Nature inanimée

Exposition
Arts plastiques
URDLA Villeurbanne

2.0251 – L’espace, le temps et la couleur (la capacité d’être coloré) sont des formes des objets.

2.14 – L’image consiste en ceci, que ses éléments sont entre eux dans un rapport déterminé.

(Ludwig Wittgenstein)

 

 

Depuis trente-quatre ans, édition après édition, l’URDLA avec la rigueur patiente et assurée du fil à plomb bâtit son fonds. Contrairement à ceux des musées et des centres d’arts il n’est pas acquis mais il est le fruit de la rencontre laborieuse des artistes et des imprimeurs soutenue par le pari – renouvelé à chaque invitation de résidence – que de belles images sortiront une fois encore des presses centenaires. De chacune de ces deux milliers d’édition l’URDLA conserve un exemplaire d’« Archives » qui constitue la mémoire matérielle de son histoire (grâce au dépôt légal, cette mémoire est aussi conservée au Cabinet des estampes et de la photographie à la Bibliothèque nationale de France) ; et assure que les tirages épuisés à la vente ne seront pas ravis aux yeux des amateurs.

 

Une fois l’an, en contre-point à l’exposition des éditions d’une saison de résidence, l’URDLA pose son regard sur le passé et sous l’argument thématique mêle anciens et modernes. Il n’est pas question ici, de confier au temps la séparation du grain et de l’ivraie et attendre que des pépites éclairent l’ombre. Ces manifestations permettent d’attraper les œuvres d’un détail : le titre, la technique, la matière, la couleur, le jeu ou le détournement… C’est dans l’intervalle de l’une à l’autre que le sujet sera traité.

 

En 2011 nous avons choisi d’interroger le fonds URDLA sur le genre classique de la veduta ; grâce à Michel Descours, en plus de nos cimaises, nos estampes se mêlaient aux peintures et dessins anciens sur les murs de la galerie de la rue Auguste-Comte.

Cette saison – autre genre de la peinture classique duquel l’homme représenté est absent, sa présence se réduisant à l’œil qui regarde et compose, aux traces – nous présenterons du fonds ce qui peut relever de la nature morte.

 

Pas de souci scientifique – fi donc de l’exhaustivité –, pas de prétention historique : nous nous proposons de discuter ce suspend de la vie, cette capture silencieuse et impassible. De la contemplation de la vie arrêtée, à la putréfaction de la mort (qui, elle, est mouvement), la Vie coye se mue en Vanité. Ce champ, contrarié par tous ses avatars contemporains qui tentent de masquer derrière la parure l’injonction d’humilité, nous l’avons écarté du propos. Aux visiteurs de l’exposition, nous proposons pour baedeker le livre de peintres de François Martin et Jean-Luc Nancy, Natures mortes, douze variations  (2006).

Soustraire la nature à l’agitation du monde, Jean-Luc Nancy saisit dans cette périphrase l’essence de ce qu’on appelle jusqu’au XVIIe siècle Nature reposée. Citations et hommages constituent le ferment des œuvres présentées qui suivent les voies ouvertes par l’ouvrage tressant à l’exposition, deux regards celui de l’entendement et celui des yeux.

 

Trois brins ont servi de guides pour la sélection des œuvres.

Il ne suffisait pas de la chasse et de la cueillette : il fallait encore piéger et recueillir ce que présentaient les pelages des fauves et les peaux des fruits, mais qui disparaissait dans les préoccupations des travaux et des jours. C’était la couleur, le reflet, la capture moirée de la lumière.Problématique récurrente des genres picturaux, la chose représentée vaut pour le geste de la peinture, ici, le pelage, les plumes, la peau des fruits, l’écaille, le tissu de la nappe ou de la serviette : autant de gammes de matières et de textures qui traversent l’exposition.

 

[Ces choses] ne sont pas simplement surprises dans l’instant où le fumeur, la cuisinière ou le violoneux se sont absentés : elles sont véritablement abandonnées et détournées des finalités humaines auxquelles elles étaient préparées. Non seulement la mort a frappé ces lapins, ces anguilles ou ces chapons, mais leur exécution est devenue vaine à tous égards : nul ne sait plus si jamais quelqu’un viendra les préparer, les écorcher ou les plumer, les vider et les brider pour la broche ou la casserole. Personne ne finira de peler cette pomme. Aucun archet ne se posera sur ces cordes. Cette mort encadrée, productrice d’images, désigne le retrait de l’homme, ne laissant subsister que sa trace ainsi les représentations d’objets. Le ready-made se souvient de cette nature sans âme (en Grèce le rhyparographe s’attachait à la copie d’objets vulgaires, de la nature triviale). Sur son versant mortifère, c’est la chair nécrosée portant les premiers stigmates de la décomposition que le peintre choisit de montrer.

 

La disposition ouvre l’espace-temps selon lequel il n’y a pas de présence pure et simple, brute, nue et solitaire d’une chose qui ne serait que ce qu’elle est – et qui de cette manière commencerait déjà à se retirer du réel. Il n’y a pas de présence, mais une configuration de présentation : une droite et une gauche, un haut et un bas, une profondeur et une épaisseur, des relations d’équilibre, d’appui, de tenue ou de retenue. Ceci supporte cela ou bien cela est accroché à ceci.Composition et assemblage valent pour toute la peinture, mais pour le genre qui nous occupe c’est bien de l’écart des plumes au métal du couteau, au lin de la serviette que se construit le tableau jusqu’à l’exposition accrochées sur les cimaises de l’URDLA.

 

 

Le détour par Cézanne lèvera le voile sur les fondations de notre projet. Lisant à Joachim Gasquet ces lignes de la Peau de Chagrin : « Blanche comme une couche de neige fraîchement tombée et sur laquelle s’élevaient symétriquement les couverts couronnés de petits pains blonds. », il commente : « Toute ma jeunesse j’ai voulu peindre ça, cette nappe de neige fraîche… Je sais maintenant qu’il ne faut vouloir peindre que “ s’élevaient symétriquement les couverts ” et “ de petits pains blonds ” ? Si je peins “ couronnés ” je suis foutu… Comprenez-vous ? Et si vraiment j’équilibre et je nuance mes couverts et mes pains comme sur nature, soyez sûr que les couronnes, la neige et tout le tremblement y seront… Dans le peintre il y a deux choses : l’œil et le cerveau, tous deux doivent s’entraider ; il faut travailler à leur développement mutuel, mais en peintre : à l’œil, par la vision sur nature ; au cerveau, par la logique des sensations organisées qui donne les moyens d’expression. Je ne sors plus de là. »

 

 

Cyrille Noirjean

 

 

Tarifs :

entrée libre

Commissaires d'exposition

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Horaires

du mardi au vendredi de 10h à 18h le samedi de 14h à 18h

Adresse

URDLA 207 rue Francis-de-Pressensé 69100 Villeurbanne France

Comment s'y rendre

métro ligne A, Flachet
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022