques » de la rééducation, son Manifeste assisté est aujourd’hui une importante contribution artistique à la réflexion politique sur le handicap (antivalidisme, disability studies, théorie crip). Parce qu’il universalise la question de l’assistance, son travail jette aussi un éclairage violent, quoiqu’oblique, sur la casse néolibérale d’un système de santé publique (sans que la nécessité des expériences hors institution soit jamais perdue de vue). Mais chez Florian Fouché, la rage politique est filtrée par l’humour noir, et l’humour noir est transmuté par une biomécanique grotesque. C’est cette biomécanique qui assume encore le rôle indissociablement politique et poétique que lui avait attribué le constructivisme soviétique : « surmonter le quotidien dans le quotidien » (Vsevolod Meyerhold).

 

Adrien Malcor

 

Chronologie de Manifeste assisté

 

Manifeste Janmari, 10-rue-Saint-Luc, atelier des éditions L’Arachnéen, Paris, 2 octobre – 21 novembre 2020.

Le corps fait grève (exposition collective ; commissariat : Émilie Renard), Bétonsalon, Paris, 20 mai – 24 juillet 2021.

Yto Barrada—A Raft; Carte Blanche/Virtual Cinema (exposition collective ; commissariat : Sandra Alvarez de Toledo, Yto Barrada, River Encalada Bullock, Lucy Gallun, Anaïs Masson), Museum of Modern Art (MoMa), New York, 8 mai 2021 – 9 janvier 2022.

L’Art d’apprendre. Une école des créateurs (exposition collective ; commissariat : Hélène Meisel), Centre Pompidou Metz, 5 février – 29 août 2022.

Manifeste Janmari, galerie Parliament, Paris, 9 septembre – 29 octobre 2022.

Manifeste assisté (commissariat : Marie Cozette), Centre régional d’art contemporain (Crac) Occitanie, Sète, 11 février – 29 mai 2023.

Anka Ptaszkowska: Case by Case, musée d’Art moderne de Varsovie, 17 février – 23 avril 2023. (exposition collective ; commissariat : Anna Ptaszkowska, Agnieszka Tarasiuk, Violett e a, Maria Matuszkiewicz)

Espace hémiplégique / Caméra bigle, Liste Art Fair Basel, 12-18 juin 2023.

 

 

ENGLISH

The artist Florian Fouché (b. 1983) first elaborated the “close actions” of Assisted Manifesto in 2015, after several years of working on a sculpture series partly inspired by the Romanian Peasant Museum in Bucharest (The Antidote Museum, 2010-2014).

Assisted Manifesto was initially a response to a family tragedy; the first “close action” took place at the hospital that had received the artist’s father, Philippe, after a stroke which had made him hemiplegic. Philippe Fouché still uses a wheelchair today and lives “in an institution” (a nursing home); he continues to be the protagonist of Assisted Manifesto. From his father’s bumpy “care path”, and the affections that were born or reborn over its course, the artist has induced a kind of principle of ontological solidarity: “We are all assisted and assistants at the same time. Everyone, whether powerful or powerless.”

To “assist” his father, which has meant entering with him a program of “wild rehabilitation”, Florian Fouché had, from the outset, provided himself with an extra-institutional and para-artistic alternative model: the last “attempt” of the educator and writer Fernand Deligny (1913-1996), who, from 1968 and until his death, ran an experimental network for autistic children in the Cévennes region in the south of France. The term “close action” comes from “close presences”, the expression used by Deligny to designate the adults who managed the “living areas” of the Cévennes network on a daily basis. The artist has also reemployed the verb “camering”, coined by this philosopher of images in order to defuse the voluntarism of “filming”. In Florian Fouché’s “close actions”, the camera is an object among other objects and an organ among other organs: it is a mobile “cine-eye” that traverses and animates an environment filled with sculptures-accessories-prostheses.

Over four hundred “close actions” have been performed and “camered” today, with the help of approximately forty “assistant-assisted actors and actresses”. The triptych of screens that display these recordings in Florian Fouché’s exhibitions represent the three creative axes of a corpus in motion: the adventures of the paralyzed father (Philippe), the speculative fiction of an autistic hypermemory (Aberrant Memory (Cubist Novel of the Attempt)), and the critique of health care institutions (Assisted Life, Institutional Life, (Re)Habilitated Life). Each new action extends one of the three tracks, and each new video resets the random arrangement of transversal associations produced by the simultaneous reproduction. It is not a combinatorial or a serial logic that is at play here, but a more or less random modulation of a constructive thought which values above all the poetic multivalence of objects and gestures. It is an amplification of the play of “empathic aberration”, in the artist’s words – simultaneously, an imaginary condition of the gestuality of assistance and a generic process of deformation in accordance with the work of memory. This “empathic aberration” operates within life as within art history: it brings forth characters, like the child-bobbin “Kid A”; it defamiliarizes the gestures of everyday life (to walk/roll [in a wheelchair], to eat, to wash (oneself)…); it alters or brings closer more or less distant artistic worlds (Constantin Brancusi, Sophie Taeuber-Arp, Barnett Newman, Arthur Bispo do Rosário, Yvonne Rainer, Mike Kelley, Henrik Olesen...).

Aberration, chance and circumstances, in reality. The work progresses by leaps, as the spatial specificities of each exhibition space offer to the artist new opportunities to redeploy his conceptual network and relaunch the artistic imagination. This was the case at the gallery Parliament (Paris) in 2022, where the exhibition was organized around a raised step that separates the two spaces of the gallerya threshold step that a person in a wheelchair cannot cross without an access ramp. This was the first hemiplegic space produced by the artist, a scenographic transposition of a critical anatomy. In the piece, the artist turns himself into a ramp for his father: the problem of accessibility becomes that of participation, of overcoming the limit between the stage and the room. The access ramp can be said to both underline and intersect the theatrical ramp.

Florian Fouché has recently taken up this model based on the idea of asymmetrical mobility at the Crac Occitanie contemporary art center (Sète), this time to reflect on his debt towards Fernand Deligny, whose archives and “legends” were the subject of a simultaneous exhibition in the same space (Fernand Deligny, Legends of the Raft). The hemiplegic division of the space became a metareflection on the problematic encounter of the two exhibitions, the two eras, and the two “pathologies” (autism, hemiplegia), while marking in the building’s architecture the limit which separates any institution from its outside. There, the artist appropriated another idea-motif of Deligny, the “cross-eyed camera”, which takes on a new significance within the hemiplegic space of Parliament’s booth at the Liste Art Fair Basel.

Because Florian Fouché opposes, with audacity, modern constructive thinking to the “orthopedic” norms of rehabilitation, his Assisted Manifesto is an important artistic contribution to contemporary political thought on handicap (anti-ableism, disability studies, crip theory). Because it universalizes the question of assistance, his work also throws a vehement, albeit oblique, light on the neoliberal devastation of the public health system (without ever losing sight of the need for experiences outside of the institution).

However, in Florian Fouché’s work, political rage is filtered through a dark humor, and this dark humor is transmuted by a grotesque biomechanics. It is this biomechanics which still assumes the indissociably political and poetic role given to it by Soviet constructivism: “to overcome the everyday in the everyday” (Vsevolod Meyerhold).

 

Chronology of exhibitions of Assisted Manifesto

 

Manifeste Janmari, 10-rue-Saint-Luc, studio of the publisher L’Arachnéen, Paris, October 2 – November 21, 2020.

Le corps fait grève (group show; curator: Émilie Renard), Bétonsalon, Paris, May 20 – July 24, 2021.

Yto Barrada–A Raft; Carte Blanche/Virtual Cinema (group show; curators: Sandra Alvarez de Toledo, Yto Barrada, River Encalada Bullock, Lucy Gallun, Anaïs Masson), Museum of Modern Art (MoMA), New York, May 8, 2021 – January 9, 2022.

L’Art d’apprendre. Une école des créateurs (group show; curator: Hélène Meisel), Centre Pompidou Metz, 5 February – 29 August 2022.

Manifeste Janmari, Parliament Gallery, Paris, September 9 – October 29, 2022.

Manifeste assisté (curator: Marie Cozette), Centre régional d’art contemporain (Crac) Occitanie, Sète, February 11 – May 29, 2023.

Anka Ptaszkowska: Case by Case (group show; curators: Anna Ptaszkowska, Agnieszka Tarasiuk, Violett e a, Maria Matuszkiewicz), Museum of Modern Art in Warsaw, February 17 – April 23, 2023.

Hemiplegic Space / Cross-Eyed Camera, List Art Fair Basel, June 12-18, 2023.

Site internet et réseaux sociaux

Source

Centre national des arts plastiques

Dernière mise à jour le 23 février 2024